LA COURTE ÉCHELLE

Renaître de ses cendres

Comment réussir là où d’autres ont échoué ? Cette question, plusieurs l’ont posée à Mariève Talbot et à son père Raymond, les deux entrepreneurs qui ont racheté La courte échelle dans une vente de liquidation, en décembre dernier. Près d’un an plus tard, leurs efforts commencent à porter leurs fruits.

À l’automne 2014, accablée d’une dette de plus de 4 millions de dollars, la prestigieuse maison d’édition a été placée sous la protection de la Loi sur la faillite. Les anciens propriétaires n’arrivaient plus à payer leurs créanciers et les écrivains, qui n’avaient pas reçu leurs redevances en droits d’auteur pour l’année précédente.

La nouvelle a surpris le milieu littéraire. « Peu de gens étaient au courant des difficultés de La courte échelle. Il n’y a pas eu énormément de faillites dans le monde de l’édition au Québec, mais celle-là, ce fut une grosse », a dit à La Presse Richard Prieur, directeur général de l’Association nationale des éditeurs de livre (ANEL).

Puis, quelques semaines plus tard, le syndic de faillite a semé l’émoi chez les auteurs. On leur a annoncé qu’ils ne récupéreraient pas leurs droits sur les œuvres publiées, comme le prévoyait pourtant la loi provinciale sur le statut de l’artiste. Ceux-ci étaient plutôt mis en vente avec les autres actifs de la maison d’édition, une pratique permise par la loi fédérale sur la faillite, qui avait prétendument préséance.

UNE RENCONTRE POUR RASSURER LES AUTEURS

Au Salon du livre de Montréal, le 22 novembre 2014, les auteurs de La courte échelle ont finalement rencontré Mariève et Raymond Talbot – ce dernier a longtemps été propriétaire des librairies Champigny, vendues en 1999 à Renaud-Bray. Dans l’éventualité où ils achetaient les actifs de l’entreprise en faillite, leur ont-ils dit, on paierait les droits d’auteur en suspens à tous ceux qui poursuivraient l’aventure avec eux.

L’accueil a été plutôt favorable. Le 3 décembre, les Talbot se sont finalement lancés dans l’aventure…

« On a commencé par préparer le déménagement de l’entreprise de la rue Saint-Viateur, dans le Mile End, à nos nouveaux locaux [dont mon père est propriétaire] au-dessus du Renaud-Bray » à l’intersection de la rue Saint-Denis et de l’avenue du Mont-Royal, a expliqué Mariève Talbot à La Presse dans le cadre d’une entrevue bilan, un an après le rachat de l’entreprise.

« Il y avait beaucoup de stock et on ne savait pas qu’est-ce qui était quoi. Beaucoup d’amis et de bénévoles nous ont aidés là-dedans, entre Noël et le jour de l’An. Ensuite, il a fallu comprendre comment fonctionnait le serveur. C’était un vrai monstre ! », se souvient l’entrepreneure de 31 ans.

Dans ses premiers mois à titre de directrice générale et copropriétaire du nouveau Groupe d’édition La courte échelle, Mariève Talbot a dû convaincre ses partenaires qu’elle ne serait pas aspirée comme les anciens propriétaires dans une spirale de déficits.

« Ce fut difficile à défendre. Tu arrives en poste, tu ne connais pas la compagnie… On a eu l’impression de brûler quelques étapes, mais il fallait agir rapidement. »

— Mariève Talbot, nouvelle copropriétaire de La courte échelle

« Les organismes subventionneurs voulaient s’assurer qu’ils n’investissaient pas de l’argent dans une entreprise qui allait de nouveau couler », a renchéri Carole Tremblay, nouvelle éditrice de la division jeunesse.

En mars dernier, le nouveau groupe d’édition s’est finalement lancé dans la réimpression d’ouvrages populaires de la collection, tout en préparant de nouveaux livres originaux. Au bout du compte, cette année, 45 titres ont été réimprimés, mais le marché du livre n’est plus ce qu’il était dans les belles années de La courte échelle. Mariève Talbot et son équipe doivent composer avec cette nouvelle réalité.

« À l’époque, un éditeur pouvait imprimer 10 000 exemplaires pour un premier tirage, et on allait souvent en réimpression ! Aujourd’hui, quand on tire 3000 exemplaires en tout, on est content. Or, le coût de la chaîne de production reste le même, de la révision de texte au travail éditorial. Rien n’a changé. Ça coûte le même prix de publier 100 exemplaires d’un livre ou des milliers », résume Mme Trembay.

QUITTER LE NAVIRE POUR SE LANCER EN AFFAIRES

En rachetant La courte échelle et son catalogue de livres, Mariève et Raymond Talbot se sont entendus avec une majorité d’auteurs, mais une vedette de la maison a choisi de quitter l’entreprise : Annie Groovie.

« Après la faillite, ce fut tellement compliqué de retrouver mes droits que j’ai décidé de ne plus les céder. »

— Annie Groovie, auteure jeunesse

« Je me suis lancée en affaires et je m’autopublie maintenant avec ma propre entreprise, Groovie éditions », a-t-elle expliqué.

L’auteure, connue du grand public pour son personnage de Léon, est une véritable star dans le monde de l’éducation. Chaque année, elle donne plus de 300 ateliers dans les écoles du Québec. Comme les Talbot, mais à plus petite échelle, elle a dû investir pour poursuivre ses activités.

« Comme je m’autopublie et que Groovie éditions ne publie aucun autre auteur que moi, je n’ai pas droit aux subventions. D’où le fait que ce soit plus difficile financièrement… », a-t-elle reconnu, en précisant qu’elle avait investi près de 20 000 $ cette année pour publier quatre titres, dont une nouveauté.

Depuis le rachat de La courte échelle, Mariève Talbot a mis beaucoup d’efforts pour regagner la confiance de ses auteurs, dit-elle. Même si elle a officiellement quitté l’entreprise, perdant du même coup près de 15 000 $ en droits d’auteur impayés, Annie Groovie est en paix avec les nouveaux propriétaires de la maison d’édition. Elle sera d’ailleurs cette semaine au Salon du livre de Montréal installée à leur stand.

« Il y a beaucoup d’auteurs ébranlés, j’en conviens, mais ils reviennent à petits pas », a résumé la nouvelle patronne du Groupe La courte échelle.

« Un pas à la fois », a-t-elle ajouté, sa nouvelle entreprise deviendra rentable. Et « l’investissement en vaut la peine, car j’ai malgré tout le plus beau métier du monde ».

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