Retour de la rougeole

Ne pas blâmer les parents

Une alerte à la rougeole a été lancée, fin avril à Montréal. Un cas confirmé et trois cas probables de cette maladie très contagieuse – contre laquelle on peut se faire vacciner – ont été signalés. En France, 2000 cas de rougeole ont été recensés seulement depuis le début de 2018. La Presse a joint Laurence Monnais, professeure au département d’histoire de l’Université de Montréal, pour parler de « la grande complexité de phénomènes comme l’hésitation à la vaccination et de la résurgence de maladies infectieuses comme la rougeole ».

Plusieurs cas de rougeole sont notés, actuellement ?

Oui. Il y a toujours des cas confirmés quelque part. C’est probablement la maladie la plus contagieuse au monde !

C’est pourquoi vous vous êtes intéressée à l’histoire de la rougeole ?

On s’est d’abord intéressés à l’histoire de la vaccination contre la rougeole au Canada, parce qu’on en avait ras le bol d’entendre tout et n’importe quoi. La méfiance à l’endroit de la vaccination a toujours existé. Du jour où il y a eu un premier vaccin, les gens s’en sont méfiés. Il faut toutefois replacer les refus de la vaccination dans un contexte un peu plus complexe. Pour expliquer la résurgence de la maladie, il n’y a pas que ça à mettre de l’avant.

Il faut relativiser la part de responsabilité des parents, selon vous ?

Oui. On n’essaie pas de dire que la vaccination n’est pas importante et fondamentale. On est totalement convaincus qu’elle l’est. Ce qu’on veut dire, c’est premièrement : continuer à taper sur les parents [NDLR : qui ne font pas vacciner leurs enfants] ne va pas régler les choses. Culpabiliser, stigmatiser, on sait très bien que ça a généralement l’effet inverse de ce qu’on voudrait. Deuxièmement, il faut replacer ces hésitations dans le temps, dans l’espace et dans une multitude de contextes. On doit mettre en évidence, par exemple, l’importance du féminisme de la deuxième vague.

Le féminisme a un lien avec la vaccination ?

On sait que dans les années 70 et 80, le mouvement féministe, en particulier au Québec, mais aussi ailleurs au Canada, s’est très développé. Les femmes vont, en parallèle, développer tout un discours sur l’importance de la réappropriation de leur corps, de leur santé et de celle de leur progéniture. Ça ne veut pas dire qu’elles vont devenir antivaccination. Ça veut dire qu’elles vont de plus en plus réfléchir et laisser peut-être de côté les impératifs biomédicaux, le paternalisme, etc. À la même époque, il y a de plus en plus une critique de l’industrie pharmaceutique, dont les femmes sont partie prenante. Pour des raisons qui vont de l’affaire de la thalidomide dans les années 60 à d’autres problèmes liés, par exemple, à la pilule anticonceptionnelle.

Il ne faut pas oublier, non plus, que les maladies infectieuses traditionnelles, dont fait partie la rougeole, ne sont plus mises de l’avant dans la prévention des problèmes de santé infantile. On va plus penser aux accidents de la route ou domestiques, à l’asthme, aux allergies, puis après à l’obésité et à d’autres choses.

Le milieu médical a aussi joué un rôle dans l’évolution des perceptions envers la vaccination ?

Oui. Dans les années 70-80, même dans les années 60, les médecins eux-mêmes estiment qu’ils ne sont pas outillés pour répondre aux attentes des parents. Pour convaincre des bénéfices de la vaccination. Parce qu’ils n’y connaissent pas grand-chose. Ça ne fait pas partie des priorités de formation médicale de l’époque. Si vous regardez les campagnes de prévention, ça ne touche jamais la vaccination. On tient pour acquis que les gens sont convaincus, qu’ils savent suffisamment de choses pour continuer à être convaincus. On sait que ce n’est pas vrai. Les médias sociaux sont venus faire la preuve que non seulement ce n’est pas vrai, mais que ça met en péril un certain nombre d’acquis. Parce que les discours antivaccins, eux, sont particulièrement présents.

Quel est le taux de vaccination actuel, contre la rougeole ?

Comparativement à d’autres pays occidentaux, on a des taux qui sont plus que louables. Ça monte à plus de 95 %. C’est très bien, mais ce n’est pas suffisant. Le problème avec la rougeole, c’est qu’elle est vue depuis très longtemps par les parents comme une maladie bénigne. C’est probablement une des raisons pour lesquelles ils hésitent à faire vacciner. Le taux de mortalité de la rougeole est très faible, mais il y a un taux de complication non négligeable, et ça, les parents l’ont oublié. Par ailleurs, ce qui est très important dans la rougeole, c’est que c’est une maladie ultracontagieuse. Donc, il nous faut un taux de vaccination extrêmement élevé, j’oserais dire jusqu’à 100 %, pour s’assurer que la maladie ne circule plus. C’est là où le bât blesse et là où ça devient compliqué.

Laurence Monnais et sa collègue Heather MacDougall, de l’Université de Waterloo, ont publié une étude sur l’histoire de la vaccination contre la rougeole de 1963 à 1998, dans le Journal de l’Association médicale canadienne.

*Les propos de Laurence Monnais ont été adaptés.

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