Personnalités de la semaine

Yoshua Bengio et Hugo Larochelle

Parce que le maître a posé les bases d’une science qui bouleverse nos vies et que l’élève l’a brillamment développée, Yoshua Bengio et Hugo Larochelle sont nos personnalités de la semaine.

Il y a 30 ans, un jeune informaticien de l’Université McGill, Yoshua Bengio, choisissait de faire sa maîtrise sur un sujet considéré comme ésotérique, les réseaux de neurones et la capacité des machines à apprendre par elles-mêmes. Deux décennies plus tard, il formera un étudiant qui deviendra à son tour une vedette dans ce domaine, Hugo Larochelle.

Grâce à eux, et à une communauté universitaire regroupant plus de 150 chercheurs, Montréal est aujourd’hui considéré comme un leader en intelligence artificielle. C’est la principale raison pour laquelle le géant des moteurs de recherche, Google, a annoncé cette semaine la mise sur pied ici d’une division spécialisée en apprentissage profond, une discipline prometteuse de l’intelligence artificielle, qui sera dirigée par M. Larochelle.

Des limites à tout prévoir

C’est au milieu des années 80 que M. Bengio a lu les premiers articles décrivant une approche audacieuse de l’intelligence artificielle, qui s’inspirait du fonctionnement du cerveau humain. « Je suis tombé en amour, ç’a cliqué dans ma tête, c’était intuitif, explique en entrevue M. Bengio. C’était quelque chose de peu connu à l’époque, de nouveau. Les gens sérieux en intelligence artificielle ne s’intéressaient pas à ça du tout et travaillaient sur des méthodes logiques et symboliques. »

Essentiellement, la manière « classique » de concevoir une intelligence artificielle est de programmer un ordinateur en lui donnant le plus d’instructions possible. Le hic, « c’est qu’à un moment donné, il y a trop de cas possibles, ce n’est plus réaliste », dit M. Bengio, qui enseigne à l’Université de Montréal depuis 1993. Sa thèse de doctorat, présentée en 1991, s’est plutôt intéressée aux réseaux de neurones et aux « modèles de Markov », à la base des algorithmes aujourd’hui utilisés en apprentissage profond.

Laissons M. Bengio résumer à sa façon cette discipline. « Il y a beaucoup de choses que nous connaissons, que nous savons et faisons à un niveau intuitif. Je sais reconnaître une bouteille d’eau, mais je ne pourrais pas écrire un programme informatique qui identifierait toutes les images d’une bouteille d’eau […]. L’ordinateur va apprendre tout seul en voyant un humain agir, par exemple en conduisant une voiture. »

Percée il y a 10 ans

Dans les réseaux de neurones, explique l’informaticien, « les calculs sont organisés en couches qui renvoient les résultats de leurs calculs à la prochaine couche. Plus on a de couches, plus le système est capable de concepts abstraits ».

Ce n’est qu’il y a une dizaine d’années, dans les laboratoires de Geoffrey Hinton, Yann LeCun et Yoshua Bengio, qu’on a réussi à mettre au point ce concept de couches. L’apprentissage profond était officiellement né.

C’est à cette époque, plus précisément en 2004, qu’Hugo Larochelle a entamé sa maîtrise puis son doctorat en informatique à l’Université de Montréal, sous la supervision de M. Bengio. Il a ensuite travaillé comme professeur adjoint à l’Université de Sherbrooke avant d’être embauché comme chercheur pour Twitter en 2015. Lundi dernier, Google annonçait son recrutement comme directeur d’un tout nouveau centre de recherche sur l’apprentissage profond.

Il a été impossible d’obtenir une entrevue avec M. Larochelle. M. Bengio n’hésite pas à le qualifier de « vedette » dans son domaine, et garde de lui le souvenir d’un étudiant « hors pair ».

« Il a participé à nos percées il y a 10 ans et c’était un élève à notes parfaites – jamais en bas d’A+. Il est très intelligent, il travaille fort, il a une bonne intuition et du leadership. »

— Yoshua Bengio, à propos d’Hugo Larochelle

Une ruée vers l’or virtuel

Graduellement, à Montréal, d’autres chercheurs sont venus enrichir la communauté universitaire qui s’est formée autour de l’apprentissage profond. Ils seraient aujourd’hui une centaine de l’Université de Montréal et une cinquantaine de l’Université McGill, étudiants dans les trois quarts des cas, à développer cette discipline.

Depuis quatre ans, l’apprentissage profond connaît un engouement impressionnant, et tous les géants technos de Silicon Valley s’y sont attelés. On l’associe notamment aux percées en traduction automatique, à la reconnaissance faciale et à la conduite autonome. « Il y a une demande énorme dans le monde, dit M. Bengio. Non seulement il y a des applications industrielles, mais les progrès laissent entrevoir la possibilité de machines intelligentes. On croyait que l’intelligence artificielle était remise aux calendes grecques ; là on se dit que c’est peut-être dans quelques décennies. »

Devrait-on en avoir peur ? Le professeur le reconnaît d’emblée, « l’intelligence artificielle va probablement avoir des effets néfastes sur le marché de l’emploi, il va y avoir une partie de la population qui va en souffrir ». Il estime cependant qu’il y a un potentiel inouï de création de richesse et de bienfaits pour l’humanité, notamment dans le domaine médical.

« Le problème, c’est de redistribuer cette richesse. Il va falloir se trouver un filet social bien meilleur que ce que l’on a présentement au Canada. Sinon, on court vers des problèmes sociaux et politiques très nuisibles à la société. Ça donne le Brexit, ça donne Trump. »

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