Chronique

Je ne veux pas me mentir

Tu parles d’un moment de radio épique. Le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot était en entrevue à France Inter, hier… Et il a démissionné, en direct.

M. Hulot, un ancien militant écologiste, sorte de Steven Guilbeault français, a démissionné parce qu’il avait constaté que ses efforts se butaient à la réalité du jeu politique.

Quelques citations : 

« On s’évertue à entretenir un modèle économique [qui est la] cause de tous ces désordres climatiques. »

« Nous faisons de petits pas, et la France en fait beaucoup plus que d’autres pays, mais est-ce que les petits pas suffisent ? La réponse, elle est non. »

« Je ne peux pas passer mon temps dans des querelles avec Stéphane Travert [le ministre de l’Agriculture]. »

« Je sais que seul, je n’y arriverai pas. J’ai un peu d’influence, je n’ai pas de pouvoir. »

« Je me suis surpris à des moments à abaisser mon seuil d’exigence. »

Et, bien sûr, la citation de Nicolas Hulot qui a fait les manchettes et qui résumait toute sa désillusion quant au poids de l’environnement dans la réalité politique d’un grand pays comme la France : « Je ne veux pas me mentir. »

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Je ne parle presque jamais de réchauffement climatique dans cette chronique. Voici pourquoi.

Au sortir d’un été brûlant où les phénomènes météo extrêmes se sont multipliés, je ne vais pas vous dire que je ne crois pas au réchauffement climatique. Je crois au réchauffement climatique, je crois aussi qu’il est causé par l’activité humaine.

J’y « crois » comme je « crois » aux vaccins : parce qu’un consensus scientifique assourdissant d’études publiées de 1991 à 2011 pointe vers l’activité humaine comme cause principale du réchauffement de la planète depuis la moitié du XXe siècle.

Le jour où les négationnistes du climat me montreront des milliers d’études publiées dans des revues scientifiques reconnues pour appuyer l’idée que l’Homme et la Femme ne réchauffent pas le climat, je les croirai. Entre-temps, leur opinion vaut ce que vaut la mienne sur la composition du troisième trio du Canadien.

Je crois au réchauffement climatique. Je crois que c’est à cause de l’activité humaine.

Mais je ne crois pas qu’on puisse y faire quoi que ce soit. Voilà.

Je ne crois pas du tout que sept milliards et demi d’êtres humains puissent changer radicalement de mode de vie, de notre vivant, pour stopper le réchauffement climatique.

Je crois que le défi de se libérer des énergies fossiles – gaz, pétrole, charbon – est trop colossal, à l’échelle de la planète, à hauteur d’humains et d’intérêts commerciaux et industriels, d’habitudes grandes et petites, pour qu’on puisse changer quoi que ce soit à la hausse prévue de 3 °C des températures moyennes d’ici la fin du siècle, la hausse de 3 °C des températures moyennes étant un scénario climatique en banlieue de la catastrophe.

Les propos de Nicolas Hulot lors de sa démission spectaculaire m’ont fait penser à une récente entrevue de l’urbaniste britannique Mayer Hillman au journal The Guardian. M. Hillman, 86 ans, parlait de danger climatique quand personne n’en parlait, ou presque. Il plaidait pour la réorganisation de la société au nom de l’environnement quand l’environnement n’était pas à la mode.

« Même si le monde réduisait son empreinte carbone à zéro, ça ne changerait rien : nous avons dépassé le point de non-retour. »

— L’urbaniste Mayer Hillman, au journal The Guardian

L’urbaniste, qui n’a pas pris l’avion depuis 20 ans au nom du mantra « chaque petit geste compte » pour l’environnement, considère désormais que ces gestes individuels sont « futiles », au vu du dérèglement climatique déjà largement engagé.

« Nous sommes condamnés », a dit M. Hillman, dans une entrevue qui n’est pas aussi sombre qu’on peut le penser, que je vous invite à lire (voir la référence, ci-dessous).

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Je n’ai jamais cru que des milliards d’êtres humains, gouvernés par 200 États aux intérêts différents et souvent divergents, régis par des centaines de milliers de lois, de règlements, de conventions et de traités qui régissent une économie carburant aux énergies fossiles – économie qui est devenue un mode de vie –, puissent larguer ce mode de vie de notre vivant.

Or, la seule façon d’éviter les cascades de catastrophes écologiques qui vont nous tuer à petit feu ou à « broil », c’est justement de larguer cette économie… dès maintenant.

Ça n’arrivera pas.

Brûler du gaz, brûler du charbon, brûler du pétrole a paradoxalement permis à l’humanité de faire d’immenses progrès de toutes sortes. Ce système que M. Hulot n’est pas le seul à dénoncer, un système hautement perfectible, un système encore hautement inégalitaire, eh bien, il a quand même multiplié les échanges commerciaux qui ont contribué à sortir des millions d’êtres humains de la pauvreté…

Mais ces avancements scient la branche sur laquelle nous sommes tous assis.

Je crois donc au réchauffement climatique. Je crois que l’activité humaine en est principalement responsable. Je crois que le réchauffement climatique est un danger immédiat.

Mais je ne crois pas qu’on puisse renverser la vapeur, je ne crois pas que l’humanité soit calibrée pour se libérer du carbone assez urgemment pour qu’on sauve nos fesses. Nous sommes cuits.

C’est pourquoi, dans cette chronique, je ne parle jamais de réchauffement climatique.

Parce que ça ne changerait rien.

En cela, je comprends M. Hulot qui a décidé de ne pas se mentir.

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