Éditorial Ariane Krol

Aide médicale à mouriR
Une insensibilité mal placée

La ministre fédérale de la Justice regarde-t-elle les nouvelles ? On espère qu’elle y a vu Nicole Gladu et Jean Truchon, lourdement handicapés par des maladies dégénératives, s’amener en Cour supérieure cette semaine dans l’espoir de faire reconnaître l’injustice de sa loi sur l’aide médicale à mourir.

Leur épreuve ne fait que commencer, car il faut des années avant d’arriver au bout de ce genre de procédures. C’est inhumain.

Le gouvernement Trudeau doit revenir à l’esprit de la Cour suprême et modifier sa loi pour tenir compte de ces personnes vulnérables.

Les caractéristiques reconnues par le plus haut tribunal du pays en 2015 étaient pourtant limpides. La personne doit être majeure, apte à donner un consentement clair, et en proie à des « problèmes de santé graves et irrémédiables lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables ». Cette porte, hélas, venait à peine d’être ouverte que le gouvernement Trudeau l’a refermée au nez de nombreux malades, en rajoutant une exigence : que la mort naturelle soit « devenue raisonnablement prévisible ».

Ce qui était prévisible, ce sont plutôt les contestations (un autre recours a été entrepris en Colombie-Britannique) et les témoignages déchirants qui en ont découlé. Ottawa s’entête malgré tout. La loi fédérale « permet d’établir un juste équilibre entre l’autonomie des personnes et la protection des gens vulnérables », a soutenu à maintes reprises la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould.

Oui, Ottawa se devait de rassurer ceux qui craignent les dérapages. Mais nul besoin, pour ce faire, de brimer les droits d’une partie des malades.

Sa loi contenait déjà de solides garde-fous en exigeant notamment que la demande, faite par un adulte apte à consentir, soit exprimée deux fois plutôt qu’une. Une demande d’un tiers (un proche ou un établissement de santé, par exemple) est donc impossible. Et à voir le sérieux avec lequel les médecins s’assurent de la volonté réelle des demandeurs, on n’imagine pas le corps médical se prêter à de tels complots !

Un gouvernement n’est pas obligé de faire de sa loi une copie carbone d’un jugement de la Cour suprême. Mais il ne doit pas non plus en profiter pour priver des citoyens d’un droit qui leur a été reconnu par le plus haut tribunal du pays.

La loi fédérale a fait régresser des gens comme Nicole Gladu et Jean Truchon à la situation d’avant l’arrêt Carter. Pour abréger leurs souffrances, ils n’ont d’autre choix que de se suicider – ou, s’ils n’ont plus la force physique de le faire, de se laisser mourir de faim et de soif. C’est révoltant.

En accordant plus d’importance à des craintes infondées qu’à des souffrances bien réelles, le gouvernement Trudeau n’a pas fait preuve d’équilibre, mais d’insensibilité. Veut-il vraiment en rajouter en se battant contre des Nicole Gladu et des Jean Truchon durant des années devant les tribunaux ? Il est temps de faire preuve de cohérence et de reconnaître que les Canadiens se trouvant dans cette condition ont bel et bien le droit de se prévaloir de l’aide médicale à mourir.

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