Entrevue Dr Jeckyll et M. Hyde

De la littérature à l’horreur

Craig Davidson est l’auteur du très célébré Cataract City, en nomination au Giller Prize en 2013. Mais c’est sous le pseudonyme de Nick Cutter qu’il publie Troupe 52 (Alto). Passant ainsi de la littérature à l’horreur pur jus. Entretien croisé avec l’homme et son double (maléfique).

CRAIG DAVIDSON

Il se décrit comme « un écrivain canadien de fiction, auteur de cinq livres ». Parmi eux, le magnifique Cataract City, où il retourne d’une certaine manière dans sa ville natale, Niagara Falls, pour dire une histoire aussi belle que violente, merveilleusement écrite et structurée. Et pour éviter de déconcerter les lecteurs en passant, de temps en temps, à un autre style, l’horreur pure et dure, il a opté pour un pseudonyme. « Une froide décision d’affaires. » Ainsi est né Nick (hommage à son fils) Cutter (parce que « ça sonnait bien pour ce genre ; ça aurait aussi pu être Butcher ou Stabber »).

NICK CUTTER

Il se décrit comme « un auteur de romans d’horreur plutôt nonchalant, du genre à donner des coups de pied dans le cul avec son stylo ». Son premier titre à être publié en français, Troupe 52, suit des scouts et leur chef dans une île isolée. Où s’abattra bientôt une épidémie. Le principal concerné résume le récit par « le seigneur des mouches qui rencontre The Thing (le film) qui rencontre David Cronenberg ». Il y a également un hommage assumé à Carrie de Stephen King dans la structure. C’est brutal, « gore » et bizarrement jouissif. Mais à ne pas mettre entre toutes les mains !

Quels auteurs sont vos influences littéraires ?

Ça couvre toute la gamme. J’aime Atwood, Thom Jones, Wilson Rawls, Stephen King – ça va dans tous les sens, vraiment.

N.C. : Ben… les habituels. Stephen King, Clive Barker, Robert McCammon. C’est mon sacro-saint triumvirat.

Comment décririez-vous votre style d’écriture ?

Physique. Musclé. Viscéral. Je me soucie des personnages et, aussi, des liens qui les unissent entre eux.

N.C. : Je dirais assez flamboyant. Tout dans votre face, en utilisant les grands moyens.

Où trouvez-vous vos idées ?

Oh, un peu partout. Dans les choses qui m’obsèdent. Ma ville natale, les gens qui y vivent, la façon dont ils mènent leur vie. Pour les écrivains, vraiment, les idées flottent dans l’air en tout temps. Vous n’avez qu’à tendre la main et attraper certaines d’entre elles.

N.C. : Question difficile. Pas sûr. Elles m’arrivent comme ça. Je n’essaie pas de creuser pour trouver ce qu’elles cachent parce que ça pourrait révéler des trucs pas nets sur ma psyché. Alors, je les attrape et je me taille avec.

Quel est votre processus d’écriture ?

C’est le même que celui de Nick Cutter – bizarre, mais vrai !

N.C. : Je bois un flacon de venin de serpent, je cogne sur le mur une couple de fois, puis je m’assois au clavier et je crache de la pure dynamite.

Quand vous commencez un roman, qu’en savez-vous ?

Je démarre habituellement avec les personnages, c’est l’essentiel pour moi. Des personnages desquels je me soucie, pour lesquels j’ai de l’empathie ou peut-être que je déteste. Une fois qu’ils sont dans ma tête, je peux me mettre au travail.

N.C. : Habituellement, j’ai une idée de ce que je veux dire, quelques scènes clés, une couple de personnages en tête. Mais je veux me laisser de la place pour les idées malades qui pourraient jaillir pendant que j’écris – et qui sont parfois les plus fortes et les plus puissantes.

À quel moment de la journée préférez-vous écrire ?

Le matin. C’est le moment où se fait le travail. Je suis comme un employé de bureau… sauf que je n’ai pas à me déplacer.

N.C. : Le matin. Je me lève, je prends une tasse de café et quelque chose à grignoter, je me mets devant l’ordinateur et regardez-moi bien aller !

Quel genre de musique écoutez-vous en écrivant ?

Je pouvais écouter la même chanson en boucle pour une scène donnée. Puis, je me suis marié. Mon épouse m’a guéri de cette habitude.

N.C. : Je ne suis pas le genre à écouter de la musique quand je travaille. Ça enterre les voix dans ma tête.

Combien de temps et de versions vous a-t-il fallu pour écrire…

Cataract City ? Un an, un an et demi, quelque chose comme ça. Et beaucoup de versions. Il y a eu une révision majeure, j’ai coupé des sections entières et recalibré la narration. Après, il y a des modifications plus mineures mais innombrables… et nécessaires.

N.C. : … Troupe 52 ? Six semaines. Je sais, il y a des livres qui ont été écrits plus vite, mais c’est mon record personnel. Ça peut toutefois prendre un moment pour amener un premier jet à sa version définitive. Je dirais huit ou neuf versions avant que j’en aie eu marre et que je le laisse aller.

Quels ont été les défis de l’écriture de…

Cataract City ? Je dirais le fait que le récit se déroule dans ma ville natale. J’avais ce sentiment d’être en train de vendre mes concitoyens ou de mal les représenter. C’était un souci.

N.C. : … Troupe 52 ? Aucun défi. Je me suis régalé à écrire ce truc. Chaque jour était une aventure, alors j’ai juste plongé dedans et je me suis éclaté.

Quel réalisateur imagineriez-vous adapter…

Cataract City ? Jacques Audiard, ce serait génial [il a réalisé le long métrage De rouille et d’os à partir d’une nouvelle de Craig], mais je pense qu’il travaille sur un autre projet. Par contre, Gavin O’Connor a pris une option sur ce roman-ci. Alors, je croise les doigts !

N.C. : … Troupe 52 ? Cronenberg est mon homme ! Le grand-père de « l’horreur corporelle ». Il a délaissé l’horreur dans la dernière décennie, peut-être même plus, mais si jamais il voulait faire un retour triomphal dans ce genre, il pourrait le faire avec Troupe 52.

Que pensez-vous de…

Nick ? J’aime son travail. Cela dit, je pense aussi que, en tant que personne, c’est une véritable merde. Nous ne nous entendons pas et on en vient presque aux coups quand on se retrouve dans la même pièce.

N.C. : … Craig ? Je ne pourrais jamais être ami avec cette merde ! C’est un loser. Il ne prend jamais de risque, il opte tout le temps pour la voie la plus sûre. En fait, ce raté me rend malade.

Troupe 52

Nick Cutter

Traduit par Éric Fontaine

Alto, 430 pages

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