Maripier Morin

Image de marques

Maripier Morin animera demain la soirée Artis, sur les ondes de TVA, en compagnie de Jean-Philippe Dion. Elle est elle-même finaliste dans deux catégories, pour son animation du talk-show Maripier ! à Z Télé et pour celle de Face au mur à TVA. L’égérie de Revlon sera l’une des actrices principales du nouveau film de Denys Arcand, La chute de l’empire américain, à l’affiche le 28 juin.

J’ai une amie, une de tes fans, qui trouve que tu gères parfaitement ton image…

Ici au Québec – je ne dis pas ça pour me lancer de fleurs – , mais on est les seuls à avoir une vision de « branding » à l’américaine. Aux États-Unis, par exemple, Jennifer Lopez joue, chante, anime, produit ; elle a une collection de cosmétiques et de vêtements. Elle a une image placardée mur à mur, à plein de niveaux, mais elle fait tout bien. Et tout est calculé. Au Québec, on a de la misère avec ça, quelqu’un qui se diversifie. Quelques intouchables le font : Patrick Huard, Guy A… Mais des filles, il n’y en a pas beaucoup.

Véronique Cloutier…

Véro, oui. C’est à peu près la seule à le faire au Québec. Comme on est très forts dans les réseaux sociaux, on s’inscrit un peu dans une nouvelle vague, surtout au niveau des « endorsements » [commandites]. On fait des microcampagnes avec des marques, qui peuvent être très payantes. On a maintenant notre maison de production. On n’a pas vendu les droits pour le mariage [avec son amoureux, l’ancien joueur du Canadien Brandon Prust] parce qu’on voulait que ce soit exclusif pour le web. J’ai tout payé de ma poche parce que c’était ma première production. Ça a coûté plus cher que le mariage ! On se fait proposer mille et un projets, et il faut faire des choix. Sinon, je risque d’être surexposée. Déjà que je suis très exposée ! Tout est calculé. Dans le « branding », on est très conscients de ce qu’on fait. Ce n’est pas tout le monde qui est d’accord avec notre façon de faire, mais, en ce moment, ça fonctionne.

C’est particulier que tu parles au « on »…

C’est Patrick Vimbor [son agent] et moi. Parce qu’on est un monstre à deux têtes. Souvent, ça fascine les gens de voir à quel point on accomplit des choses en étant juste deux. Je n’ai pas d’assistante. Il n’y a personne qui travaille avec moi. Parce que je suis capable de « steamer » mon linge et de payer mes factures, même si je suis un peu désorganisée ! Je n’en vois pas la nécessité. Ça peut être infantilisant. Je trouve que parfois, on devient un peu paresseux. Il y a des gens qui… Mettons que je suis capable de déboucher ma canette de Coke toute seule.

Contrairement à d’autres ? On veut des noms…

Il ne travaille plus maintenant [sourire]…

Il y a un contraste saisissant entre tes débuts à la télévision, à Occupation double, et cette image aujourd’hui très étudiée. Il n’y avait pas de calcul à l’époque d’OD. C’était un saut dans le vide…

Sans parachute. Le parachute n’a jamais ouvert ! J’ai fucké ma réputation bien comme du monde. En même temps, il y a quelque chose qui n’a pas changé dans ma façon d’être. Je la canalise mieux, mais j’ai gardé cette ouverture-là, cette générosité. Je reste sans filtre et je n’ai pas peur du jugement. Je ne m’en souciais pas dans OD. C’était une autre époque [en 2006]. Les réseaux sociaux n’existaient à peu près pas. On n’allait pas là pour se créer une image de marque. On allait s’amuser, faire des voyages, rencontrer du monde, manger de la bonne bouffe, vivre dans un hostie de beau château à Terrebonne ! Pour nous, c’était le rêve. Je n’avais pas voyagé encore. C’était une occasion de le faire. Mais il a fallu que je deale avec les conséquences en sortant.

Tu en as tiré des leçons pour la gestion de ton image ?

L’image est contrôlée, tout est calculé, mais le propos ne l’est pas ! C’est ça qui n’a pas changé. Je suis restée libre. Je ne vais jamais me dénaturer. Ça, Patrick est très à cheval là-dessus. C’est là que réside toute mon authenticité. Le jour où je vais perdre ça, les gens vont perdre tout intérêt pour moi, parce que je serai devenue un produit.

Est-ce qu’il y a eu un moment après Occupation double où tu as pensé que tu ne t’en remettrais pas ?

Je n’aime pas en parler parce que c’était une période très sombre et je ne veux pas me victimiser. Mais je me rappelle m’être arrêtée devant le RONA pour regarder les cordes, et de m’être mise à pleurer parce que je ne savais pas comment faire un nœud. Tout ce que je lisais partout, c’est que j’étais une méchante, que je n’avais pas de valeurs, que j’étais le pire être humain sur la planète. J’allais les laisser gagner, leur donner ce qu’ils voulaient, mais je n’étais même pas capable de le faire. C’est difficile à expliquer, la détresse psychologique dans laquelle tu peux être plongé après une émission comme celle-là, si tu n’as pas quelque chose à quoi te rattacher.

Il y a une ex-gagnante de Loft Story, Julie Lemay, qui a écrit un livre là-dessus en 2005…

Ce n’est pas rose. Pour certaines personnes, après, ce n’est vraiment pas évident. Si je n’avais pas eu Le banquier, qui est arrivé comme une bénédiction, je ne sais pas comment je m’en serais sortie.

Aujourd’hui, les candidats d’OD font leur propre « branding » sur les réseaux sociaux, où ils font notamment la promotion de leurs interventions esthétiques commanditées. Quel regard poses-tu là-dessus ?

Je ne porte pas de jugement là-dessus. C’est la réalité dans laquelle on vit aujourd’hui. Je dirai une seule chose : il y a beaucoup moins d’authenticité qu’il y en avait à l’époque. Même physiquement, si je compare les filles de mon année avec les filles de cette année, c’est le jour et la nuit. Il n’y avait pas de « siliconées » dans notre groupe. Les concurrents sont parachutés dans un monde qui est tout nouveau pour eux, sans trop d’aide. Ils font du mieux qu’ils peuvent avec cette nouvelle notoriété. On ne parlait pas de notre physique à l’époque, mais de nos stratégies. Il n’était pas question d’esthétique, bien au contraire.

Et pourtant, aujourd’hui, on te ramène souvent à ton physique. Certains ont réagi au fait que Denys Arcand, à Tout le monde en parle, a dit qu’il t’a remarquée parce que tu l’as interviewé en shorts et en t-shirt. Et que ça sonnait comme un vieux cinéaste qui trippe sur les jeunes actrices…

Si je peux défendre Denys : oui, il est de la vieille école. Pour lui, une actrice, ça passe beaucoup par les yeux. Il a dit que j’étais en shorts et en t-shirt, mais il a aussi parlé de la réflexion de la lumière dans mes yeux. Il s’est dit : si elle est capable de jouer, avec les yeux qu’elle a, il va se passer quelque chose. Sa réflexion allait plus loin. Peut-être qu’il n’a pas eu le temps de tout expliquer en entrevue. C’est ce qu’il m’a expliqué quand je lui ai demandé pourquoi il voulait me voir en audition, même si je n’avais jamais joué. Ça a pris trois auditions avant que je sois capable de le convaincre que j’avais les reins assez solides pour tenir le coup. Denys n’est pas suicidaire ! Ce n’est pas un imbécile. Il ne va pas donner le premier rôle à une fille juste pour ses beaux yeux…

… si elle ne sait pas jouer.

Exactement. Les gens qui s’attardent à ça n’ont rien de mieux à faire. S’ils veulent y voir un vieux cinéaste cochon qui trippe sur une belle fille, je n’ai même pas de temps à perdre avec eux. Il est tout sauf ça. Il a été très protecteur et généreux. Et Denise [Robert, productrice du film] aussi. Je leur ai fait confiance. J’ai fait le saut parce qu’ils pensaient que j’en étais capable. Je leur ai dit : « Ne me laissez pas me planter ! » Ils auraient pu prendre une actrice avec de l’expérience, mais c’est moi qu’ils voulaient. Ils ont même payé mon coaching avec Johanne-Marie [Tremblay]. J’ai fait les auditions avec plusieurs actrices chevronnées. Les gens qui disent que je l’ai volé, ce rôle-là, et que je l’ai eu sans avoir à travailler, j’ai le goût de leur dire : « Allez tous chier ! »

Il y en a eu ?

Oui. J’ai lu sur Facebook une actrice écrire : « Finalement, pour jouer dans un film de Denys Arcand, il faut avoir fait Occupation double ! » Je sais qu’à l’interne, dans les cliques, ça a beaucoup fait parler, ça a dérangé. Je dérange depuis que je suis rentrée dans la business. On disait la même chose quand je suis devenue chroniqueuse et animatrice. Une ancienne d’Occupation double qui vole nos jobs ! J’ai l’impression que le spectre d’Occupation double me suit toujours. En tant qu’animatrice, on questionne de moins en moins ma place. D’avoir deux nominations au gala Artis, ça veut dire que le public aussi trouve que je fais un travail correct. Mais le film ramène les préjugés sur la fille d’Occupation double. On veut pouvoir dire que c’est une fille de téléréalité qui va jouer dans un film de Denys Arcand. Dire que je suis une animatrice, c’est m’accorder trop de standing. Il faut me diminuer le plus possible.

Tu réagis comment à ça ? As-tu un esprit de battante ?

Je n’ai pas d’énergie pour me battre. C’est malheureux à dire, mais les gens qui chialent et qui font des sorties, c’est souvent ceux qui ne travaillent pas. C’est souvent de l’envie ou, encore pire, de la jalousie. Il n’y a pas de place dans mon horaire, dans mon cerveau et dans mon cœur pour ce genre d’affaires. Si ça dérange les gens que j’aie du succès, il n’y a pas grand-chose que je peux y faire.

As-tu l’impression que ça te nuit, d’être considérée comme « la belle fille » ?

Au Québec, on ne fait pas l’apologie de la beauté. Ce serait vraiment plus simple pour tout le monde si j’étais conne. Je serais belle et conne. Ça ferait plaisir à beaucoup de monde. Je lisais les commentaires sur Tout le monde en parle sur les réseaux sociaux. C’est toujours la même affaire : les gens qui ne m’aiment pas disent que je suis vide, que je n’ai pas de contenu, que je n’ai rien à dire, que je suis la représentation même de l’anticulture, alors que je suis une fille très curieuse, que je regarde énormément de films, que je lis. Je suis obligée de me mettre à citer des grands auteurs et à parler de politique pour prouver que j’ai de la culture. Je trouve ça dommage. Aux États-Unis et en Europe, les belles filles qui ont du succès, c’est correct. Pourquoi ce traitement est-il seulement réservé à moi ? Karine Vanasse, Sarah-Jeanne Labrosse, Magalie Lépine-Blondeau, ce sont de super belles filles. Pourquoi moi, on me met le chapeau de la cruche ?

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