Essai

Il faut parler de racisme systémique

La commission sur le racisme systémique n’a pas eu lieu, mais ce n’est pas une raison pour faire l’économie d’un débat important. Un collectif d’auteurs – parmi lesquels on trouve Will Prosper, Webster, Fabrice Vil, Stella Adjokê et Widia Larivière – discute des différentes facettes du racisme, question d’amorcer une discussion publique. Présidente de la fondation Paroles de femmes et membre de l’incubateur Hoodstock à Montréal-Nord, Amel Zaazaa a codirigé l’ouvrage avec le philosophe Christian Nadeau. Nous lui avons parlé.

Pourquoi ce livre ?

L’idée est née il y a plus de deux ans. Quand il a été question de la commission sur le racisme systémique, il y a eu beaucoup de controverse dans les médias. Les gens ont réagi fortement, ils ont cru que tous les Québécois étaient accusés d’être racistes. Pourtant ce n’était pas la première fois qu’on en parlait. Déjà en 1969, lors des émeutes à l’Université Concordia, les gens réclamaient une telle commission. Il faut faire une différence entre le racisme individuel et le racisme systémique. On a voulu nuancer tout ça, d’autant plus que le débat se faisait sans que les personnes concernées soient impliquées. Avec Christian Nadeau, de l’Université de Montréal, qui est également président de la Ligue des droits et libertés, on a voulu faire un livre qui s’adresserait au plus grand nombre, un livre accessible qui serait aussi un outil d’éducation populaire.

Comment définissez-vous le racisme systémique ?

Quand on parle de racisme systémique, on ne parle pas d’une société qui a érigé le racisme en système, mais bien d’un ensemble d’oppressions subies par les personnes racisées dans différents domaines (la justice, la santé, l’éducation, etc.). Quand, par exemple, un seul nom peut être un obstacle majeur à l’obtention d’un logement ou d’un emploi, c’est du racisme systémique. Si mon voisin ne m’aime pas, c’est du racisme individuel et ce n’est pas très important. Mais si ce même voisin a le pouvoir de me priver de quelque chose d’important, d’un droit, alors là, on parle de racisme systémique. Avec le livre, nous allons entreprendre une tournée d’éducation populaire. Nous irons dans les écoles pour entamer un dialogue. Il ne s’agit pas de montrer du doigt des individus ou des groupes, mais bien de prendre acte, d’identifier les problèmes et de trouver des solutions. SLĀV nous a montré que c’est possible, qu’à l’abri des caméras on peut se rencontrer, dialoguer, aller au-delà des susceptibilités de chacun et avancer. On peut faire la même chose avec le racisme.

Les médias sont souvent montrés du doigt dans le livre. Quel rôle peuvent-ils jouer ?

Prenons le terme d’« appropriation culturelle ». Les gens ne comprenaient pas ce que cela signifiait. Mais grâce au débat et aux nombreuses discussions, ils ont finalement compris. C’est un exemple positif du rôle que peuvent jouer les médias lorsqu’ils expliquent des concepts. Ils peuvent également donner des tribunes à des gens qui n’en ont pas, sinon le débat se fait sans nous. Mais il faut une volonté politique et sociale. Et il faut refuser que les politiciens instrumentalisent les peurs, comme c’est le cas dans le débat sur l’immigration, par exemple. Je suis arrivée au Québec il y a cinq ans, je parle parfaitement français. Or on parle de moi comme si je n’étais pas voulue au Québec. Les immigrants ont l’impression de ne pas être des citoyens à part entière. On parle de nous comme si nous étions un bloc monolithique. Or nous avons droit à notre individualité.

Dans plusieurs textes, on évoque l’intervention des policiers à Montréal-Nord le 9 août 2008. On comprend qu’il y a un avant et un après-Fredy Villanueva…

Sa mort a été un déclic. Les gens de Montréal-Nord vivaient déjà de la colère, mais ç’a été reçu comme une injustice flagrante. La couverture médiatique de l’époque a été perturbante. On parlait de casseurs, on associait automatiquement les jeunes de Montréal-Nord aux gangs de rue. Il y a eu un bris de confiance entre la population, les médias et le politique. Hoodstock est né de ça, de cette colère. Mais avec le temps, c’est devenu un outil de dialogue et un incubateur de projets. En 10 ans, on a montré qu’on était capables de mener des projets à terme, de se prendre en mains. Hoodstock est à l’origine de la librairie Racines, de la Maison numérique pour les jeunes, d’un projet pour la santé mentale des femmes racisées. C’est un laboratoire intéressant. On a pris la colère et le sentiment d’injustice et on les a transformés en modèle inspirant. Le problème, c’est que les groupes communautaires de Montréal-Nord sont sous-financés quand on les compare à d’autres groupes semblables. Ce qui illustre exactement ce dont on parle dans notre livre…

11 brefs essais contre le racisme : pour une lutte systémique

Dirigé par Amel Zaazaa et Christian Nadeau

Éditions Somme toute 

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