Opinion

Le français à la rescousse du Canada à l’ère de Trump

Le comportement hyper-capricieux des États-Unis sous le président Trump envers le Canada, tout comme envers ses autres alliés (sans mentionner ses ennemis), confirme une thèse que je prône depuis une décennie.

Cette thèse veut que si le Canada souhaite survivre à ce siècle, il doit absolument et rapidement jeter les bases d’une réflexion et d'un imaginaire stratégique indépendants. Autrement dit, le projet de société, voire de survie de notre pays, doit répondre à cette question fondamentale : 

Comment faire en sorte que le Canada puisse, sur le plan de sa stratégie internationale et globale, « penser par et pour lui-même » ?

Comment procéder au-delà de simples « représailles tarifaires » – gestes qui s’inscrivent purement dans le domaine de la tactique, voire de l’improvisation – dans un contexte où la majorité de notre classe politique et de nos leaders économiques évoluent, consciemment et inconsciemment, dans des cadres intellectuels, culturels et commerciaux définis exclusivement par nos voisins américains ?

Comment prétendre penser par et pour soi-même lorsque l’on constate que, d’une part, les Américains, parvenus à une certaine limite, ne nous défendront pas en cas de guerre ou de conflit, et que, d’autre part, nos dirigeants ne cessent tout de même de consulter le New York Times, CNN, Facebook, Twitter et les groupes de réflexion et autres experts de Washington, de Harvard et de Silicon Valley, afin de nous faire comprendre comment fonctionne le monde et comment nous devrions vivre ?

Comment prétendre penser par et pour soi-même quand nos hommes et femmes politiques ne tardent à dénoncer Trump mais persistent à citer Lincoln, Kennedy et Obama aux dépens de Macdonald, Cartier, Laurier ou Pearson ? (Et si les États-Unis, davantage radicalisés, décidaient de nous attaquer d’ici 10 ans ?)

Une réflexion stratégique authentiquement canadienne, n’existant clairement pas aujourd’hui, ne peut être formulée, en ce début de siècle, uniquement en langue anglaise.

Si l’anglais continue à monopoliser les débats et les discours stratégiques au Canada, nous ne saurions sortir du vocabulaire et de la logique « paramétriques » étatsuniens sans mettre davantage l’accent sur le fait francophone et la langue française au Canada – source originale de la différence constitutionnelle du pays et atout stratégique primordial dans la conjoncture présente et à venir.

Je m’explique.

La genèse d’une vraie pensée et tradition stratégique canadiennes au XXIe siècle nécessite trois gestes fondamentaux. Dans un premier temps, il faut généraliser la maîtrise du français sur l’ensemble du territoire canadien d’ici 20 ans. Si la part actuelle du bilinguisme au Canada ne dépasse pas les 18 %, une vraie stratégie nationale sur les langues devrait cibler une maîtrise parfaite et totale des deux langues officielles au sein des futures générations canadiennes.

Puiser à d'autres sources

C’est bel et bien cette capacité de penser dans une deuxième, sinon une troisième langue, qui aiderait nos décideurs nationaux à élargir leur imaginaire stratégique, à consulter davantage de sources d’information et de savoir à l’échelle globale et à être plus éclectiques dans leurs choix de relations avec les pays au-delà du continent nord-américain.

Dans un second temps, il faut multiplier le nombre de groupes de réflexion et de forums francophones au Canada – aussi bien au Québec que dans le reste du Canada – ayant pour vocation la création d’une réflexion stratégique véritablement canadienne.

Dans ce sens, nous nous devons de saluer les récents efforts du jeune Forum St-Laurent sur la sécurité internationale et le lancement, sur l’initiative du ministère des Relations internationales à Québec, du premier groupe de réflexion francophone sur les relations internationales au sein de l’Institut d’études internationales de Montréal.

Dans la mesure où l’on réussit à généraliser le bilinguisme au Canada, nous pourrions voir, sans complexes, émerger un jour des forums et des centres de recherche et de réflexion francophones sur les relations internationales et la politique étrangère canadienne aussi bien à Edmonton qu’à Toronto ou encore à Charlottetown.

Enfin, il nous faut assurément une littérature francophone pancanadienne au-delà des bornes du Québec, de l’Acadie et de l’Ontario et du Manitoba francophones. Au sein des librairies de Mississauga, de Vancouver et d’Halifax, et bien évidemment en ligne, nous devrions pouvoir activement profiter d’ouvrages en français composés par des auteurs œuvrant dans la langue de Molière, qu’ils viennent de Whitehorse ou de Cornerbrook. Il en est de même pour les journaux, la télévision, la radio et le théâtre canadiens – tout en espérant que ces canaux de savoir et d’information soient abordables, populaires et rentables sur tout le territoire.

En bref, le fait de promouvoir la langue française et le bilinguisme au Canada est devenu aujourd’hui moins un enjeu d’unité nationale et davantage un défi essentiel à la survie du pays comme entité à part entière sur la scène internationale.

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