Kevin Cheveldayoff

Le triomphe de la patience

Il y a des directeurs généraux plus disponibles que d’autres.

Kevin Cheveldayoff rappelle alors que vous vous trouvez à l’accueil chez l’optométriste.

« Pas de problème, rétorque-t-il. Le numéro sur ton afficheur est celui de mon cellulaire. Tu rappelles quand tu peux. »

Le DG des Jets ne connaît pourtant son interlocuteur de La Presse ni d’Ève ni d’Adam. La grande classe !

Calme, courtoisie, discrétion, trois mots pour décrire cet homme originaire de Saskatoon.

Et patience, aussi. Surtout. Quand Cheveldayoff a été embauché par les Jets, à la suite du déménagement des Thrashers d’Atlanta à Winnipeg, en juin 2011, il a exhorté ses partisans à se montrer patients.

Cheveldayoff allait reconstruire l’organisation brique par brique. Il a mis trois ans et demi à effectuer son premier échange joueur contre joueur…

Mais aujourd’hui, avec les Mark Scheifele, Blake Wheeler, Nikolaj Ehlers, Patrik Laine, Nic Petan, Dustin Byfuglien, Jacob Trouba, Tyler Myers, Connor Hellebuyck et compagnie, les Jets ont l’un des clubs les plus prometteurs de la LNH.

« J’ai peut-être mis trois ans et demi avant d’obtenir des joueurs, mais il y a des nuances à apporter, dit-il. Ce n’était pas mon but, je voulais obtenir des choix au repêchage. J’aurais pu échanger mille fois les Scheifele et Trouba dans nos premières années pour obtenir de meilleurs joueurs à court terme, mais ça aurait été à l’encontre de nos objectifs à long terme. »

Oublier le passé

En six repêchages depuis son arrivée, Cheveldayoff a offert huit choix de première ronde à ses recruteurs. Les Jets ont ainsi pu repêcher les Scheifele, Trouba, Ehlers, Connor et Laine.

Mais il fallait couper le lien avec le passé des Thrashers, une piètre organisation en termes de repêchage.

Cheveldayoff a remercié le recruteur en chef des Thrashers, Dan Marr, dès son entrée en poste, et promu Marcel Comeau et Mark Hillier à des positions de pouvoir. Depuis l’an dernier, Hillier est responsable des opérations.

Les Jets détenaient le septième choix au total en juin 2011, lors du premier repêchage de Cheveldayoff à titre de DG. Ils ont jeté leur dévolu sur Mark Scheifele, derrière Ryan Nugent-Hopkins, Gabriel Landeskog, Jonathan Huberdeau, Adam Larsson, Ryan Strome et Mika Zibanejad.

Aujourd’hui, Scheifele est le troisième compteur de la LNH derrière Connor McDavid et Nikita Kucherov.

« Je me rappelle cette journée. J’ai dit de toujours croire dans les valeurs de notre organisation. Repêcher uniquement des joueurs dont ils sont convaincus qu’ils deviendront un Jet, et pas seulement le prochain gars sur la liste. L’écart est mince entre le joueur 1 et le joueur 2 sur notre liste. Il faut tenir compte de plusieurs aspects, en particulier le caractère du joueur. Repêcher est un art, pas une science. »

Voilà une déclaration intéressante. En quoi repêcher est-il un art ? « On a accès à des tonnes d’analyses, répond Cheveldayoff. On peut être attiré par des joueurs qui semblent fantastiques. Il faut aussi savoir déceler autre chose et aussi prévoir comment le jeune pourra se développer quelques années plus tard. Même à 19 et 20 ans, il y a beaucoup d’incertitudes. »

Du flair... et de la chance

Il faut du flair pour bâtir un club de hockey, mais aussi de la chance. Blake Wheeler a été acquis des Bruins par le prédécesseur de Cheveldayoff, Rick Dudley (l’actuel adjoint de Marc Bergevin), quelques mois avant son entrée en poste. Il a coûté seulement Rich Peverley et Boris Valabik. Un vol.

Laine a été obtenu avec le deuxième choix au total en juin, après que les Jets eurent remporté la loterie. « On a vraiment gagné la loterie en passant de la sixième à la deuxième position au repêchage, dit Cheveldayoff. Laine s’est bien implanté bien au sein du groupe. Il veut constamment être le meilleur. Il travaille fort pour y arriver. »

Le choix au repêchage dont il est le plus fier ? « Là-dessus, je dois une fière chandelle à notre entraîneur du développement des gardiens, Rick St-Croix. En 2012, nous lui avons demandé d’avoir à l’œil un groupe de gardiens que nous avions identifiés à quelques mois du repêchage. Certains d’entre eux étaient cotés très haut. Il est revenu de sa tournée en nous disant qu’il aimait bien ces gardiens, mais en particulier celui-là. Nous l’avons écouté. »

Celui-là, c’était Connor Hellebuyck, 23 ans, le gardien numéro un des Jets de Winnipeg.

L'ombre des Bowman

Cheveldayoff s’inspire beaucoup des Blackhawks de Chicago. Il y a travaillé deux ans à titre de bras droit de Stan Bowman.

« Les Blackhawks ont vécu de nombreuses années d’instabilité avec des changements réguliers au sein de la direction, mais l’équipe a commencé à gagner quand la stabilité a été trouvée. Nous avons voulu instaurer cette stabilité à Winnipeg. Nous sommes dans un marché qui connaît et comprend le hockey et qui sait ce que nous tentons de faire. »

Pour Cheveldayoff, la communication demeure l’atout le plus important au sein d’une organisation. « Notre président à Chicago, John McDonough, a eu une grande influence sur nous par sa façon d’établir la communication, du haut au bas de l’échelle. Il a su fabriquer une “marque” à Chicago, pas seulement sur la glace, mais dans la façon de traiter ses employés. »

Et, évidemment, il y a l’ombre des Bowman.

« Stan est un grand penseur. Il a beaucoup de qualités de son père. Nos conversations étaient très stimulantes. Scotty a été fantastique à côtoyer lui aussi, évidemment. On lui posait beaucoup de questions. »

— Kevin Cheveldayoff, directeur général des Jets de Winnipeg

Kevin Cheveldayoff a réglé trois dossiers épineux depuis un an. Il a offert une prolongation de contrat de cinq ans à son défenseur Dustin Byfuglien, à raison d’un salaire de 7,5 millions par année, mis sous contrat Jacob Trouba pour deux ans et rétrogradé son gardien numéro un de l’an dernier, Ondrej Pavelec, dans les mineures.

Le dossier Byfuglien était important pour lui.

« Quand je me suis assis avec lui, six à huit semaines avant qu’il n’obtienne son autonomie, je lui ai demandé : “Dust, pourquoi veux-tu rester avec nous ? Il a dit qu’il adorait notre direction, qu’il adorait nos kids, que sa famille aimait Winnipeg et qu’il croyait en notre processus. J’ai gagné un championnat avec Dust à Chicago, je l’ai vu grandir, ce sont de tels moments qui te font croire que tu as suivi la bonne recette. »

Une blessure qui a tout changé

Kevin Cheveldayoff était un bon joueur de hockey. Au point que les Islanders de New York en ont fait leur premier choix, 16e au total, lors du repêchage de 1988. Il a été choisi tout juste après les Québécois Claude Boivin et Réginald Savage, devant Troy Malette, Stéphane Fiset et Tie Domi.

Mais à son retour dans les rangs juniors avec les Kings de Brandon Wheats quelques mois après le repêchage, son patin est resté coincé dans une fissure de la glace, un adversaire est tombé sur lui et son genou a éclaté.

« Les quatre ligaments se sont déchirés et une partie de mon fémur s’est fracturée. Les médecins qui m’ont opéré m’ont dit que je ne jouerais plus jamais au hockey. Mais les Islanders ont eu la courtoisie de m’offrir un contrat. J’ai fait ma rééducation et j’ai pu revenir au jeu. »

Cheveldayoff a pu jouer trois ans dans la Ligue américaine et un an dans la Ligue internationale, mais à 24 ans et un genou qui l’empêchait de retrouver l’élan des beaux jours, il savait son rêve de jouer dans la LNH inaccessible.

En 1992, à l’aube du quart de siècle, son ancien entraîneur Butch Goring lui offre un poste d’adjoint au directeur général et entraîneur adjoint. Il saute sur l’occasion !

« Je savais que ça serait difficile et j’ai décidé de tout mettre en œuvre pour devenir un DG dans la LNH, même avant d’avoir ce poste. J’analysais le jeu des joueurs des Islanders, Bob Nystrom, Bryan Trottier, Billy Smith, je passais du temps avec eux, je voulais apprendre le secret de leurs succès. J’avais une bonne relation aussi avec l’assistant du DG Gerry Ehman. Je regardais même des matchs avec lui quand j’étais en rééducation ! »

Sa blessure a aussi été à l’origine d’une autre grande rencontre. « Celle qui allait devenir ma femme et la mère de mes enfants était sauveteuse à la piscine où je faisais mes exercices de rééducation. La blessure n’a pas été favorable à ma carrière de joueur, mais elle m’a apporté tout ce que j’ai aujourd’hui. »

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