Chronique

#NetouchezpasauxCPE

J’ai envie de lancer une campagne dans les réseaux sociaux.

Ça pourrait s’appeler #lesCPEontchangémavie.

Et j’inviterais toutes les familles du Québec à venir témoigner de l’impact des CPE sur leurs revenus, sur leur qualité de vie, sur le développement de leurs enfants, sur leur paix d’esprit…

Je demanderais plus particulièrement à toutes ces femmes à la tête de familles monoparentales qui ont finalement pu aller travailler à l’extérieur de venir expliquer ce que leur a apporté l’accès à un service de garde abordable et de qualité, à elles, et à leurs petits.

Il est sûrement formidable et efficace de manifester comme l’ont fait des milliers et des milliers des personnes à travers le Québec pour la protection de l’universalité du système actuel de garderies publiques.

Mais j’essaierais aussi différemment, par toutes sortes d’autres moyens, de faire comprendre au gouvernement libéral de Philippe Couillard qu’on ne joue pas dans un système qui fonctionne. Qui a façonné la vie de toute une nouvelle génération de parents.

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On n’arrête pas, au Québec, de répéter à quel point on est inquiet de voir à Ottawa les conservateurs de Stephen Harper changer en douce, en faisant fi de notre opinion, des éléments fondamentaux qui charpentent ce pays. Statistique Canada, Radio-Canada, les organismes de recherche, de défense des droits, d’aide à l’égalité, sans parler de nos programmes de contrôle des armes à feu et nos activités diplomatiques internationales, pacifiques et progressistes, qui ne sont plus que l’ombre de ce qu’elles étaient du temps de Lester B. Pearson, de Trudeau et même de Brian Mulroney… Et je ne parle même pas du fiasco du dossier pont Champlain–Maurice-Richard.

On déteste comment Harper ne nous écoute pas et remet en cause notre conception du partage, de la culture, de la responsabilité mutuelle.

C’est presque un consensus.

Alors pourquoi accepter que les libéraux en place à Québec, faisant fi de leurs promesses électorales, veuillent bouger de façon tout à fait semblable, notamment dans le dossier des CPE ?

En augmentant les tarifs de garderie au printemps, comme le rapportent les médias, on prendrait le risque d’ébranler un système qui fonctionne.

Et on prendrait le risque de faire reculer la société de 20 ans…

Est-ce vraiment différent de ce que fait M. Harper ?

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Pour défendre le système de garderies, je pourrais revenir sur la fameuse étude signée notamment par Pierre Fortin, l’économiste « lucide » de l’UQAM, que personne ne pourra qualifier de gauchiste en goguette.

Cette recherche a calculé que, grâce à l’augmentation du taux d’emploi chez les parents depuis la mise en place du système de garderies publiques en 1997, l’État récupère presque 1,5 $ en entrées fiscales et en dépenses en moins pour chaque dollar investi.

Québec retrouve tout son argent, donc 1 $ par dollar dépensé, et Ottawa gagne presque 50 cents sans avoir levé le petit doigt.

Selon cette recherche, signée aussi par Luc Godbout, professeur de fiscalité à l’Université de Sherbrooke, les CPE ont eu un impact direct sur le nombre de familles dépendant de l’aide sociale.

Ainsi, les abrutis qui crient des horreurs remplies de préjugés aux « BS » devraient être les premiers apôtres des CPE tels qu’ils existent puisque, selon la recherche, le nombre de familles monoparentales dépendant de l’assistance sociale a fondu de moitié – oui, de moitié – après la mise en place du système de CPE.

Mais selon la nouvelle approche libérale, ou du moins les hypothèses qu’on a fait circuler dans les médias, on n’augmenterait pas le tarif des CPE pour les familles moins fortunées. Juste pour celles gagnant plus de 75 000 $. Ainsi, les familles les plus pauvres garderaient leur accès aux CPE tel quel.

Mais qu’arriverait-il des autres familles ? Et qu’est-ce qu’une famille gagnant 75 000 $ ? C’est, par exemple, un père qui gagne 40 000 $ et une mère, 35 000 $. Ce ne sont pas des avocats ou des neurochirurgiens, on s’entend. Ou encore, une mère qui gagne 15 000 $ et un père qui gagne 60 000 $. Pensez-vous qu’une augmentation de 50 % du tarif des CPE n’aura aucun impact sur leur décision d’envoyer leurs enfants en service de garde ?

Il est facile d’imaginer que les augmentations de tarif de CPE auraient un impact sur leur fréquentation en convainquant les mères (et certains pères aussi, j’imagine), de rester à la maison. Le gouvernement libéral a-t-il des études démontrant que l’effet d’une hausse des tarifs serait marginal ? A-t-il demandé au Conseil du statut de la femme de le mesurer ?

Parce qu’on ne veut pas réduire le nombre d’enfants en garderie, on veut l’augmenter, n’est-ce pas ?

Sans même parler de choix de société, d’égalitarisme, de progressisme, d’un point de vue strictement économique, on veut plus de bébés futurs contribuables et plus de parents au travail qui paient des impôts et des taxes, non ?

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La fin de l’universalité du programme de CPE est difficilement défendable sans promouvoir, en même temps, la fin de l’universalité du système de santé et d’éducation. Si les riches sont si riches, pourquoi ne paient-ils pas plus pour envoyer leurs enfants dans les écoles publiques ? Pourquoi ne paient-ils pas des frais supplémentaires – autres que leurs impôts – quand ils utilisent le réseau de la santé ? Voilà qui apporterait des revenus supplémentaires à l’État…

Pourquoi est-ce que l’universalité du programme de garderies serait-elle attaquable, elle ?

Est-ce que le premier ministre comprend l’impact que ce programme a eu sur toute une génération de jeunes parents ? Au-delà des chiffres, pourquoi ne parlerait-on pas de que ce que cela signifie, vivre dans une société où on fait la promotion concrète de l’égalité et de la qualité de l’éducation en aidant directement les parents qui veulent travailler par des solutions concrètes comme les services de garde ?

Je vous le dis, j’ai envie de lancer une campagne sur les réseaux sociaux pour que des milliers et des milliers de parents expliquent à M. Couillard qu’on ne doit pas prendre le risque de gâcher un des programmes sociaux les plus efficaces à avoir vu le jour depuis la Révolution tranquille.

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