La tempête de l’hiver

Les oubliés de l’A13

Trois cents voitures enlisées dans la neige. Des automobilistes coincés durant près de 13 heures. Des familles. Des enfants. Des personnes âgées. Ils revenaient du travail, du hockey, de voyage. Certains ont manqué d’essence. D’autres n’avaient pas de chauffage et rien à manger. Durant des heures, ils n’ont eu ni secours ni information. Que s’est-il passé sur l’autoroute 13 ? Récit.

18 h

L’accident qui déclenche tout

Le conducteur d’un poids lourd perd la maîtrise de son véhicule, qui se met en portefeuille sur l’autoroute 13 Sud, à la hauteur de la rue Hickmore, et sème la pagaille. Karim Mirshak raconte avoir été témoin d’un accrochage. « L’accident impliquait un total de cinq véhicules. Un était à part et les quatre autres étaient collés ensemble en tête à queue », dit-il. Le bouchon se forme. Des poids lourds en difficulté bloquent aussi la sortie pour l’autoroute 520, seule autre issue. Serge Lampron, un automobiliste qui est passé sur l’autoroute en direction Nord peu après, a vu la congestion. « J’ai vu les camions immobilisés sur la 13 sur un faux plat juste au sud du tunnel de Dorval. Il y avait trois camions côte à côte pris. Il y avait plusieurs kilomètres d’attente derrière », raconte-t-il. Les chasse-neige de l’entreprise Roxboro Excavation, responsable du déneigement de l’autoroute 13, avaient dégagé les voies en direction nord, mais se sont retrouvés coincés dans le bouchon lorsqu’ils ont voulu revenir en direction sud.

19 h

La police à pied

Un patrouilleur de la Sûreté du Québec atteint le site de l’événement… à pied. Il a dû abandonner son véhicule plusieurs centaines de mètres plus tôt, car même avec ses gyrophares allumés, il n’arrivait plus à se frayer un chemin dans la circulation. Deux autres collègues arrivent à le rejoindre peu après. Rapidement, les voitures des trois policiers se retrouvent prisonnières dans la neige. Les rapports de la SQ indiquent qu’ils ont demandé deux, possiblement trois remorqueuses, qui se sont elles-mêmes enlisées en chemin. Les policiers sont en contact constant avec le ministère des Transports pour tenter de faire déblayer la chaussée. Ils l’appellent plus d’une centaine de fois, selon nos sources. Sans succès. « Malgré la tempête qui s’en venait, aucune équipe supplémentaire n’avait été appelée au travail. Je ne sais pas si c’est pour économiser », explique Christian Daigle, président du Syndicat de la fonction publique du Québec.

23 h

L’arrêt complet

Josée Guidi est en route vers la maison avec ses fils de 3 et 13 ans après la partie de hockey de son plus vieux lorsqu’elle s’engage dans une bretelle menant à l’autoroute 13. Jusqu’à 23 h, ça avance à pas de tortue, puis c’est l’arrêt complet. « À ce moment, les enfants avaient de l’eau et des collations dans l’auto, donc tout allait relativement bien. De l’impatience, des  “j’ai envie de pipi”, quelques pleurs, mais on s’en accommode », raconte la maman. À 8 h le lendemain, elle n’a toujours pas bougé. « Je m’assure de démarrer la voiture toutes les 20 minutes pour garder la chaleur pour les enfants. Ça ne dort pas bien. Ça se réveille parce qu’il fait trop chaud, trop froid, pipi, j’ai soif, est-ce qu’on a bougé, maman ? » Ce n’est qu’à 6 h qu’elle a de l’aide : les pompiers. Avant cela, des voisins de voiture bien intentionnés lui ont demandé si tout allait bien, lui ont offert du fromage.

23 h 50

Ignorés dans leurs voitures

La Sécurité civile de la Ville de Montréal organise une conférence téléphonique pour discuter de la gestion de la tempête. Des représentants du ministère des Transports (MTQ), qui a juridiction sur les autoroutes, y participent. Selon le maire Denis Coderre, ils font état de la fermeture de l’autoroute 13 et des difficultés de déneigement. « Le MTQ ne mentionne pas que des citoyens sont pris sur l’autoroute », affirme le maire dans une chronologie des événements publiée hier après-midi. Une autre conférence téléphonique a lieu à 1 h 40. Le MTQ n’y participe pas.

Minuit

Dodo au bureau

Emmanuel Dionne vient de mettre quatre heures à parcourir les 500 mètres qui le séparaient d’une sortie d’autoroute. Il n’a presque plus d’essence. La sortie devant lui est bloquée par de la neige et par des voitures enlisées, mais il tente le coup… et réussit à passer. L’homme a quitté son bureau de l’arrondissement de Saint-Laurent à 19 h 45, mais il ne s’en est pas vraiment éloigné. Il se fait à l’idée. Il ne pourra pas rentrer chez lui, à Verdun. Il décide de retourner à son lieu de travail, où il passera la nuit sur un divan. « Un peu plus et je laissais mon auto [sur l’autoroute] pour partir à pied », raconte-t-il.

2 h 30

Les pompiers alertés

Le Service de sécurité incendie de Montréal (SIM) dit avoir reçu un appel de la part de la Sûreté du Québec, demandant leur aide éventuelle pour évacuer des automobilistes sur l’autoroute 13. Selon toute apparence, il s’agit de la première fois de la nuit qu’un organisme de la Ville de Montréal est mis au courant par Québec que des gens sont coincés dans leur voiture. Les pompiers répondent qu’ils sont disponibles pour intervenir, nous a expliqué Christian Legault, chef aux opérations. Mais on leur indique que la SQ peaufine encore son plan d’intervention et qu’elle rappellera. Les pompiers attendent.

3 h

Appel à l’aide

Jennifer Gilmore est seule dans sa voiture, immobile dans une bretelle d’accès à l’autoroute, depuis près de sept heures, lorsqu’elle décide d’appeler le 911. « Je ne savais plus quoi faire. On n’avait aucune nouvelle, aucune communication », raconte-t-elle. Depuis 21 h, elle n’a vu ni policier ni employé du ministère des Transports. Un bon Samaritain est venu lui offrir du café. Au bout du fil, le répartiteur lui indique que les autorités sont au courant de la situation et qu’il ne peut « rien lui dire ». Il suggère d’appeler à la ligne d’urgence du ministère des Transports. « Ils m’ont dit qu’ils ne savaient pas combien de temps ça prendrait. » En tout, le 911 aura reçu 317 appels concernant des territoires sous la juridiction de la SQ à Montréal durant la nuit, selon le maire Denis Coderre.

4 h 30

Pas de nouvelles

N’ayant pas eu de nouvelles de la SQ en deux heures, le SIM décide d’envoyer une équipe sur la 13 afin d’évaluer la situation. C’est le chaos. Des enfants pleurent. Des adultes ragent d’impatience. Petits et grands ont soif, froid ou faim. On distribue des bouteilles d’eau. Le chef aux opérations demande deux autres camions et un autocar pour permettre aux gens de se réchauffer et d’aller aux toilettes. Ils contactent Urgences-Santé, qui n’a pas encore été avisée de la situation près de 12 heures après le premier incident. Une ambulance arrive vers 5 h. Les pompiers demandent aussi l’ouverture d’un centre d’hébergement pour les sinistrés.

7 h

Motoneiges

Des motoneiges de la Sûreté du Québec viennent aider aux opérations de remorquage sur l’autoroute. Des gens poussent et aident les remorqueurs débordés.

10 h 30

À la fourrière

James O’Farrell vous le dira : il a passé une très mauvaise nuit. Coincé sur la 13 à partir de 19 h, son cellulaire a cessé de fonctionner, ses essuie-glaces ont rendu l’âme, il a manqué d’essence et la batterie de sa voiture est morte. De minuit à 3 h, il n’avait pas de chauffage. Il a eu froid. Ses pieds ont gelé. Personne n’est venu s’assurer qu’il allait bien. Derrière lui, un automobiliste a décidé d’essayer de se faufiler entre les voitures enlisées. James est monté avec lui et s’est fait déposer dans une station-service, où il a intercepté une voiture de police, la première qu’il voyait de la nuit. La policière l’a emmené jusqu’à l’autocar des pompiers. Il a ensuite été transporté au centre d’hébergement à Lachine, puis chez le remorqueur où l’attendait sa voiture… et une facture de plus de 200 $ que le gouvernement du Québec s’est engagé hier après-midi à rembourser.

11 h 54

Réouverture de l’autoroute.

— Avec la collaboration de Pierre-André Normandin, La Presse

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