Après a vie

Adieu tabous !

Les anglophones l’appellent le death positive movement (mouvement positif de la mort), un mouvement social qui encourage les vivants à parler ouvertement de la mort. Peu à peu, des gens brisent ce tabou avec deux espoirs : mieux mourir et, d’ici là, vivre mieux.

« N’est-ce pas ironique ? On met des fantômes et des crânes dans les jardins, mais on ne parle pas de la mort dans notre société », regrette Robin. On est la veille de l’Halloween. Plutôt que d’accrocher un squelette dans l’entrée et de préparer des sacs de bonbons, sept femmes et un homme ont choisi de s’attabler en privé dans un resto rue Saint-Denis. Sur la porte, l’affiche dit : Death Café.

Robin est arrivé avec son amie Michaela, d’autres seuls. Certains se connaissent, la plupart non. Ce qu’ils ont en commun ? Une envie de parler de la mort. Sans filtre. « Un Death Café n’est pas une thérapie, mais y participer peut être thérapeutique », explique Marie-France Privyk, organisatrice de la soirée. Aucun sujet n’y est tabou. Pas même le suicide.

Personne n’a une mine d’enterrement. Il sera question d’acharnement thérapeutique, du temps qu’on a – ou pas – pour dire au revoir à un proche, de la mystérieuse présence d’un être cher disparu, un peu de la peur de mourir et… pas du tout de religion. L’atmosphère n’est pas lourde. Intime, plutôt. Une mystérieuse complicité s’installe vite et les éclats de rire ne sont pas rares. Au fond, le sujet du Death Café, c’est la vie.

« J’ai plus peur de ne pas vivre que de mourir », dit Robin, qui a frôlé la mort il y a deux ans. Il a changé de vie depuis : quitté le confort de son Écosse natale pour aller à Montréal se plonger dans une culture et une langue qu’il ne connaissait pas.

« Je veux participer à ma communauté, je veux vivre. Je ne vais pas partir l’âme vide, je veux la remplir. »

— Rona, participante du Death Café

La mort change

Signe que les manières d’envisager la fin de la vie changent, un premier Salon de la mort s’ouvre aujourd’hui à Montréal. Son organisatrice, Phoudsady Vanny, estime que le débat sur l’aide médicale à mourir a brisé un tabou et incité les gens à réfléchir à ce qu’ils voulaient pour leur propre mort. Marie-France Privyk y voit surtout quelque chose de générationnel. « Après avoir réinvité la jeunesse et la vieillesse, les baby-boomers veulent maintenant aborder la mort à leur façon », pense-t-elle.

« Il y a peut-être un changement qui s’opère, mais très lentement, estime pour sa part Josée Jacques, psychologue spécialiste du deuil qui enseigne notamment aux futurs thanatologues. Les gens sont encore dans la culture du contrôle, du bonheur. » On veut une « bonne » mort, résume-t-elle, souci qui découlerait d’un mélange d’ouverture, de marketing et d’égocentrisme.

En juin dernier, le New York Times évoquait cette transformation en assistant à la célébration funéraire d’une excentrique dame de 88 ans, présente et bien portante, qui avait organisé elle-même ses funérailles. Ou plutôt ses « FUNérailles ». Cette fête, au cours de laquelle ses proches pouvaient notamment peindre un cercueil en mangeant des petites bouchées, se voulait divertissante et pleine d’amour.

Phoudsady Vanny souhaite aussi créer un effet « wow » avec son premier Salon de la mort. Elle ne parle pas d’explosions de confettis, plutôt de rencontres humaines et de réflexion. Katia, l’une des participantes au Death Café, ira à cet événement où les salons funéraires côtoieront des professionnels de la mort « nouveau genre » comme Hélène Giroux, accompagnante de fin de vie.

Aller à l’essentiel

« Apprivoiser la mort, c’est donner un autre sens à la vie », estime la femme de Granby, qui offre depuis 18 ans écoute et soins à des personnes mourantes. Le métier d’accompagnante de fin de vie n’existe pas officiellement. Hélène Giroux s’y est d’abord engagée « pour éveiller sa conscience » et se préparer au départ de ses propres parents.

« C’est un contexte très particulier, la fin de vie. On est dans l’essentiel. Je voulais travailler avec les humains, pas sur une chaîne de montage, ce qui est souvent le cas dans le système de santé », dit celle qui a été brièvement préposée aux bénéficiaires. Elle fait un travail de contact physique, émotif et spirituel avec la personne mourante, mais aussi avec ses proches, qui ont souvent besoin d’être rassurés, compris et… préparés à la fin.

« Il est difficile pour une personne en fin de vie de parler de la mort avec ses proches. Elle ne veut pas faire de peine et les proches, eux, ne veulent pas en rajouter. Les gens se protègent entre eux, constate-t-elle. Avec une personne qui n’a pas cette connexion émotive, c’est plus facile. »

« On aide les gens à apprivoiser la mort, à déterminer ce qui est important pour eux et à atteindre les buts qu’ils se fixent pour la fin de leur vie, résume Jennifer Mallmes, accompagnante de fin de vie dans la région de Vancouver. Si les choses se passent bien, la famille s’en souvient pour le restant de ses jours. Ça aide les personnes qui restent à vivre leur deuil et la personne qui va mourir à tirer le meilleur du temps qui lui reste. »

Prendre ce temps précieux pour se parler a un effet « libérateur », selon elle. « On aborde chacune des peurs, chacune des choses qui préoccupent la personne mourante et on ramène ça à ce qu’elle peut faire, dit-elle. Ça peut être écrire des cartes d’anniversaire à son enfant pour les 10 prochaines années ou acheter un cadeau de mariage, si on sait qu’on ne sera pas là pour celui de sa fille. »

« Je crois que tout le monde a peur de la mort. Personne ne veut laisser des gens derrière. »

— Jennifer Mallmes, accompagnante de fin de vie

« On espère que ce sera vécu de manière sereine, dit Hélène Giroux, mais on ne peut pas le faire à la place de la personne en fin de vie. » Elle constate aussi ceci : quand on pense à la mort, on pense d’abord à tout ce qui est négatif et pas assez aux rapprochements, aux conversations intimes et aux « je t’aime ».

Les deux accompagnantes de fin de vie estiment que leur travail devrait être encadré par l’État. Jennifer Mallmes parle à la fois de légitimer ce rôle et de rendre les gens qui le jouent responsables. Les accompagnants de fin de vie pourraient éventuellement travailler de concert avec les travailleurs sociaux et les hôpitaux, selon elle. « Même les personnes qui côtoient la mort dans les hôpitaux et les maisons d’hébergement manquent de formation, déplore Hélène Giroux. Ils ne savent pas accompagner la fin de vie. »

(Re)trouver un sens

Dire que notre société a perdu le contact avec la mort est un euphémisme. Même les funérailles et les deuils se doivent d’être expéditifs. « On veut des funérailles le samedi pour retourner au bureau lundi », constate Josée Jacques. On fait peut-être fausse route, aussi, en disant à nos proches de ne pas en faire trop à notre mort, qu’il n’est pas nécessaire d’avoir ceci ou cela, ni même de cérémonie.

« Ce que les gens ne savent pas, c’est que cette volonté est contraignante pour les vivants. S’il n’y a pas de rituel, pas de lieu, s’ils n’ont pas la chance de vivre cette transition, le deuil est plus complexe », explique la psychologue. Avant, la reconnaissance du corps constituait un élément « aidant » du deuil. « Maintenant, les rituels sont courts, au salon c’est une urne et parfois il n’y a même pas de photo, relève-t-elle. La reconnaissance de la perte se fait moins. »

Parler de la mort aide à mieux vivre, croit la psychologue. Il faut « donner un sens » à sa vie, insiste Kit, qui a longtemps organisé les Death Café. Un sens qui fait souvent défaut, croit Michaela, en relevant le vide qu’elle perçoit dans cette quête de bonheur et de performance qui est la nôtre, ce confort censé rendre heureux et qui y parvient si peu. « On n’a pas besoin d’avoir le meilleur de tout », croit d’ailleurs Rona.

« On apprend que le bonheur est un objectif à atteindre, mais le bonheur, c’est des moments », estime Dianne, qui fait du bénévolat en soins palliatifs depuis 15 ans. Robin mesure sa chance chaque matin en ouvrant les yeux. « Je dis merci pour cette autre journée, raconte-t-il, parce que je sais que demain ne viendra peut-être pas. » En fin de vie, les gens n’ont pas peur de la mort, selon Dianne, mais de ne pas avoir vécu. Elle est là, l’angoisse. « Je continue mon bénévolat parce que ça me garde humaine, connectée à ce qui est important, dit-elle encore. Quand j’accompagne les gens, je me sens très, très vivante. »

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