Opinion  Médecine

Le docteur tout-puissant

L’Homo consommus est une variante de l’Homo sapiens qui croit surtout à la vie avant la mort. Généralement, il a une certaine qualité de vie ou une liberté ici-bas qui l’amène à tourner le dos totalement ou partiellement aux propositions de félicités célestes.

Pour cause, grâce à sa carte de crédit, son quotidien est déjà rempli de ces objets de désir qui peuplent l’imaginaire de ceux qui rêvent d’aller au paradis. C’est un humain qui trouve son réconfort et calme ses inquiétudes existentielles dans les magasins. Bref, sa cathédrale, c’est le centre commercial.

Si de nombreuses découvertes rapportent que la religion ou la spiritualité sont des antistress et anxiolytiques efficaces contre l’angoisse de la mort qui nous terrorise depuis la nuit des temps, la consommation est aussi une véritable cabale avec ses rituels, ses fidèles et même ses intégristes. Ici, on célèbre le Black Friday, les emplettes de Noël, la Saint-Valentin, le Boxing Day, le Cyber Monday, etc. Il arrive même que des fidèles se bousculent dramatiquement dans un magasin d’électronique pour mettre la main sur un des quatre téléviseurs qui sont à moitié prix parce qu’ils servaient de démonstrateurs. Des images qui rappellent ces masses de pèlerins qu’on voit mourir dans les bousculades à La Mecque ou sur les bords du Gange, en Inde.

Que dire des extrémistes de cette nouvelle religion ? Croyez-le ou non, notre amie et voisine nous a dit s’être radicalisée dans la nuit du 27 novembre en ouvrant son ordinateur à minuit tapant pour profiter des spéciaux pendant que sa famille ronflait. Heureusement, moteur de survie du capitalisme, la radicalisation est fortement encouragée par le politique chez l’Homo consommus. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que le lendemain de la destruction des deux tours du World Trade Center par des extrémistes de la vie après la mort, George W. Bush avait demandé à tous les Américains de sublimer leur peur en sortant massivement dans les magasins célébrer leur rituel.

La vie avant la mort étant sa priorité des priorités, l’Homo consommus est prêt à tout pour damer le pion à la vieillesse et repousser la mort.

Or, mon grand-père disait, à juste raison, que lorsque la peur de la mort s’empare d’une population, les sorciers guérisseurs peuvent se préparer à prendre le pouvoir. Ceux qui aiment l’histoire se souviendront de l’emprise qu’avait Raspoutine, ce moine débauché et mystificateur, sur la cour du tsar Nicolas II pour avoir supposément allongé la vie du petit Alexis, l’unique héritier de la couronne qui souffrait d’hémophilie.

Les médecins sont des sorciers des temps modernes dont le pouvoir est incommensurable parce que la population vieillissante voit en eux le seul rempart pour préserver ce qu’elle a de plus précieux : la vie. La Révolution tranquille a donc remplacé les ordres de l’Église par l’Ordre des médecins à qui on livre maintenant nos corps. Ainsi, les généralistes sont désormais les nouveaux prêtres, les spécialistes sont les évêques et le pape s’appelle Barrette Premier. Tout comme le clergé d’autrefois, les docteurs savent aussi serrer étroitement les rangs pour préserver leur privilège. À part quelques exceptions, dont Amir Khadir, il très rare d’entendre un médecin soucieux de préserver le bien commun dénoncer des collègues qui abusent des deniers publics avec la complicité du ministère de la Santé.

Quand allons-nous réaliser que c’est le personnel enseignant qui se démène dans la précarité des écoles publiques qui forment les futurs médecins, et non l’inverse ? En attendant cette hypothétique date, continuons à réciter notre prière quotidienne : « Je crois au pouvoir des médecins, à la croissance économique, à la chirurgie des seins, à la libération des marchés, à l’équilibre budgétaire et à la vie matérielle, Amen ! »

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