Réplique : Négociations avec les médecins

Définissons ce qui constitue le bon sens

En réplique au texte de Claude Castonguay « Des changements fondamentaux sont essentiels », publié le 11 novembre 2016.

M. Castonguay,

J’ai lu avec intérêt votre opinion au sujet des changements fondamentaux que vous jugez essentiels dans l’administration et le déploiement du système de santé au Québec.

Dans un premier temps vous vous réjouissez du mandat confié au Conseil du trésor pour chapeauter les négociations avec les médecins « pour enfin ramener le bon sens dans les négociations ». Il m’apparaîtrait important toutefois que vous définissiez ce que vous entendez par « bon sens ».

Après avoir évoqué dans votre préambule la nécessité de changement dans le mode de rémunération des médecins en abolissant ou modifiant le système de rémunération à l’acte, vous soulignez les carences du système actuel : « Il faut en effet constater l’absence de progrès significatifs sur les plans de l’accès aux soins et de leur qualité, l’engorgement des urgences, les trop longues attentes avant les traitements, les insupportables reports des interventions, le suivi des patients et les carences dans les soins à domicile. »

Il m’apparaîtrait intéressant que vous donniez de la substance à votre opinion en démontrant comment la rémunération à l’acte pourrait être responsable d’une telle situation.

Si je comprends bien, le mode actuel de rémunération des médecins semble en effet être le vice caché déterminant du fonctionnement sous-optimal du système de santé. Expliquez-moi.

Je veux bien vous entendre aussi suggérer que le paiement à l’acte ne convienne pas au travail multidisciplinaire. J’aimerais bien vous entendre disserter sur cette question. Je crois que l’approche salariale doit être discutée, mais il faut bien se souvenir que l’approche salariale selon les données de l’État auxquelles vous faites référence ne pourrait que couvrir 37,5 heures de travail par semaine. Je vous engage à consulter les statistiques du Collège des médecins qui vous informeront quant au nombre moyen d’heures travaillées par semaine par les médecins.

Vous suggérez au surplus que les médecins de famille quittent les salles d’urgence pour s’impliquer dans leur communauté et faire de la prévention plutôt que du traitement symptomatique. Comment distinguer lors d’une consultation médicale le préventif du curatif ?

Vous souhaitez aussi que les spécialistes s’occupent des urgences. Cette proposition est à rebours des avancées du Collège des médecins et du Collège royal des médecins du Canada où on a bien reconnu la nécessité d’une médecine d’expertise à la salle d’urgence avec l’apparition d’une spécialité médicale nommée médecine d’urgence et la formation particulière de certains praticiens généraux en médecine d’urgence. Je ne vous souhaite pas de voir traiter votre hémorragie sous-arachnoïdienne récente et brutale à la salle d’urgence par l’urologue de garde !

Vous évoquez l’abus récent dans la facturation de certains médecins. Vous savez fort bien, monsieur, que l’exception inacceptable ne pourrait déterminer la règle.

Vous affirmez au surplus que : « Le gouvernement ne peut plus ignorer les voix des nombreux médecins qui, malgré leurs efforts pour bien servir leurs patients, se sentent brimés dans leur pratique. » Il eût été intéressant de vous lire plus en détail quant à ces aspects où les médecins se sentent brimés dans leur pratique.

Un processus de responsabilisation

M. Castonguay, vous avez participé à la mise en place du système actuel dit universel. Pourquoi ne pas avoir prévu dès le départ un processus de responsabilisation où tout ne serait pas gratuit à toute heure du jour, où la répétition de visites à de multiples consultants et la répétition d’investigations pourraient être limitées (on le fait déjà pour les médicaments d’exception), où des voies prioritaires d’investigation en imagerie en clinique privée ne seraient pas permises favorisant ainsi un régime à deux vitesses, au détriment de la justice sociale et de l’appauvrissement du système public.

Je souhaite ardemment une rénovation du système. Je crois toutefois qu’elle ne pourrait être qu’à courte vue si elle n’impliquait qu’un changement du mode de rémunération des médecins.

Il m’apparaît que l’excellence d’antan fut largement dissoute par l’instauration d’un système de santé universel largement électoraliste sans même que le besoin d’une telle universalité ne soit évident dès le départ. Ce système s’est progressivement imbibé d’une bureaucratie centralisatrice, inconsciente de la base qu’elle prétend servir, tout en écartant par souci de pouvoir les médecins des voies décisionnelles.

Monsieur, mes quelque 45 ans de pratique médicale me permettent de telles questions et observations.

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