Résidences scolaires

À l’école comme chez soi

En lent déclin depuis une décennie, ceux qu’on appelait autrefois les « pensionnats » ont modifié du tout au tout leur image pour attirer les élèves. Ils l’ont fait en changeant de nom pour devenir des « résidences scolaires », mais aussi en diversifiant leur clientèle. Incursion dans le quotidien de ceux qui vivent à l’école.

Un dossier de Marie-Eve Morasse et de David Boily

Résidences scolaires

130 ados, une famille

Quand la cloche sonne la fin des classes au Collège Saint-Bernard de Drummondville, une poignée d’élèves du secondaire ne quitte pas l’établissement. Du dimanche soir au vendredi, 130 jeunes vivent entre les murs du collège comme chez eux. Que se passe-t-il à l’école quand l’école est finie ?

Période d’étude obligatoire

La fin des classes ne signifie pas pour autant le début d’une longue récréation : les résidants ont l’obligation de faire 45 minutes d’étude chaque soir. S’ils peuvent travailler à l’heure qui leur convient, le temps qu’ils passent dans le local est compté. Bien des jeunes arrivent après les classes à 16 h et ceux qui font du zèle sont rares, si bien qu’à 16 h 45 bien précises, une file s’étire devant le bureau du surveillant. Celui-ci veille aussi à ce que le temps des résidants ne soit pas passé à flâner sur internet. « Lui, c’est le champion de ça », dit en boutade un éducateur à un jeune au sens de la répartie aiguisé. « C’est pour ça que je me mets devant la fenêtre. Je te vois toujours arriver », rétorque-t-il.

« Un endroit le fun »

Il ne faut pas beaucoup de temps pour que les résidants troquent leur uniforme scolaire contre leurs vêtements de tous les jours. Après les classes, les co-chambreuses Maïka Gagné (à droite) et Annie Beaudin ont regagné leur chambre. Cette dernière est résidante au collège depuis septembre dernier. Vivre à l’école, dit-elle, lui a permis de s’accepter comme elle est. Elle ne se maquille plus pour aller en classe, observe-t-elle. Et l’école, qu’elle considérait comme un endroit « plate », a pris une nouvelle dimension. « L’endroit plate est devenu un endroit le fun », dit-elle.

Découvrir l’hiver à la dure

Certains élèves étrangers découvrent l’hiver québécois à la dure. Originaire de Saint-Barthélemy, dans les Antilles, Mathias a été pris d’un excès de fièvre qui l’a mené à l’hôpital la veille. Il souffre d’une pneumonie et il est placé en isolement dans une chambre que l’adolescent appelle à la blague la « suite royale ». En début de soirée, l’éducateur Martin Thivierge va lui porter des vêtements et lui prête son téléphone, pour que ses parents puissent le voir. « Est-ce que tu penses que tu te couvres assez ? », lui demande son père inquiet. Il n’a pas fini de le rassurer que Martin Thivierge intervient. « Non ! Mathias ne veut pas se décoiffer… »

Des ateliers de kick-boxing

Antoine Lévesque a été pensionnaire au Collège Saint-Bernard et y revient régulièrement pour aider aux ateliers de kick-boxing. « Je suis vraiment resté accroché », dit-il. L’éducateur Martin Thivierge se souvient d’un jeune homme qui était « prêt à tout pour impressionner ses chums ». Aujourd’hui titulaire d’un diplôme d’études professionnelles en machinerie lourde, l’ancien élève est persuadé que c’est l’équipe du pensionnat qui lui a évité de lâcher l’école.

« Je m’ouvre à mes coéquipiers »

Plus ils vieillissent, plus les pensionnaires ont l’occasion de sortir le soir s’ils respectent les règles établies. En ce mercredi, c’était cours de conduite pour certains, si bien qu’ils ont manqué sans trop de tristesse l’heure du souper à la cafétéria. « On connaît le menu », dit l’un d’eux avec dépit. Ils sont nombreux à fréquenter le Collège Saint-Bernard pour son programme sport-études, qui attire notamment des hockeyeurs. C’est le cas de Vincent Mathieu, de Valcourt (au premier plan à droite), qui craignait de ne « connaître personne » en arrivant au collège cette année. « Je ne vois plus beaucoup mes amis d’enfance, mais je m’ouvre à mes coéquipiers », dit-il. Rien ne peut toutefois remplacer le grand lit qu’il retrouve à la maison les fins de semaine…

Un spectacle de magie

« Oh, my God, c’est arrangé avec le gars des vues ! » C’est bientôt l’heure du coucher pour les plus jeunes pensionnaires et David Elkienbaum a été invité à faire un spectacle de magie à leur étage. Les blagues de Belges trahissent les origines réunionnaises de l’adolescent de 15 ans, véritable boute-en-train qui captive son auditoire. « Mes parents me manquent, il y a beaucoup de choses qui me manquent de La Réunion, confie-t-il. Mais on m’entoure beaucoup ici, le cadre m’empêche de trop y penser. » Il termine son spectacle sous les applaudissements. « Y pourrait-tu venir plus souvent ? », demande un jeune conquis.

« On a un accès privilégié aux jeunes »

De l’avis de tous, la résidence des filles est plus calme que celle des garçons. Avant la nuit, les éducatrices passent de chambre en chambre. C’est souvent le moment des confidences. « On a un accès privilégié aux jeunes, on joue un peu le rôle de maman », dit l’éducatrice Josiane Michaud après avoir bordé quelques résidantes. Parce qu’elle a cédé sa chambre à une journaliste pour la nuit, Coralie Bergeron fait ce soir-là du camping avec Élise Croteau et Rosalie Boisvert.

Pas d’appareils électroniques la nuit

La routine du coucher est bien rodée. Avant la nuit, les plus jeunes résidants doivent remettre leurs appareils électroniques. « Je ne pense pas que la rigueur, c’est quelque chose qui leur déplaît, observe Christian Kulczycki, « coach Kawa » pour les intimes. Souvent, ils sont laissés à eux-mêmes à la maison. » Son collègue Martin Thivierge explique que la relation de confiance qu’il tisse avec les jeunes contribue à l’ambiance dans les résidences. « Je sais quand je fais une bonne job et quand le jeune fait son bout de chemin », dit-il.

« Vous allez où les gars ? »

Tito Basaneze fait le tour des chambres de la résidence des garçons pour s’assurer que tous vont au lit. Une lumière éteinte ne signifie pas pour autant qu’ils dorment. L’éducateur Martin Thivierge aime parfois se jouer des jeunes, en claquant une porte pour leur faire croire qu’il est parti. « Ils sortent de leur chambre et je leur dis : “Vous allez où, les gars ?” Ils allaient tous à la toilette… Tu les vois rentrer dans leurs chambres comme des coquerelles », dit-il en riant.

Un déjeuner en pyjama

Dès 7 h, les plus jeunes pensionnaires commencent à affluer à la cafétéria, certains, comme Emmanuelle Bell-Comeau, encore en pyjama. L’élève de première secondaire est arrivée au début de l’année avec sa sœur jumelle, qui avait repéré le pensionnat. « Ma mère travaille tous les matins tôt. Comme je suis pensionnaire, ça permet à mes parents de travailler », dit Emmanuelle.

Un directeur aux premières loges

L’école est sur le point de commencer, et comme si elle quittait la maison, Tania Vincent ne pourra revenir à la résidence avant la fin de la journée. En se rendant dans sa classe, elle passera devant le bureau du directeur, aux premières loges de la vie dans les résidences. « Tu ne peux pas dire : je vais mettre juste un peu d’argent dans les résidences. Ça prend du monde pour les encadrer. Ce sont des jeunes parfois en crise d’adolescence, avec leurs joies, leurs peines, leurs tourments. Ça prend du monde qui va jaser avec eux », dit-il.

Résidences scolaires

130 ados, une famille

Quand la cloche sonne la fin des classes au Collège Saint-Bernard de Drummondville, une poignée d’élèves du secondaire ne quitte pas l’établissement. Du dimanche soir au vendredi, 130 jeunes vivent entre les murs du collège comme chez eux. Que se passe-t-il à l’école quand l’école est finie ?

Période d’étude obligatoire

La fin des classes ne signifie pas pour autant le début d’une longue récréation : les résidants ont l’obligation de faire 45 minutes d’étude chaque soir. S’ils peuvent travailler à l’heure qui leur convient, le temps qu’ils passent dans le local est compté. Bien des jeunes arrivent après les classes à 16 h et ceux qui font du zèle sont rares, si bien qu’à 16 h 45 bien précises, une file s’étire devant le bureau du surveillant. Celui-ci veille aussi à ce que le temps des résidants ne soit pas passé à flâner sur l’internet. « Lui, c’est le champion de ça », dit en boutade un éducateur à un jeune au sens de la répartie aiguisé. « C’est pour ça que je me mets devant la fenêtre. Je te vois toujours arriver », rétorque-t-il.

« Un endroit le fun »

Il ne faut pas beaucoup de temps pour que les résidants troquent leur uniforme scolaire contre leurs vêtements de tous les jours. Après les classes, les cochambreuses Maïka Gagné (à droite) et Annie Beaudin ont regagné leur chambre. Cette dernière est résidante au collège depuis septembre dernier. Vivre à l’école, dit-elle, lui a permis de s’accepter comme elle est. Elle ne se maquille plus pour aller en classe, observe-t-elle. Et l’école, qu’elle considérait comme un endroit « plate », a pris une nouvelle dimension. « L’endroit plate est devenu un endroit le fun », dit-elle.

Découvrir l’hiver à la dure

Certains élèves étrangers découvrent l’hiver québécois à la dure. Originaire de Saint-Barthélemy, dans les Antilles, Mathias a été pris d’un accès de fièvre qui l’a mené à l’hôpital la veille. Il souffre d’une pneumonie et il est placé en isolement dans une chambre que l’adolescent appelle à la blague la « suite royale ». En début de soirée, l’éducateur Martin Thivierge va lui porter des vêtements et lui prête son téléphone, pour que ses parents puissent le voir. « Est-ce que tu penses que tu te couvres assez ? », lui demande son père inquiet. Il n’a pas fini de le rassurer que Martin Thivierge intervient. « Non ! Mathias ne veut pas se décoiffer… »

Des ateliers de kick-boxing

Antoine Lévesque a été pensionnaire au Collège Saint-Bernard et y revient régulièrement pour aider aux ateliers de kick-boxing. « Je suis vraiment resté accroché », dit-il. L’éducateur Martin Thivierge se souvient d’un jeune homme qui était « prêt à tout pour impressionner ses chums ». Aujourd’hui titulaire d’un diplôme d’études professionnelles en machinerie lourde, l’ancien élève est persuadé que c’est l’équipe du pensionnat qui lui a évité de lâcher l’école.

« Je m’ouvre à mes coéquipiers »

Plus ils vieillissent, plus les pensionnaires ont l’occasion de sortir le soir s’ils respectent les règles établies. En ce mercredi, c’était cours de conduite pour certains, si bien qu’ils ont manqué sans trop de tristesse l’heure du souper à la cafétéria. « On connaît le menu », dit l’un d’eux avec dépit. Ils sont nombreux à fréquenter le Collège Saint-Bernard pour son programme sport-études, qui attire notamment des hockeyeurs. C’est le cas de Vincent Mathieu, de Valcourt (au premier plan à droite), qui craignait de ne « connaître personne » en arrivant au collège cette année. « Je ne vois plus beaucoup mes amis d’enfance, mais je m’ouvre à mes coéquipiers », dit-il. Rien ne peut toutefois remplacer le grand lit qu’il retrouve à la maison les fins de semaine…

Un spectacle de magie

« Oh, my God, c’est arrangé avec le gars des vues ! » C’est bientôt l’heure du coucher pour les plus jeunes pensionnaires et David Elkienbaum a été invité à faire un spectacle de magie à leur étage. Les blagues de Belges trahissent les origines réunionnaises de l’adolescent de 15 ans, véritable boute-en-train qui captive son auditoire. « Mes parents me manquent, il y a beaucoup de choses qui me manquent de La Réunion, confie-t-il. Mais on m’entoure beaucoup ici, le cadre m’empêche de trop y penser. » Il termine son spectacle sous les applaudissements. « Y pourrait-tu venir plus souvent ? », demande un jeune conquis.

« On a un accès privilégié aux jeunes »

De l’avis de tous, la résidence des filles est plus calme que celle des garçons. Avant la nuit, les éducatrices passent de chambre en chambre. C’est souvent le moment des confidences. « On a un accès privilégié aux jeunes, on joue un peu le rôle de maman », dit l’éducatrice Josiane Michaud après avoir bordé quelques résidantes. Parce qu’elle a cédé sa chambre à une journaliste pour la nuit, Coralie Bergeron fait ce soir-là du camping avec Élise Croteau et Rosalie Boisvert.

Pas d’appareils électroniques la nuit

La routine du coucher est bien rodée. Avant la nuit, les plus jeunes résidants doivent remettre leurs appareils électroniques. « Je ne pense pas que la rigueur, c’est quelque chose qui leur déplaît, observe Christian Kulczycki, « coach Kawa » pour les intimes. Souvent, ils sont laissés à eux-mêmes à la maison. » Son collègue Martin Thivierge explique que la relation de confiance qu’il tisse avec les jeunes contribue à l’ambiance dans les résidences. « Je sais quand je fais une bonne job et quand le jeune fait son bout de chemin », dit-il.

« Vous allez où, les gars ? »

Tito Basaneze fait le tour des chambres de la résidence des garçons pour s’assurer que tous vont au lit. Une lumière éteinte ne signifie pas pour autant qu’ils dorment. L’éducateur Martin Thivierge aime parfois se jouer des jeunes, en claquant une porte pour leur faire croire qu’il est parti. « Ils sortent de leur chambre et je leur dis : “Vous allez où, les gars ?” Ils allaient tous à la toilette… Tu les vois rentrer dans leurs chambres comme des coquerelles », dit-il en riant.

Un déjeuner en pyjama

Dès 7 h, les plus jeunes pensionnaires commencent à affluer à la cafétéria, certains, comme Emmanuelle Bell-Comeau, encore en pyjama. L’élève de première secondaire est arrivée au début de l’année avec sa sœur jumelle, qui avait repéré le pensionnat. « Ma mère travaille tous les matins tôt. Comme je suis pensionnaire, ça permet à mes parents de travailler », dit Emmanuelle.

Un directeur aux premières loges

L’école est sur le point de commencer, et comme si elle quittait la maison, Tania Vincent ne pourra revenir à la résidence avant la fin de la journée. En se rendant dans sa classe, elle passera devant le bureau du directeur, aux premières loges de la vie dans les résidences. « Tu ne peux pas dire : je vais mettre juste un peu d’argent dans les résidences. Ça prend du monde pour les encadrer. Ce sont des jeunes parfois en crise d’adolescence, avec leurs joies, leurs peines, leurs tourments. Ça prend du monde qui va jaser avec eux », dit-il.

Résidences scolaires

La grande séduction

Il y a trois ans, la Fédération des établissements d’enseignement privés (FEEP) a entrepris un grand virage pour redorer l’image des pensionnats. Premier geste : cesser de les appeler « pensionnats ».

« On fait vite un amalgame. Vous avez entendu tous les scandales dans les résidences autochtones », dit Jean-Marc Saint-Jacques, qui était jusqu’à tout récemment président de la FEEP.

Beaucoup croyaient en outre qu’envoyer son enfant dormir à l’école était un signe que les parents démissionnaient de leur rôle. « Quand un parent envoyait son enfant pensionnaire, la pression sociale disait : “Qu’est-ce qu’il y a avec ton enfant ? Tu ne l’aimes pas ? T’as des problèmes avec ?” », illustre celui qui est aussi directeur général du Collège Bourget, à Rigaud.

Le directeur du Collège Saint-Bernard de Drummondville est bien au fait de cette réputation.

« Tout le monde s’imagine l’élève en difficulté et le parent “pus capable” qui applaudit dans son char quand il le laisse. Il y en a, mais il y en a beaucoup moins qu’avant. »

— Dominic Guévin, directeur du Collège Saint-Bernard de Drummondville

Les motivations ont changé, dit-il. Les horaires atypiques de certains parents rendent ce service quasi essentiel, mais pour d’autres, c’est le souvenir de leurs années passées en pensionnat qui les motive à envoyer leurs propres enfants vivre l’expérience. « Les enfants s’en sont fait parler comme un mini Club Med », poursuit Dominic Guévin.

L’indispensable clientèle internationale

Devant la baisse de fréquentation de leurs résidences, des collèges privés se sont tournés vers les élèves de l’étranger pour remplir leurs chambres et leurs coffres. Au Collège Bourget, 40 % des pensionnaires viennent de l’étranger.

« L’international est une piste d’avenir », dit son directeur Jean-Marc Saint-Jacques. « Il y a une demande pour l’éducation au Québec, qui a une bonne réputation dans le monde… sauf ici », ajoute-t-il en riant.

Les Antilles françaises, le Mexique, l’Italie et Haïti figurent au nombre des pays et territoires représentés dans son collège. Même les Chinois s’y intéressent, mais l’enseignement en français est un obstacle. « Si on faisait l’enseignement en anglais, on déborderait », observe Jean-Marc Saint-Jacques.

10 000 $

Coût approximatif d’une année passée dans une résidence scolaire (droits de scolarité compris)

Le Collège Saint-Bernard a quant à lui une importante clientèle venue de Saint-Barthélemy, dans les Antilles, où l’enseignement passé la troisième secondaire n’existe tout simplement pas. « On a des publicités qui tournent à la radio là-bas », dit le directeur général Dominic Guévin, qui se garde toutefois bien de faire de son collège un « ghetto ». Comme ils ne peuvent retourner à la maison les fins de semaine, ces élèves sont hébergés dans des familles d’accueil de Drummondville.

Dominic Guévin se félicite aujourd’hui d’avoir su garder le pensionnat du collège à flot. Il a vu autour de lui nombre de collèges privés fermer leurs portes, y compris celui qui hébergeait des filles en résidence. Il n’en fallait pas davantage pour que le Collège Saint-Bernard s’ouvre à la mixité en 2007, sans doute au plus grand plaisir des adolescents qui fréquentent le collège.

Les résidences scolaires ont beau être séparées, ça n’empêche pas les couples de se former. « Voulez-vous que je tamise les lumières ? », a lancé un responsable à deux élèves qui s’embrassaient au vu de tous dans le gymnase, un soir cette semaine.

Les résidences changent, mais il est de ces choses qui traversent les époques.

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