Opinion

Les dérives du multiculturalisme

Parce que l’Allemagne refuse d’autoriser des manifestations en soutien à son régime sur son territoire, le président turc n’hésite pas à montrer du doigt, parler de nazisme et proférer des menaces. Voilà à quoi peuvent mener les dérives communautaristes.

Si les Turcs d’Allemagne veulent se rassembler pour soutenir leur président, pourquoi ne vont-ils pas en Turquie pour le faire ? Pourquoi le territoire allemand doit-il servir de base arrière aux dérives despotiques du président Erdogan ? Mais quand on se penche sur la question, on se rend compte que cette création d’une petite Turquie en Allemagne est une responsabilité partagée.

Pour les politiciens qui carburent au clientélisme, le cloisonnement des appartenances et des identités facilite le racolage auprès de ceux qui se disent porte-parole et qui, très souvent, n’ont jamais été mandatés par la grande majorité des gens au nom desquels ils parlent et prennent des décisions. Et avec plus de 3 millions de représentants en Allemagne, la communauté turque peut se permettre d’ambitionner parce qu’elle se fait convoiter.

Il y a tellement de cloisons dans les sociétés occidentales multiculturelles qu’il faut parfois un trousseau iCloud pour se souvenir de la liste des communautés auxquelles on doit prêter allégeance. On sépare selon le groupe ethnolinguistique, le pays, la sous-région, le continent, la race, la religion, etc.

Avec autant de murs, comment peut-on entrevoir la célébration d’une identité nationale et de valeurs communes à tous ?

S’il est bien utopique de rêver à un aplanissement des appartenances communautaires, force est d’admettre aussi que l’emmurement dans ces forteresses virtuelles caractéristiques du multiculturalisme canadien ne favorise pas l’osmose culturelle. Au contraire, il génère et nourrit dans l’ombre les discriminations et les racismes croisés.

A contrario, le modèle interculturel qui semble inatteignable, même s’il ne fait pas tomber ces murailles, en abaisse les hauteurs et aménage des aires de rencontre communes. La laïcité fait partie de ces zones de convergence qui font tomber les représentations et neutralisent les revendications pour le bien de tous. Entre le reste du Canada et le Québec, il y a aussi deux solitudes pour ce qui est de la façon d’envisager le vivre-ensemble.

Le Québec est loin d’être parfait, mais est-ce que le reste du Canada incarne vraiment ce modèle de tolérance qui amène une certaine presse à le montrer régulièrement d’un doigt accusateur ? Bien avant la saga entourant les propos réducteurs d’Andrew Potter dans le magazine Maclean’s, je pense ici aux Mordecai Richler, Jan Wong et plus récemment J.J. McCullough dans le Washington Post. Ces gens qui voient le Québec comme le repaire des plus intolérants de la confédération.

Pourtant, un sondage réalisé par CROP, à la demande de Radio-Canada, auprès de 2513 Canadiens, nous a démontré que l’intolérance et la méfiance envers l’immigration sont aussi bien tapies dans le reste du Canda. On y apprend, par exemple, que le ROC croit à 37 % qu’il y a trop d’immigrants au pays, ce qui représente un danger pour la pureté de la culture canadienne.

Mais, plus surprenant encore, 60 % du ROC croit que les immigrants devraient mettre de côté leur culture et adopter la culture canadienne.

Ce qui revient à dire qu’au-delà de l’intégration, on devrait assimiler les immigrants. Ce qui est bien contradictoire dans une société qui prône le vivre et laisser vivre. D’ailleurs, le premier ministre Trudeau, dont le multiculturalisme coule dans les veines, disait candidement en octobre 2016 que le Canada n’avait pas d’identité propre. Si tel est le cas, on peut se demander pourquoi il passe autant de temps à parler de valeurs canadiennes. Ne devrait-il pas plutôt parler de valeurs universelles ou humanistes ?

En fait, la grande différence entre le modèle interculturel auquel une majorité de Québécois aspire et le modèle qu’une certaine l’élite médiatique et politique du ROC veut nous présenter comme idéal, c’est que dans le reste du Canada, il y a un décalage entre cette vision médiatisée et ce que pense vraiment la population. Si vous grattez un peu comme l’a fait ce sondage, vous allez trouver ces frustrations tapies dans l’ombre qui finiront toujours par culminer.

Ce sont les mêmes démons, qu’on disait inexistants, qui ont en grande partie mené le Royaume-Uni, berceau du multiculturalisme, au Brexit, et ont en partie amené Trump au pouvoir.

Aucun vivre-ensemble n’est possible si le mot ensemble n’est pas véritablement incarné. Et force est de constater que le multiculturalisme est beaucoup plus un vivre-côte à côte qui nourrit des frustrations croisées et donne des résultats qui sont bien loin de l’idéal que nous présentent et racontent les politiciens.

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