JUSTICE

Un directeur de la GRC soupçonné d’espionnage au profit d’un pays étranger

La nouvelle a créé une onde de choc, hier : le directeur d’une unité de renseignement de la Gendarmerie royale du Canada, Cameron Ortis, est soupçonné d’espionnage au profit d’un pays étranger. Il a été arrêté jeudi.

Des accusations de ce type sont rarement portées au Canada. Membre civil de la GRC, selon Global, il est soupçonné notamment d’avoir donné des informations délicates et se serait rendu coupable d’utilisation frauduleuse d’un ordinateur et d’abus de confiance.

Après sa comparution hier, Cameron Ortis a quitté le palais de justice d’Ottawa à bord d’une fourgonnette blanche de la police, à l’abri des regards. L’un des chefs auxquels M. Ortis fait face concerne l’obtention de renseignements délicats en vue de les transmettre à une « entité étrangère ou à un groupe terroriste ». Il est accusé en vertu du Code criminel et de la Loi sur la protection de l’information.

Global, qui a obtenu la nouvelle en premier, a cité des sources décrivant le directeur comme un « espion sérieux ».

« C’est extrêmement surprenant qu’une personne de ce niveau, qui a passé autant de temps au sein de la communauté du renseignement, fasse l’objet de telles accusations, qu’on allègue qu’il ait commis de tels gestes », affirme Jessica Davis, ancienne employée du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) qui a quitté l’organisme en 2018 pour fonder sa propre boîte de consultante.

On en sait peu sur Cameron Ortis, qui serait dans la quarantaine, sinon qu’il est l’auteur de plusieurs travaux de recherche sur la sécurité nationale du Canada et sur les enjeux de sécurité en Asie.

Différents médias ont rapporté que M. Ortis parlait le mandarin. Selon son profil LinkedIn, il travaillait au sein du gouvernement du Canada depuis 12 ans. Il a étudié en économie, en administration et en relations internationales dans des universités en Colombie-Britannique.

Enquêtes avant les nominations

Selon Jessica Davis, la GRC mène des enquêtes très poussées avant de nommer quelqu’un à un poste à ce point névralgique. Tous les cinq ans, la personne doit renouveler sa cote de sécurité et de nouvelles vérifications sont faites. L’organisation vérifie si l’employé a des dettes qui le plongent dans l’embarras, des problèmes de dépendance ou s’il semble faire des voyages fréquents sans explication, par exemple. « C’est un suivi très personnalisé, ils vont vérifier toute vulnérabilité potentielle », explique l’experte en sécurité nationale.

Une source policière a expliqué à La Presse ces derniers mois qu’au sein des Équipes intégrées de la sécurité nationale (EISN) pilotées par la GRC, plusieurs policiers autrefois affectés aux enquêtes antiterroristes ont été réaffectés à des dossiers qui concernent l’ingérence ou l’espionnage au profit de puissances étrangères. Les actions hostiles de pays étrangers constituent une préoccupation croissante pour la direction de la police fédérale.

« Les accusations sont liées à des activités qui auraient eu lieu pendant la durée de son emploi à la GRC », a précisé la GRC, sans vouloir se prononcer davantage, précisant que l’enquête est toujours en cours.

Un suspect arrêté par les autorités américaines aurait dénoncé Cameron Ortis, a dévoilé une source à Global.

Selon Michel Juneau-Katsuya, ancien directeur du bureau d’analyse stratégique Asie-Pacifique au SCRS, les autorités ont généralement une double préoccupation dans ce genre d’affaires : faire condamner un criminel potentiel, mais aussi mettre en échec toute opération étrangère de collecte de renseignements.

« Dans une opération de contre-espionnage, normalement, une fois que l’on a découvert un suspect, on va faire exprès pour lui “couler” de fausses informations et attendre un peu avant de l’arrêter, explique-t-il. Ainsi, éventuellement, les personnes à l’étranger qui auraient pu être en contact avec lui ne savent plus s’ils peuvent se fier à ses informations. »

Le premier ministre Justin Trudeau a dit hier prendre l’affaire « très au sérieux ».

— Avec la collaboration de Joël-Denis Bellavance, Janie Gosselin et William Leclerc, La Presse

Accusations similaires

Ex-agent du renseignement de la Marine canadienne, Jeffrey Paul Delisle a été condamné à 20 ans de prison en 2013 pour avoir transmis des informations secrètes à la Russie. Il avait plaidé coupable à des chefs d’abus de confiance, d’avoir communiqué des renseignements secrets à une entité étrangère et d’avoir tenté de communiquer des renseignements protégés. Il était devenu la première personne accusée en vertu de la Loi sur la protection de l’information, aussi utilisée dans le cas de M. Ortis. Un ingénieur naval canadien, Qing Quentin Huang, a aussi été arrêté en 2013 et accusé d’avoir tenté de transmettre des informations secrètes au gouvernement chinois. Les renseignements concernaient des éléments stratégiques, selon la GRC. Son procès est toujours en attente, retardé par des débats sur les pièces à divulguer ou non en cour. — Avec La Presse canadienne

De quoi est accusé Cameron Ortis

D’avoir communiqué des « renseignements opérationnels spéciaux », alors qu’il était astreint au secret à perpétuité.

D’avoir accompli un acte en vue de communiquer des renseignements soit à « une entité étrangère ou à un groupe terroriste », soit à une « entité économique étrangère », soit d’avoir incité une personne à accomplir quelque chose pour accroître la capacité d’une entité étrangère ou d’un groupe terroriste de porter atteinte aux intérêts canadiens.

D’avoir commis une fraude ou un abus de confiance.

D’avoir eu, fabriqué, réparé, acheté, vendu, exporté ou importé un instrument servant à copier des données relatives à une carte de crédit ou d’en avoir falsifié ou fabriqué.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.