Réfugiés syriens

De Damas à Saint-Ubalde

La nuit était tombée à Saint-Ubalde. Le village s’était endormi sous une pluie hivernale. Sauf dans la maison des Syriens, rue Saint-Paul, en face de l’église. On avait allumé des chandelles sur la galerie. En lettres colorées, les noms de ceux que le village attendait comme on attend un enfant : Hani, Evlyne, Lamitta.

Toute la soirée, un deuxième comité d’accueil avait veillé là, impatient de rencontrer les Syriens dont on prépare l’arrivée depuis plus d’un an. On a baissé le matelas de la couchette pour la petite Lamitta. Elle n’avait que quelques mois quand la chambre a été aménagée pour elle. Elle a maintenant un an et demi.

Au moment où l’avion des Syriens se posait à Montréal, Loraine Denis, bénévole responsable de la logistique de la maison, a monté le chauffage. Elle a placé des pantoufles colorées en phentex à l’entrée. On a saupoudré la galerie de sel. Tout était prêt.

Vers 2 heures du matin, après trois heures de route sur une chaussée glacée, les Syriens sont arrivés à bon port. « C’était comme un petit coup de foudre », raconte Loraine. « Ils étaient souriants, le regard pétillant. Ils nous ont fait l’accolade. »

Michelle Dupéré, enseignante au village et responsable de la francisation dans le comité, a aussi ressenti une grande bouffée d’amour. Elle a les yeux qui brillent quand elle en parle.

« C’est la même énergie que lorsqu’on rencontre quelqu’un ! J’apprécie beaucoup de sentir leur ouverture. Ça promet. Ça donne envie de faire encore plein de choses pour eux. »

— Michelle Dupéré, enseignante au village et responsable de la francisation dans le comité

Dès leur arrivée, les parents ont enfilé les pantoufles en phentex. La petite Lamitta s’est installée dans le coin de jeu aménagé pour elle comme si elle le connaissait déjà. Sous le regard conquis de ses nouvelles marraines, elle a joué avec des blocs et est montée sur le cheval à bascule. Enfant née dans la guerre, prête pour une nouvelle vie de paix.

Evlyne et Hani étaient aussi émus que reconnaissants. « L’accueil était magnifique. Après un long voyage de plus de 20 heures, on a eu l’impression d’être comme dans un rêve », me dit Hani.

« Ils se sont occupés de nous en pensant à tout, des plus petits détails aux grands détails. Tout ! Ils n’ont rien oublié », renchérit Evlyne.

L’accueil chaleureux, réglé au quart de tour, leur a donné le sentiment qu’ils étaient accueillis par leur propre famille et non par des étrangers. « On avait vu des photos des gens du comité et pris connaissance du rôle de chacun, dit Evlyne. Mais lorsqu’on les a rencontrés, on a senti qu’il y avait quelque chose d’encore plus grand. Beaucoup de tendresse, beaucoup de petites attentions. »

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J’ai revu Evlyne, Hani et Lamitta dans leur maison de Saint-Ubalde quatre jours après leur arrivée au village. J’ai fait l’entrevue avec eux dans mon arabe syrien rouillé que je n’ai plus la chance de pratiquer depuis la mort de ma grand-mère alépine.

Lorsque Nawel, la Tunisienne du village, n’est pas là pour traduire, les Syriens et les Ubaldois communiquent en langage des signes, avec l’aide de Google Traduction et en comptant sur les notions de français d’Evlyne. « J’ai fait du français à l’école en Syrie. Mais ça fait cinq ans que je n’ai pas pratiqué ! », me dit la jeune femme de 28 ans, qui a étudié en communication. « Notre priorité, c’est vraiment d’apprendre le français », dit Hani, 33 ans, qui était représentant commercial à Damas.

Leurs cours de francisation à temps plein commenceront le 21 mars. Le comité avait pris soin d’inscrire Lamitta à la garderie pour permettre à ses parents d’aller à l’école. Après seulement quatre jours à Saint-Ubalde, elle dit déjà quelques mots en français, au grand bonheur de ses parrains. « Je pense qu’elle va parler avant les parents ! »

Les parrains s’engagent à veiller aux besoins et à l’intégration de la famille durant sa première année au pays. Ensuite, elle pourra voler de ses propres ailes.

« Des gens du village me demandent s’ils vont rester à Saint-Ubalde après la première année. Ils pourront rester s’ils le veulent. Ils ne sont pas en otage ici. Ils iront là où ils sont heureux ! »

— Gilles Pellerin, coordonnateur du projet

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« Comment se sentent-ils ? Ont-ils besoin de quelque chose ? », m’ont demandé les gens hyperattentionnés du comité d’accueil qui auraient bien aimé comprendre l’arabe ces jours-ci.

À leur arrivée, Loraine a senti que leur bonheur d’être ici n’effaçait pas la douleur de l’exil. « J’ai senti une petite tristesse. Ils ont quand même toute leur vie dans deux valises. » Daniel, qui les a accompagnés à l’église du village, a été ému de les voir prier.

Avant de quitter Damas pour Beyrouth, Evlyne et Hani ont connu la peur et l’inquiétude. « Il y avait beaucoup d’explosions et de tirs. Sous notre maison, il y a eu une bombe. Ça faisait peur », raconte Hani. Les portes et les fenêtres de la maison ont volé en éclats. La mère de Hani dormait sous une fenêtre. « La vitre s’est fracassée sur elle. »

Evlyne reste inquiète pour ses proches demeurés en Syrie. « Ça me préoccupe beaucoup, même si la situation est un peu plus calme. »

Le contraste entre Damas, ville grouillante de plus de 1,7 million d’habitants avant la guerre, et Saint-Ubalde, village tranquille de 1400 habitants, est énorme. Contraste entre la guerre et la paix. Contraste entre la grande ville et la campagne paisible. « Ici, la vie est plus simple, plus tranquille. C’est une vie plus normale », dit Evlyne.

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Pour rendre cette vie « normale » encore plus belle, les Ubaldois ne ménagent aucun effort. Après avoir déneigé le toit avant l’arrivée des Syriens, Réginald Hardy, responsable des travaux dans la maison, doit leur installer la télé. Nancy, la voisine, a prêté son WiFi. Maryse Gaouette, qui s’occupe du volet financier, a commandé pour la famille un dictionnaire arabe-français. Rachel Morissette, travailleuse sociale à la retraite, a pris en charge le suivi administratif de la famille. Elle est responsable de la paperasse, en quelque sorte. Macaron « Bienvenue les Syriens ! » à la boutonnière, elle coche au fur et à mesure ce qui a été fait. La liste s’étire sur plusieurs pages. Faire signer le bail par Margot Moisan, s’occuper des cartes d’assurance maladie, ouvrir un compte de banque, obtenir un numéro d’assurance sociale, inscrire la petite à la garderie, faire signer la déclaration sur les valeurs communes de la société québécoise (qui rappelle que le Québec est déjà laïque sans le savoir)…

« Quand j’ai dit oui, je ne pensais pas que ce serait aussi long ! », dit Rachel, regrettant le fait que toute cette paperasse l’empêche de pouvoir passer plus de temps avec les Syriens.

« C’est un beau cadeau d’être tombés sur ces gens. Ce sont de bonnes personnes. Et ils sont vraiment allumés. Evlyne comprend le français comme nous on comprenait l’anglais à la fin de notre secondaire. »

— Rachel Morissette, travailleuse sociale à la retraite

Ce fabuleux projet de parrainage permet de donner une nouvelle vie à Evlyne, Hani et Lamitta. Mais c’est aussi une belle aventure humaine pour tout le village.

« C’est tellement beau de voir Nawel, une femme voilée qui parle arabe, avec eux qui parlent arabe avec un peu de français, dit Rachel. Ils se promènent dans le village. Le monde est tout content de les voir. Des chrétiens, des musulmans, des immigrants, du monde d’ici. Ne serait-ce que pour ça… »

Le regard de Rachel s’embue. « C’est une goutte d’eau dans l’océan. Mais quand même… L’océan est composé de gouttes d’eau. »

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