Chronique

Nawel de Portneuf

« Nawel, c’est une perle. Elle fait tomber tellement de préjugés. »

« Nawel, par chance qu’on l’a eue ! Elle a tout expliqué aux Syriens, elle a tout traduit… »

Cette perle rare, c’est Nawel Hanchi, 30 ans. À Saint-Ubalde de Portneuf, où elle vit depuis presque quatre ans, on l’appelle « la Tunisienne ». Mais son cœur est au Québec.

Comment as-tu atterri à Saint-Ubalde, Nawel ? Elle avait vu une petite annonce dans un journal tunisien. Une entreprise québécoise qui était à la recherche de couturières. « Pourquoi pas ? », s’est dit la jeune femme travaillante, qui avait son propre atelier de couture en Tunisie. « Je l’ai vu comme un défi, quelque chose de nouveau. Ma mère m’a encouragée. »

C’est ainsi que Nawel a posé sa valise au Québec le 21 mai 2013 en compagnie de trois autres couturières tunisiennes. Direction : Saint-Ubalde. Elle y a travaillé comme couturière comme prévu. Et il y a aussi eu un bel imprévu : sa rencontre avec Luc Léveillée, un gars de Saint-Ubalde, employé de la municipalité. « Je suis venue de loin et j’ai trouvé l’homme de ma vie ! »

***

Ils se sont rencontrés un jour de printemps à Saint-Ubalde et ne se sont plus jamais quittés.

Comment vous êtes-vous connus ? Nawel sourit timidement, assise sur les genoux de son amoureux. « Il est venu avec ses amis installer une laveuse et une sécheuse chez nous ! »

Quelque temps après, Luc a invité Nawel à Trois-Rivières. Il l’a ensuite emmenée faire du trois-roues. Ensemble, ils ont vu des renards. « C’était les premiers renards que je voyais pour de vrai. Une femelle avec ses bébés. Ils étaient couchés. Ils dormaient. »

Un an plus tard, Nawel et Luc se sont mariés. L’amour et le respect qu’ils se portent transcendent leurs différences. 

« On s’entend bien, lui et moi. On a toujours de quoi à se dire. Il est tout le temps là pour moi. On rit beaucoup ensemble. »

— Nawel

Elle se tourne vers Luc en souriant. « T’as jamais eu de problèmes avec moi, hein ? »

Comme la plupart des gens de Saint-Ubalde qui n’avaient jamais rencontré une femme voilée, Luc était intrigué par le foulard de Nawel. « Je lui ai dit : “Ce n’est même plus une question de religion pour moi. C’est une habitude. Je ne bois pas. Je ne mange pas de porc non plus. Mais je ne t’empêche pas de le faire.” »

Chez eux, c’est vivre et laisser vivre, dit Luc. Ce soir, Nawel ne sera pas à la maison. Depuis quelques mois, elle travaille chez Patates Dolbec de 15 h 30 à minuit. « Je peux me faire un steak de baloney ! »

Pince-sans-rire, Luc ne peut s’empêcher de faire des blagues quand Nawel lui pose des questions sur sa perception des Arabes.

« Avant de me rencontrer, t’entendais quoi sur les Arabes ?

— Beaucoup de propagande.

— Avais-tu la même image des Arabes que maintenant ?

— Mais t’sé, t’avais pas de ceinture de dynamite, fait que drette en partant… »

Nawel éclate de rire.

« Il y a beaucoup de préjugés », dit Luc.

***

Au début, le couple mixte suscitait beaucoup de curiosité. « La première année, ç’a été une adaptation, raconte Luc. Si on allait au Festival de Saint-Tite, on se faisait beaucoup regarder… Maintenant, je ne le remarque plus. Et le monde commence à changer. Surtout les nouvelles générations. C’est beaucoup plus ouvert que dans le temps. Il y a beaucoup de métissage. »

L’attentat à la Grande Mosquée de Québec a ébranlé Nawel et Luc. « Ça m’a fait de quoi », dit Nawel.

Le couple connaissait l’épicier Azzeddine Soufiane, qui a péri dans l’attentat. « On fréquentait son épicerie, Luc et moi. C’était un monsieur très, très gentil. Il avait tout le temps un beau sourire. Quand j’ai vu son visage à TVA, ça m’a rendue triste. »

Ils y sont retournés après l’attentat. Il y avait des fleurs devant l’épicerie. Et une ambiance funeste, raconte-t-elle. « Ça m’a fait de quoi », répète-t-elle, la voix brisée.

Cette tragédie ne change pas pour autant le regard qu’elle porte sur le Québec. « Ça peut arriver n’importe où », dit-elle, en haussant les épaules.

Dès ses premiers jours à Saint-Ubalde, Nawel a été épatée par la gentillesse des gens et par leur ouverture. « Les gens prenaient des marches pour nous voir, venaient cogner et s’assoyaient chez nous ! Ils n’avaient jamais vu d’Arabes. Ils étaient curieux. »

Seule femme voilée à Saint-Ubalde, elle se faisait sans cesse questionner. « Moi, j’avais un foulard. Les trois autres Tunisiennes, non. Les gens disaient : “Pourquoi les autres, non, et toi, oui ?” »

De sa voix douce, Nawel a toujours répondu patiemment aux questions. « Je leur disais : “Ce n’est pas ma famille qui m’a obligée. J’ai une sœur qui ne le porte pas. Moi, je le garde parce que je me suis habituée à le porter. Si je ne l’ai pas, je suis gênée.” »

Avec le temps, les gens de Saint-Ubalde se sont habitués. Ils ont cessé de poser des questions sur son foulard. Ils ne voient plus en Nawel « la » femme voilée. Ils voient Nawel, tout simplement. Une jeune femme au grand cœur qui espère que les Syriens qui viennent d’arriver au village aimeront Saint-Ubalde autant qu’elle l’a aimé.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.