Réfugiés syriens

En attendant les Syriens

« Ils arrivent enfin ! »

En faisant les cent pas dans le terminal international de l’aéroport de Montréal, Gilles Pellerin ressemblait à un homme qui vient d’apprendre que sa femme est sur le point d’accoucher de triplés. Nerveux, fébrile, heureux.

Et si Saint-Ubalde accueillait une famille syrienne ? Diacre du village, c’est lui qui avait lancé l’idée un jour de novembre 2015, inspiré par un message du pape invitant chaque paroisse à parrainer une famille de réfugiés. Très vite, l’idée avait fait son chemin. Dans ce village paisible de 1400 habitants situé entre Québec et Trois-Rivières, un comité de 12 bénévoles s’est mis à l’œuvre avec enthousiasme.

Les gens de Saint-Ubalde avaient d’abord espoir que leur famille ferait partie de la première cohorte de 25 000 réfugiés syriens que le gouvernement Trudeau avait acceptés avant la fin du mois de février 2016. Tout était prêt depuis un an. Ils seraient accueillis comme des rois. Mais encore fallait-il qu’ils arrivent…

Un an plus tard, les Ubaldois ont sauté de joie quand ils ont eu la confirmation que leurs Syriens arrivaient enfin. Evlyne, Hani et leur fille de 17 mois, Lamitta, allaient atterrir au pays le vendredi 24 février. Ils arriveraient à bord du même vol que la famille de Rober, le frère de Hani, parrainée par un comité de Pont-Rouge, à 70 km de Saint-Ubalde. Le temps était venu de faire les derniers préparatifs pour s’assurer de leur offrir l’accueil le plus chaleureux qui soit.

***

Lorsque je suis arrivée à l’aéroport de Montréal, vers 18 h 30, les comités d’accueil de Saint-Ubalde et de Pont-Rouge étaient déjà sur place depuis longtemps. L’air inquiet, Gilles Pellerin surveillait l’écran des arrivées. Le vol de Turkish Airlines, qui devait atterrir à 18 h 55, avait du retard. Et il fallait prévoir ensuite au moins une heure les formalités d’immigration. Mais les parrains voulaient être certains de ne rien rater. Ils n’avaient pas attendu un an pour finalement arriver en retard à l’aéroport.

De Saint-Ubalde, ils étaient quatre à avoir pris la route dès 12 h 30. Un concessionnaire leur avait prêté une minifourgonnette pour l’occasion. Ils sont arrivés à l’aéroport vers 16 h, macarons « Bienvenue les Syriens ! » à la boutonnière. Il y avait Daniel Paquin, le chauffeur désigné qui connaît par cœur les routes des alentours de Saint-Ubalde et leurs plaques de glace cachées. Il y avait sa femme Johanne Juneau, éducatrice spécialisée, à la retraite depuis peu, dont le rôle, ce soir-là, était de jouer à la grand-mère rassurante qui veille à tout. Il y avait Nawel Hanchi, Ubaldoise d’origine tunisienne, qui a servi de médiatrice entre la famille syrienne et le comité d’accueil. Et Gilles Pellerin, fier coordonnateur du projet.

Comme des stars, les gens de Saint-Ubalde étaient suivis pas à pas par Nadine Beaudet et Christian Mathieu Fournier, un couple de cinéastes de Grondines qui filment depuis plus d’un an les démarches du comité de parrainage. Ils en tireront en documentaire cet automne.

« On est tombés en amour avec eux, me dit Christian. On s’est attachés à leurs efforts, à leur grande humanité. »

Il leur a fallu défier le climat de peur et ne pas se laisser intimider par ceux qui leur disaient qu’ils faisaient fausse route. Il leur a fallu apprendre à apprivoiser l’attente. Il leur a fallu faire mijoter amoureusement leur projet en mettant en commun les forces de chacun.

« Il y a quelque chose d’universel dans le geste d’accueillir. Ils seraient aussi contents d’accueillir leurs enfants. C’est ça qui est beau », me dit Nadine, le regard ému.

« Ce sont des gens de cœur. Je les trouve tellement inspirants. Comme un voilier qui maintient son cap. Une force tranquille. »

***

Une dame intriguée par l’imposant comité d’accueil s’est approchée, en plissant les yeux devant la pancarte que tenait Daniel.

« Qui sont ces gens que vous attendez ?

— Ce sont des réfugiés syriens. C’est pour un projet. Pour les aider à s’installer au Québec », lui a dit Johanne, en serrant contre elle le panda qu’elle avait apporté pour la petite Lamitta.

Pancarte de bienvenue, bouquet de fleurs, lunchs, toutou, couverture, habit de neige pour la petite, bottes et manteaux chauds pour les grands… Johanne et son comité avaient pensé à tout.

« Oh ! Wow ! C’est tellement beau. C’est comme s’ils attendaient un enfant ! »

***

Nawel avait pris congé pour l’occasion. Elle était si excitée que la veille, elle n’avait presque pas fermé l’œil. Elle sait ce que c’est que de quitter un pays qu’on aime et de marcher à tâtons vers l’inconnu. En 2013, la jeune femme a elle-même quitté sa Tunisie natale pour le Québec pour y travailler comme couturière à Saint-Ubalde. Elle ne se doutait pas qu’elle y trouverait l’amour de sa vie (voir le cinquième onglet). « Je ne regretterai jamais d’être venue ici. On est si bien ! »

Comme elle est la seule au village à parler arabe et français, Nawel a joué un rôle clé dans le projet d’accueil. Pour communiquer avec les Syriens, Gilles Pellerin avait bien pris soin de télécharger l’application Google Traduction avant d’aller à l’aéroport. Mais la seule présence de Nawel, qui a eu l’occasion de nouer de précieux liens avec Evlyne avant son arrivée, valait mieux que tous les logiciels de traduction du monde.

Lors de leur dernière conversation avant le jour J, Nawel a averti Evlyne de la foudroyante bonté qui l’attendait à Saint-Ubalde. « Je lui ai dit : “Tu vas voir. Les gens ici sont trop gentils. Ça fait un an qu’ils vous attendent, ils ont trop hâte.” »

***

Le vol a atterri avec une heure de retard. Et les formalités d’immigration d’une heure en ont pris deux… Les parrains de Saint-Ubalde et de Pont-Rouge ont eu le temps de sympathiser avec des cousins de Hani et de Rober. Réfugiés au pays depuis un an, ils vivent à Laval et maîtrisent déjà bien le français.

Vers 22 h 20, les Syriens tant attendus ont finalement franchi, tout sourire, les portes du terminal international. « Bienvenue chez vous ! » « Ahlan ou sahlan ! »

Émue, Nawel a serré Evlyne dans ses bras, comme si elle retrouvait une sœur. « Bienvenue ! Je suis si contente de vous voir ! »

Evlyne et Hani ont posé la main sur leur cœur pour remercier les gens de Saint-Ubalde pour leur accueil. Hani a tiré une boîte de pâtisseries orientales de son sac à dos pour en offrir à tout le monde.

« Quel soulagement ! », a lancé Gaston Pageau, du comité de Pont-Rouge, les yeux rougis par l’émotion. « Pour ces familles qui arrivent, combien d’autres qui aimeraient être à leur place ? »

Johanne a déposé le petit panda dans les bras de Lamitta, qui semblait assommée par le long voyage. Elle a sorti de sa trousse d’accueil le pyjama à pois roses prévu pour la petite, pour qu’elle soit prête à bien dormir en arrivant à Saint-Ubalde. « Il lui va parfaitement ! »

On a emmitouflé tout le monde, même si, en ce jour d’hiver pluvieux, il ne faisait pas vraiment froid. À 23 h et des poussières, fatigués et heureux, les anges gardiens de Saint-Ubalde et leurs triplés syriens ont roulé doucement vers la nouvelle vie qui les attendait.

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