Chronique

La colère coupable d’une femme

Je veux vous parler des larmes et de la colère de la ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault.

Elle a pleuré pendant un point de presse. Les larmes d’une ministre prise dans la tourmente d’un scandale touchant des allégations d’inconduite sexuelle de policiers envers des femmes autochtones.

Quelques jours plus tard, elle a piqué une crise en plein Conseil des ministres. « Complètement déchaînée », elle aurait engueulé ses confrères qui étaient gênés, qui ne savaient plus où regarder et qui fixaient le plancher.

Pleurs et colère d’une femme. Ministre en plus.

Et si c’était un homme qui avait pleuré ? On aurait parlé d’authenticité, de sensibilité ou d’hypocrisie en l’accusant de verser des larmes de crocodile.

Une femme pleure, on regarde ailleurs, gêné. On se dit qu’elle est incapable de se maîtriser, qu’elle est dépassée, qu’elle ne peut pas encaisser la pression. Un pas de plus, et on la traite d’incompétente.

Pendant le point de presse où le mascara a coulé sur ses joues, Lise Thériault s’est tue pendant plusieurs secondes. « Excusez-moi, vous allez me permettre de reprendre mes esprits », a-t-elle dit.

Elle a sorti un mouchoir et elle s’est essuyé les yeux. « Je suis aussi choquée que la population », a-t-elle ajouté.

Le gouvernement était pourtant au courant des allégations depuis cinq mois.

Sur Twitter, on pouvait lire ce commentaire assassin : « En politique, on ne pleure pas, on agit. »

Les réseaux sociaux n’ont pas été tendres (le sont-ils jamais ?). Certains ont proposé un déguisement pour l’Halloween : des joues barbouillées de mascara.

La colère ? Même raisonnement. Quand un homme pique une colère, il est ferme, il a de la poigne, du caractère, il est capable de mettre son poing sur la table. Si une femme se fâche, elle est faible, fatiguée, brûlée. Pour que sa colère passe, elle doit l’exprimer avec retenue et dignité, une colère froide, sans cris ni crise de nerfs.

Je ne dis pas que Lise Thériault est au meilleur de sa forme. Elle est épuisée. Son médecin vient de lui prescrire un repos complet de six semaines. Je crois plutôt que cette colère n’aurait pas eu le même écho si un homme avait pété les plombs.

Certains ont traité Lise Thériault d’hystérique. Le mot hystérie vient de matrice. La matrice, l’utérus. Comment dit-on hystérique au masculin ?

Pourtant, en 2011, lors de la commission parlementaire sur le placement syndical, Lise Thériault avait épaté la galerie. Ulcérée par la violence qui régnait sur les chantiers de construction, elle avait tenu tête à Michel Arsenault, le président de la toute-puissante FTQ. Les journaux étaient en pâmoison : « La femme qui fait trembler la FTQ », « La FTQ déculottée », avaient-ils titré.

Un peu plus et on lui érigeait une statue pour souligner son courage.

Elle, une femme, avait osé tenir tête à des gros bras. Je pose la question à l’envers : si un homme avait fait preuve de la même fermeté, aurait-on noirci autant de papier pour louer son audace ?

***

Suis-je dans le champ ? Ai-je une lecture déformée des larmes et de la colère de Lise Thériault parce que je suis une femme doublée d’une féministe ? Peut-être.

J’ai appelé Monique Jérôme-Forget. En l’écoutant, j’avais l’impression de m’entendre penser.

S’il y en a une qui connaît la politique, c’est bien elle. Elle a été députée et ministre pendant 11 ans. Elle a occupé des ministères importants, des ministères d’homme : Conseil du trésor, Finances. Elle a même cumulé les deux postes pendant un certain temps. Seul Jacques Parizeau avait eu ce privilège.

Quand je lui ai parlé de Lise Thériault, elle m’a dit : « Je n’aime pas quand on pleure, surtout une femme. Pas sûre que je n’aurais pas eu la larme à l’œil, mais je n’aurais pas pleuré parce que les larmes, pour une femme, ça ne passe pas. Si un homme avait pleuré, on aurait dit que c’est un héros, un être sensible, humain. La femme, elle, est une braillarde, incapable de résister au stress. »

Et elle a ajouté : « Nous avons la larme facile, il faut que la société accepte ça. »

Monique Jérôme-Forget a déjà pleuré, mais en privé.

Même analyse pour la colère.

— Un homme tape sur la table, il n’est pas content. La femme, elle, est hystérique.

— Même aujourd’hui, on applique cette logique de deux poids, deux mesures ? lui ai-je demandé.

— Absolument ! Le monde a été développé par les hommes et pour les hommes.

***

Les femmes ont encore du chemin à parcourir.

Je ne pensais pas écrire une chronique pour défendre les larmes et la colère d’une ministre en 2015. Je croyais naïvement en avoir fini avec ces sottises.

J’ai pleuré deux fois en 30 ans de carrière, et les deux fois, je me suis cachée dans les toilettes. Pleurer est un signe de faiblesse pour les femmes. Si elles pleurent, elles perdent leur crédibilité, surtout si elles sont patronnes.

J’ai eu un élan de compassion pour Lise Thériault. Je ne la trouve pas hystérique. Fatiguée, brûlée, dépassée par la complexité de son ministère, oui, mais hystérique ? Non. Elle avait le droit de pleurer et de se mettre en colère, même si elle est femme et ministre.

Bon repos, Mme Thériault.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.