Musique

Un pow-wow au Sahara

Le voyage Casablanca-Marrakech s’est fait en minibus : pendant près de dix heures, en passant par Ouarzazate, la route chaotique a serpenté dans le Haut-Atlas, puis dans le désert jusqu’à M’Hamid El Ghizlane, un ancien carrefour du commerce transsaharien, au sud du Maroc. Drôle d’endroit pour un pow-wow.

Les quatre RedTail Spirit Singers ont pourtant posé leur tambour ici, dans un campement entouré de dunes, à 20 kilomètres de la frontière algérienne. Objectif : participer au 8festival Taragalte qui, fin octobre, célébrait la culture nomade et les musiques du monde.

Pour comprendre comment un groupe de musiciens autochtones a échoué en plein Sahara, il faut se tourner vers Nathalie Lévesque, « marchande d’idées interculturelles » – pour reprendre le nom de sa structure – établie à Toronto. « C’est l’aboutissement de deux années de travail intense », explique-t-elle en essuyant ses larmes, submergée par l’émotion au moment de l’ouverture du festival.

Son premier séjour au Maroc, début 2015, puis sa rencontre avec les fondateurs de Taragalte, quelques mois plus tard, lui ont donné envie de réunir deux mondes musicaux marqués par un extrême éloignement géographique et culturel.

« Personne ne croyait à mon projet, on me disait folle. »

— Nathalie Lévesque

Un projet né à Présence autochtone

Sa rencontre avec Michel Tremblay, des RedTail Spirit Singers, lors du festival Présence autochtone à Montréal en 2016, a accéléré le projet. Originaire du territoire de Kanesatake, le pow-wow drum group a été fondé en 2004. Le but était alors de reconnecter les jeunes à leurs traditions, de promouvoir les langues communautaires et de combattre les préjugés. Depuis, de nombreuses autres formations empruntent la même voie.

Les RedTail se présentent comme un « groupe inter-tribal inclusif ». Le qualificatif est illustré par les origines de ses quatre membres qui se sont déplacés au Maroc (deux sont restés au Canada pour des raisons budgétaires) : Frank Horn est mohawk ; Akawui Riquelme, mapuche chilien ; Joey Partridge, inuit ; Michel Tremblay, métis.

Dans le désert, ils ont rencontré le groupe Génération Taragalte, composé de cinq jeunes de M’Hamid El Ghizlane, de culture nomade même si leurs familles sont sédentarisées.

Joueur de calebasse, Khalifa Balla, l’aîné (28 ans) et le seul qui maîtrise le français, explique : « Nous reproduisons les chants que nos parents interprétaient autrefois dans le désert, autour d’un feu de bois. Mais nous le faisons avec une guitare, une basse et un djembé. »

Inspirés par les stars touarègues Tinariwen, ils défendent les spécificités de leur « blues du Sahara ». 

Des cultures « ostracisées »

Entre Marocains et Canadiens, quelques heures ont été nécessaires pour que le courant passe. Et cinq jours de répétitions sous la tente, dans des conditions extrêmes (journées chaudes, nuits froides), pour que la fusion opère.

« Nous avons joué notre musique à laquelle ils se sont adaptés, puis inversement. Les choses se sont approfondies, naturellement, quand nous avons ralenti le rythme de notre tambour pour l’adapter à leur groove. »

— Akawui Riquelme, des RedTail Spirit Singers

Des passerelles sont vite apparues, selon Khalifa Balla : « Leur façon de chanter rappelle nos cérémonies de mariage et leur flûte ressemble à celle de nos bergers dans le désert. » 

Michel Tremblay relève d’autres points communs à leurs peuples respectifs : « Dans les deux cas, nous défendons des cultures ostracisées. » 

« Ils demandent, comme nous, que l’on laisse leurs traditions tranquilles », ajoute Joey Partridge. 

2000 spectateurs dans le désert

Fruit de ces cinq jours de travail, le concert s’est déroulé sur une scène aménagée au milieu des dunes. Les RedTail Spirit Singers, en cercle autour du tambour, et Génération Taragalte, tête coiffée du chèche nomade, ont animé les 2000 spectateurs, dont la jeunesse de M’Hamid El Ghizlane venue participer à la fête. 

Preuve de l’intérêt suscité par le projet, l’ambassadrice du Canada au Maroc, Nathalie Dubé, était elle-même venue ouvrir le festival, afin de louer l’importance des « échanges culturels pour mieux se comprendre ». 

Échanges qui impliquent une invitation en retour : les RedTail Spirit Singers et Génération Taragalte souhaitent que leur prochaine rencontre ait lieu dans les Laurentides.

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