Mécanique automobile

Le réservoir est percé

Les garages sont en panne de mécaniciens qualifiés. Les carrossiers-débosseleurs roulent leur bosse ailleurs.

Feu rouge : l’industrie des services automobiles s’inquiète !

« Il va y avoir un manque de main-d’œuvre dans une industrie qui compte plus de six millions de véhicules sur la route », prévient Danielle Le Chasseur, directrice générale du Comité sectoriel de main-d’œuvre des services automobiles (CSMO-Auto).

Dans le plus récent diagnostic de l’industrie, réalisé en 2014, les trois quarts des entreprises sondées se sont dites préoccupées par la relève. « Environ 11 % des employeurs qui ont répondu à notre questionnaire disaient : “J’ai peur de devoir fermer parce que je n’aurai pas de main-d’œuvre.” »

La qualité en baisse

Il n’y a pas que le nombre qui soit préoccupant. La qualité pose de plus en plus problème.

« Il y a 20 ans, entre 50 et 60 % des mécaniciens détenaient un diplôme d’études professionnelles (DEP) en mécanique automobile », souligne Patrice Lemire, directeur général du Comité paritaire de l’industrie des services automobiles de la région de Québec (CPA Québec). « Depuis cinq ans, ça décline : à Québec, on est rendu à 36,5 %. »

Le recul s’accroît avec l’éloignement. Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, la situation est encore plus critique : 20 % des mécaniciens détiennent ce DEP.

« On n’a pas assez de gens ayant la qualification de base dans les entreprises de mécanique automobile. Ça ne veut pas dire que les gens ne sont pas bons : ils apprennent sur le tas. »

— Patrice Lemire, directeur général du CPA Québec

Malheureusement, les vertus pédagogiques du « tas » sont très inconstantes.

Après quatre ans d’expérience – trois pour les titulaires d’un DEP, dont les 1800 heures d’études sont prises en compte –, les apprentis peuvent passer l’examen qui leur vaudra une carte de compagnon.

En 2015, au Québec, seulement 56 % des 951 candidats ont réussi l’examen. « C’est carrément parce qu’on a de moins en moins de DEP, explique Patrice Lemire. Chaque année, ça baisse. »

Pendant ce temps, la complexité des véhicules prend la trajectoire inverse. « Nous avons beaucoup de technologies et il nous faut des gens compétents, énonce Danielle Le Chasseur. Nous sommes inquiets parce qu’on a déjà les véhicules hybrides et qu’on voit les véhicules électriques arriver. Quand ils seront dans les ateliers pour des réparations, il faudra presque des techniciens en informatique. »

La solution aurait dû se trouver dans les écoles de formation professionnelle. Mais elles aussi peinent à remplir leur réservoir de candidats.

Rentrée motorisée

L’École des métiers de l’équipement motorisé de Montréal (EMEMM), la plus importante du genre au Québec et peut-être au Canada, est située au cœur du Plateau Mont-Royal, rue Saint-Denis. « Ne le dites pas au maire Ferrandez ! », rigole Dominique Bousquet, directeur adjoint de l’établissement.

Dans les couloirs, les élèves sont vêtus d’un polo dont la couleur indique leur champ de pratique : bleu pour la mécanique, vert pour les véhicules lourds et les engins de chantier, blanc pour la carrosserie.

Les groupes sont pratiquement complets. « Ici, on est privilégiés, exprime Dominique Bousquet. À Montréal, la multiethnicité apporte de l’eau au moulin. Dans d’autres centres à l’extérieur de Montréal, c’est sûr que la clientèle est un peu à la baisse. »

Certaines écoles professionnelles commencent à racler les fonds de tiroir, confirme Patrice Lemire. Pour la première fois cette année, un centre de formation professionnelle de la région de Québec « a été obligé de combler ses cinq classes avec des gens qui avaient déjà été refusés une fois et même deux fois. La qualité des gens qui sortent des DEP a diminué énormément ».

Pas une voie de garage

Les cohortes comptent de plus en plus d’élèves ayant des troubles de comportement ou d’attention. « Quand ils arrivent ici, ils sont adultes, et la médication prend le bord, observe Dominique Bousquet. On le ressent dans la compréhension, la concentration. Tout ça fait en sorte qu’on est obligés de faire de la discipline. Et de plus en plus, malheureusement. »

Dans un groupe de 22 débutants, de 16 à 18 élèves termineront le cours, estime-t-il.

Un de ceux-là, Vincent Valois-Lavigne, dément pourtant les préjugés. Âgé de 19 ans, il terminera en décembre sa formation en mécanique automobile. « Quand j’ai terminé l’école secondaire, on m’avait dit : “Va au cégep, va à l’université pour faire une carrière, pour faire de l’argent”, raconte-t-il. Mais je ne me suis jamais senti à ma place. J’ai abandonné le cégep et je suis venu en mécanique auto. »

À l’école, orienteurs et enseignants, à la vue de ses excellents résultats, l’encourageaient à faire des études supérieures. « J’avais toujours écouté ce qu’on me disait, jusqu’à ce que j’aie un ras-le-bol. Je vais faire ce que je veux, ce dont j’ai envie. C’est quand même ma vie. »

Lui aimait la mécanique. « J’ai commencé très jeune à réparer des voitures avec mon père, à réparer en fait tout et n’importe quoi. »

Le jeune homme s’exprime clairement, posément – rien de la caricature du gars de char. « J’ai fait mes spécifications en véhicules hybrides et électriques », informe-t-il.

« Avec les nouvelles technologies dans les voitures, ça prend une tête sur les épaules. Ce n’est plus juste démonter et remonter des pièces. Il faut comprendre des concepts électriques, des concepts hydrauliques, des concepts mécaniques. C’est presque une introduction à l’ingénierie des voitures. C’est très poussé comme DEP. Et il ne faut vraiment pas se sentir mal parce qu’on choisit la voie des métiers plutôt qu’une carrière. »

L’industrie compte sur les Vincent Valois-Lavigne.

Carrossier mal chaussé

« La pénurie de main-d’œuvre est encore plus importante en carrosserie, soulève Patrice Lemire. On parle de 15 à 20 % des travailleurs qui ont un DEP. »

Ancien carrossier et enseignant, Michel Pagano est maintenant « ambassadeur pour la relève » chez Fix Auto Canada. Sa tâche consiste à visiter les écoles pour peindre un portrait positif du métier de carrossier – lui aussi en perte de vitesse. Sur un groupe de 20 à 22 personnes qui commencent un cours en carrosserie, « généralement, il en reste 14, peut-être 15, après un an et demi. Sur les 15 qui ont réussi, il va en rester 4 ou 5 dans l’industrie après un an ».

Michel Pagano aide également une firme de recrutement à pourvoir les postes d’ouvrier spécialisé en peinture et en carrosserie. « J’en connais qui, depuis trois ou quatre mois, mettent des annonces régulièrement dans les journaux, les magazines, Jobboom, AutoJob, et ne trouvent pas de travailleurs. »

À bout de ressources, certaines entreprises se tournent vers l’étranger. « On recrute en France et en Belgique, informe-t-il. En 2016, une quinzaine de Français seront entrés au Québec. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.