Bernard Boulad

Dans le pays du lait et du miel

Il s’est fait connaître ici dans les années 80 et 90 comme critique de cinéma à l’hebdo Voir, puis au Devoir, dans le circuit des festivals de films aussi. Mais après avoir passé une trentaine d’années au Québec, Bernard Boulad s’est établi en France, « pour se rapprocher de la Méditerranée ». Dans La guerre des autres, il raconte sa jeunesse au Liban, juste avant le début de la guerre civile.

Bernard Boulad est né en Égypte dans une famille d’origine syrienne. Une famille non conventionnelle, tournée vers les arts et les lettres, qui devait certainement détonner de la majorité. Des libres penseurs. Non pratiquants. Son père était propriétaire d’une librairie, sa mère faisait du théâtre. « C’est sûr que nous étions un peu marginaux », convient-il.

Comme beaucoup d’autres chrétiens, les Boulad ont quitté le pays au début des années 60, poussés vers la sortie par un régime qui promouvait un nationalisme dont ils étaient exclus. Plusieurs ont franchi l’Atlantique pour s’établir au Québec. Eux ont préféré le Liban, considéré alors comme la Suisse du Moyen-Orient. Le pays « du lait et du miel ».

Mais en 1970, l’Organisation de libération de la Palestine (l’OLP, dirigée par Yasser Arafat) est chassée de la Jordanie et avec elle des milliers de Palestiniens fuient… au Liban. Le conflit israélo-palestinien s’invite au pays du cèdre, les chrétiens maronites prennent les armes. Bref, c’est le début d’une guerre civile qui va durer une bonne quinzaine d’années.

La guerre des autres se situe dans ce contexte politique. Juste avant le début de la guerre. Durant les belles années du Liban multiconfessionnel, progressiste, en plein boom économique. On y suit le quotidien de la famille Naggar. Édouard, sa femme Magda et leurs trois enfants, Serge, Yasmine et Alex. Des noms fictifs pour raconter l’histoire tout à fait réelle des Boulad.

Dans l’esprit de L’Arabe du futur

On pense évidemment à la saga de Riad Sattouf, L’Arabe du futur, dont le quatrième tome, qui se passe en grande partie en Syrie, vient tout juste de paraître, ou même à Brigitte Findakly qui raconte sa jeunesse en Irak dans Coquelicots d’Irak. Le scénariste convient qu’il a peut-être été inspiré inconsciemment par la démarche de ces auteurs, mais il insiste : son album est différent.

« J’avais peur de me faire influencer par ces œuvres, c’est sûr que je ne voulais pas faire la même chose que Riad Sattouf, par exemple. D’abord, il raconte son histoire à la première personne, tandis que moi, je voulais prendre une distance, être un témoin plutôt qu’un narrateur. Et puis graphiquement, le style de l’illustrateur Gaël Henry est plus réaliste, moins cartoon que celui de Sattouf… »

Une question demeure : pourquoi revenir sur cette histoire vieille de 40 ans ? « Je ne suis pas sûr, nous dit Bernard Boulad. J’avais envie de raconter cette histoire depuis longtemps. J’en avais imaginé une partie en forme de scénario de film, qui ne s’est pas concrétisé. Puis, après un certain temps, je me suis mis à l’écrire de façon un peu intuitive, sans trop réfléchir. »

Fana de dessins politiques et de bédés, Bernard Boulad a finalement choisi cette forme pour raconter son histoire. « Le rapport au réel est différent, on peut se permettre certaines libertés dans le dessin autant que la narration qu’on ne peut pas transposer au cinéma. Même si mon histoire est réelle, la bédé fait qu’on s’en distance. »

Renouer avec son passé

Bernard Boulad s’est lancé dans le projet après avoir renoué avec le Liban il y a cinq ans. « J’ai retrouvé des amis d’enfance, qui sont d’ailleurs dans la bédé, nous dit-il. On s’était perdus de vue pendant une dizaine d’années, puis on a repris contact. Avec le décès de mon père et ma mère vieillissant, je me suis dit : “Allez, il faut que je laisse une trace.” Y avait un peu de ça… »

Dans l’album, comme dans la vie, le père de Bernard Boulad est présenté comme un séducteur impénitent, coureur de jupons, tandis que sa mère est amoureuse de son meilleur ami… homosexuel. Des personnages forts et colorés qui ne sont pas sans rappeler les locataires de L’immeuble Yacoubian, d’Alaa al-Aswany. Comment sa mère a-t-elle réagi en voyant défiler son histoire ?

« Je lui avais demandé la permission, avoue Bernard Boulad. C’est la seule chose que je lui ai demandée : “Est-ce que je peux parler de cette histoire ?” Elle n’a pas beaucoup hésité. Elle m’a dit : “C’est ton histoire, tu fais comme tu veux.” Quand elle a lu l’album, elle a quand même eu un choc… »

Le scénariste voulait tracer le portrait de ce Liban mythique et désinvolte dans lequel il a grandi. Avant que la guerre s’invite au pays. Une suite est d’ailleurs en chantier…

« C’est une guerre qui ne nous concernait pas, estime-t-il. Peut-être parce que nous n’avions pas d’attaches assez profondes au Liban, on n’était pas très ancrés dans notre communauté religieuse non plus. Le titre fait référence à ça. La guerre, c’est toujours celle des autres. C’est toujours une minorité qui la mène et une majorité qui en pâtit. »

La guerre des autres

Bernard Boulad

La boîte à bulles

171 pages

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