Opinion

Mon rêve fiscal pour le Québec

« Le Québec, chef de file sur la route de la modernisation des régimes d’imposition » : voilà ce à quoi je rêve pour le Québec.

La province est déjà en avance à ce chapitre. C’est l’un des rares États au monde – et l’unique province canadienne – où une commission a déjà examiné le phénomène des paradis fiscaux, avec envoi d’assignations à comparaître aux bureaux de comptables qui refusaient de témoigner et menace d’assignations aux banques. 

Le rapport de la Commission des finances publiques n’a pas été tabletté et le gouvernement du Québec a déjà réagi en déposant un plan d’action face aux paradis fiscaux et au commerce électronique.

Tout ce que le Québec peut faire de manière unilatérale pour moderniser les régimes d’imposition et rétablir le principe de la juste part d’impôt, il doit le faire rapidement pour soulager les contribuables face aux iniquités fiscales. Il est inacceptable que les multinationales causent une concurrence fiscale déloyale aux entreprises canadiennes en surfant sur les régimes d’imposition et de taxation. 

Et il est encore plus inacceptable que les multinationales d’ici et d’ailleurs paient souvent moins d’impôt que nos PME qui ne profitent pas d’économie d’échelle et qui ne peuvent pas réaliser ou prétendre réaliser des profits dans les paradis fiscaux.

Organisations internationales, experts, administrations et élus sont déjà en mode action pour moderniser les régimes d’imposition.

Les délais sont courts. À terme, il faut s’attendre à ce que la modernisation des régimes d’imposition et le rétablissement de la juste part d’impôt provoquent des transferts de richesse entre les paradis fiscaux et les autres territoires et entre les industries qui paient peu ou pas d’impôt et les autres.

Rendez-vous public international

Afin de se moderniser, il va falloir qu’un nombre suffisant de pays franchissent ensemble le point de bascule en consentant à ces transferts de richesse. Et pour y arriver, un rendez-vous public international est nécessaire. 

Présentement, la planète discute de modernisation des régimes d’imposition sur invitation seulement, alors que les citoyens sont indispensables à la grande table de négociation de l’impôt de demain. Les citoyens, et notamment les jeunes, doivent faire partie de la solution. D’ailleurs, l’histoire montre que, face à l’injustice fiscale, c’est souvent eux qui finissent par trancher. Imaginons un peu la contribution du Québec et des Québécois à la modernisation des régimes d’imposition si c’est ici même qu’avait lieu ce premier grand rendez-vous public international sur la fiscalité...

C’est faisable. Les conférences internationales TaxCOOP ont été tenues d’abord à Montréal en 2015, dans les locaux de la Banque mondiale à Washington en 2016, dans les bureaux de l’ONU à Genève en 2017. Le plan de match est que ces conférences continuent leur croisade avec les organisations internationales en 2018 et 2019 pour revenir à Montréal en 2020 avec l’espoir de créer un « momentum » suffisamment important pour marquer le départ de rencontres internationales sur la fiscalité. 

Initiative toute québécoise, les conférences TaxCOOP ont été saluées aujourd’hui même au Global Top 50 des experts et des organisations les plus influentes en fiscalité au monde.

Le problème des fondations privées

Vous pensez que les populations en ont assez de la défiscalisation des multinationales ? Attendez qu’elles réalisent ce qui se passe du côté des richissimes avec les fondations soi-disant charitables, principalement subventionnées par nos impôts.

Si au moins ces fondations étaient réellement charitables... Les chiffres démontrent qu’au contraire, elles le sont deux fois moins que les fondations publiques et dépensent deux fois moins, à ce chapitre, que les contribuables québécois le font en taxes et impôt.

Le problème, c’est que les lois fiscales prévoient une obligation charitable de seulement 3,5 % (avant les frais de fonctionnement) pour les fondations, alors que chacun d’entre nous accordons une économie d’impôt pouvant atteindre 53 % du don aux fondateurs, l’année de la création de la fondation, ainsi qu’une exemption d’impôt et de taxes à perpétuité à celle-ci. 

Pourquoi seulement 3,5 % ? Parce que les fondateurs souhaitent que leur fondation soit perpétuelle et, pour y arriver, celle-ci ne doit jamais être obligée de toucher à son capital.

Le régime des fondations privées n’est malheureusement pas une bonne affaire pour les finances publiques, puisque l’argent reste coincé au sein des fondations pour garantir leur perpétuité. Et pas non plus pour la démocratie, puisqu’on accorde un pouvoir important à leurs fondateurs et leurs proches sur des questions publiques, notamment la santé et l’éducation.

Sur la route de la modernisation des régimes d’imposition, les leaders doivent donc régler le problème de la défiscalisation des multinationales et également des milliardaires, permise notamment par le régime des fondations privées.

Une solution simple

Corriger ce problème est facile et l’on n’a pas à se soucier de la concurrence fiscale internationale parce que les fondations privées ne peuvent pas déménager. Il s’agit simplement d’augmenter l’obligation charitable des fondations privées de 3,5 à 5 %, comme aux États-Unis, voire davantage.

Cette simple majoration représenterait une injection récurrente de capital de 150 millions de dollars par année dans la société québécoise, principalement pour la santé et l’éducation.

La défiscalisation des richissimes, via les fondations privées soi-disant charitables contrôlées à perpétuité, et la défiscalisation des multinationales portent, de manière coordonnée, un coup à la démocratie et nous maintiennent malheureusement dans une logique féodale.

La décision de procéder à la mondialisation sans nous être d’abord assurés que nos régimes d’imposition pouvaient le supporter sera peut-être considérée comme une erreur historique importante. En m’engageant sur la route de la modernisation des régimes d’imposition, au début du siècle, je n’avais jamais imaginé que je verrais les citoyens de la Terre ouvrir le chemin. 

J’aurais encore moins pu rêver que le Québec serait un chef de file ; or, j’y vois aujourd’hui une agora fiscale très spéciale avec des leaders, des experts et des contribuables qui réclament du changement. Chose certaine, le Québec est sur la voie de la modernisation des régimes d’imposition. Et l’on peut s’en réjouir.

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