1/6 Série La vie après la politique

Papa rentre à la maison

Pendant quelques années, leur vie, c’est la politique. Puis vient le temps de tout quitter. Pour certains députés, c’est leur choix. Pour d’autres, les électeurs leur montrent la porte. Entrevues sur l’après-vie parlementaire.

La formule consacrée le dit bien : la politique, c’est un sport extrême. En réalité, ce sont surtout des montagnes russes. On monte dans un train, qui prend de la vitesse, puis après quelques vrilles, il faut descendre. La tête qui tourne.

Un jour de semaine en octobre, alors qu’il aurait été à Québec s’il avait été réélu, Luc Fortin prépare des biscuits avec ses enfants. « Aux pépites de chocolat », se rappelle méticuleusement l’ex-député de Sherbrooke, qui a fini son mandat à titre de ministre de la Famille.

Pour la première fois en quatre ans, M. Fortin a du temps. Beaucoup de temps. La politique l’a quitté, mais il n’est pas amer. Une vague, c’est une vague, analyse celui qui était le plus jeune ministre du gouvernement Couillard.

Avec Christine Labrie, la députée de Québec solidaire qui l’a battu, il a pris le temps de transférer des dossiers. Pas question de lui léguer des classeurs vides.

« En 2014, lorsque j’ai gagné, j’ai eu droit à une pile de journaux empilés jusqu’au plafond et à un poème antilibéral épinglé sur le mur de mon bureau », se souvient-il.

Comme tout le monde

Attablé devant un réconfortant cheeseburger-frites du bistro Vallier dans le Vieux-Montréal, Luc Fortin, 36 ans, réfléchit aux causes de sa défaite. Celui qui répond d’abord ces jours-ci au nom de papa face à ses quatre enfants âgés de 7 ans, 5 ans, 3 ans et 9 mois prépare aussi son avenir. Pour l’instant, il suit intensivement des cours d’anglais.

Ses premiers constats sont lucides. « Les allégeances politiques sont moins enracinées qu’avant. À l’avenir, les gens vont regarder l’offre et leur choix pourrait changer d’élections en élections. » Pour lui, toutefois, c’est autre chose. Il est libéral depuis 1995, alors qu’il défendait le fédéralisme dans un débat en classe, en troisième secondaire. Ça, ce n’est pas près de changer.

De son ton posé qui donne l’impression d’écouter un professeur (il a tout de même fini sa scolarité doctorale en science politique), il raconte ses débuts sur la colline Parlementaire. Mais le premier mandat de Luc Fortin n’a pas été de tout repos.

Pour avoir travaillé dès 2006 comme attaché de presse aux cabinets de Benoît Pelletier, Yolande James et Jean Charest, il connaissait la game. Il a toutefois sous-estimé la pression. Surtout celle que l’on se met soi-même.

L’épuisement

« À un moment donné, je suis resté pris dans une spirale où je me sentais coupable de ne pas être au travail quand j’étais à la maison. Quand j’étais au travail, je me sentais coupable de ne pas être à la maison avec ma famille. Je n’étais pas bien nulle part. Je ne dormais plus. Ça m’a envahi », se rappelle-t-il, heureusement sorti de cette période noire.

Jeune ministre (et jeune papa), Luc Fortin a quitté Québec pour prendre du repos quelques semaines en plein mandat. Pour faire le point. Le scénario de ne pas revenir en selle a toutefois toujours été exclu, même si ses proches, inquiets, ne le laissaient plus sans surveillance.

« J’avais l’impression que les autos ralentissaient devant la maison. Je sortais le soir quand il faisait noir avec ma casquette pour marcher et m’aérer le cerveau », dit-il.

« Mais j’avais aussi le souci de ne pas envoyer le message qu’on ne peut pas faire de la politique quand on est parent. Ce n’est pas vrai. Je devais revenir et le faire en santé. »

Dans une allée du Maxi, où il achetait ses légumes, une électrice lui a donné un conseil pour concilier famille et travail. Un conseil qu’il applique aujourd’hui et qu’il donnerait à n’importe quel jeune ministre.

« La dame m’a dit : “Ce que j’attends aussi de vous, comme député, c’est que vous vous occupiez de vos enfants et que vous donniez l’exemple. Si vous ne prenez pas soin de votre famille et de vous-même, aux prochaines élections, vous n’aurez pas mon vote.” »

« Les gens veulent se reconnaître en leur député. Si tu as un rythme de vie de fou, ils se disent que tu n’es pas comme eux. Que tu ne fréquentes pas les mêmes endroits et que ce n’est pas ça, la vraie vie. Il faut donc soi-même apprendre à mieux doser », reconnaît-il.

Des réformes au plus vite

Luc Fortin le conçoit sans problème : il n’était pas le député le plus flamboyant. Méthodique et rationnel, il arrive toutefois à ses fins. Comme lorsqu’il a piégé celle qui est devenue sa conjointe, Émilie, pour la séduire.

Attaché de presse comme elle à l’époque du gouvernement Charest, il a manigancé avec sa patronne, l’ex-ministre Yolande James, pour organiser un souper biministériel entre son cabinet et le sien. Le thème de la rencontre, somme toute bidon, avait peu d’importance. Il voulait mieux connaître celle qui est finalement mère de ses quatre enfants.

Passionné quand il parle de sa famille – il nous pointe même la banquette où il était assis récemment avec sa bande dans ce restaurant, « son » bistro chouchou de la rue McGill –, M. Fortin a aussi les yeux qui pétillent quand il parle de réformes des institutions démocratiques. C’est clair, l’homme est un geek de la politique. Un vrai.

« La période de questions, ça mérite d’être réformé. C’est le show du jour à Québec. Ça ne donne souvent rien, alors que ça devrait être un véritable exercice de contrôle de l’activité gouvernementale », tranche-t-il, oubliant sur la table son burger qui refroidit tristement alors qu’il détaille les réformes qu’il voudrait voir implanter.

« Les gens qui vont écouter les nouvelles une fois dans la semaine ne verront que du crêpage de chignon à l’Assemblée nationale. C’est l’image qu’ils auront de la politique. Moi, je ne suis pas quelqu’un de très partisan dans la vie. Mais si tu vas voir certaines réponses que j’ai données en Chambre à Véronique Hivon sur des enjeux de famille, c’est vrai que j’étais assez mordant. Ce n’était par contre pas dans ma nature », plaide-t-il aujourd’hui.

Réformer le parlementarisme, permettre les votes à distance, accorder aux députés le droit de prendre un congé parental, ouvrir une garderie à l’Assemblée nationale : les solutions ne manquent pas à Luc Fortin pour renouveler l’exercice politique et l’ouvrir aux plus jeunes.

Comme quoi, même dans la défaite, il n’a pas perdu le goût de se battre. La preuve : il promet déjà, un jour, un retour en politique.

Luc Fortin

36 ans

Il a été élu pour la première fois aux élections d’avril 2014 dans la circonscription de Sherbrooke, puis défait le 1er octobre 2018 par Christine Labrie de Québec solidaire.

Au sein du gouvernement Couillard, il a été adjoint parlementaire de la ministre de la Culture, ministre délégué au Loisir et au Sport, ministre de la Culture, puis ministre de la Famille.

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