Apprentissage

Un jeu vidéo éducatif… qui fonctionne vraiment

Les concepteurs de l’application québécoise Slice Fractions se doutaient bien que leur jeu éducatif plaisait aux enfants. Mais voilà, des chercheurs de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) viennent de prouver qu’en plus, il atteint son but. Et en quelques heures seulement.

L’équipe d’Ululab a lancé ce jeu pour appareils mobiles en 2014. Le concept : le joueur doit aider un petit mammouth à poursuivre son chemin en coupant des morceaux de lave et de glace de façon à obtenir des fractions bien précises. Les défis se complexifient graduellement, jusqu’à ce que les joueurs de 6 à 12 ans comprennent des éléments comme le numérateur, le dénominateur et les opérations mathématiques.

Experts-conseils dans la conception de Slice Fractions, les chercheurs Stéphane Cyr et Martin Riopel ont toutefois voulu vérifier dans quelle mesure un enfant qui y joue maîtrise mieux le concept très abstrait des fractions. Pour le savoir, ils ont divisé 139 enfants de 3e année – qui n’avaient pas vu les fractions en classe – en trois groupes : le premier recevait les instructions d’un enseignant, le deuxième ne jouait qu’au jeu et le troisième profitait des deux approches combinées.

Surprise : après seulement trois heures de jeu, les enfants des groupes qui avaient joué à Slice Fractions obtenaient des résultats comparables à ceux de leurs aînés de 4e année à des questions issues d’un test international. Chez les autres, la compréhension des fractions était moins probante. 

« C’est étonnant de voir qu’ils ont autant avancé juste en jouant à un jeu. Même si le jeu est très visuel, on voit aussi qu’ils ont appris quelque chose et que ça peut se traduire dans un contexte plus scolaire, beaucoup plus abstrait. »

— Martin Riopel, professeur au département de didactique de l’UQAM

Car même sous forme de jeu, l’enseignement des fractions représente tout un défi. « Les fractions, c’est extrêmement contre-intuitif : trois est inférieur à quatre, et tout d’un coup, 1/3 est supérieur à 1/4 ! Nos recherches nous ont permis de comprendre que les fractions, c’est le cœur du problème en mathématiques au primaire. L’idée ici n’est pas de remplacer l’enseignant, mais d’arriver avec un outil efficace », explique Jean-Guillaume Dumont, cofondateur d’Ululab et lui-même détenteur d’une maîtrise en éducation.

Pour arriver à captiver les enfants, les concepteurs du jeu ont donc procédé par étapes. « On introduit le concept de fraction très progressive, raconte M. Dumont. Ça prend une trentaine de tableaux avant de voir les premières représentations numériques. Cette approche par petits pas nous permet de rejoindre des enfants très jeunes, dès 5 ans. Les plus vieux ont seulement du plaisir et on les raccroche avec des notions plus complexes une fois qu’on a fait pas mal de niveaux. »

C’est justement la possibilité d’avoir des gains fréquents qui soutient l’attention des enfants, croit Martin Riopel. « Quand on bloque sur une notion, c’est qu’on a une conception en tête qui reste là. Il faut surmonter cette mauvaise conception pour arriver à donner la bonne réponse. C’est comme si deux circuits s’affrontaient dans notre cerveau : il faut renforcer progressivement le nouveau circuit jusqu’à ce qu’il devienne plus fort que l’ancien. Le jeu permet d’entraîner ces circuits, car pour finir un niveau, il faut trouver la façon de donner la bonne réponse. » 

Son collègue Stéphane Cyr, professeur au département de mathématiques de l’UQAM, s’intéresse maintenant à la façon dont on pourrait réellement intégrer ce type de jeu à l’enseignement de toutes les matières à l’école. « Aucun concept ne peut être appris au primaire avec l’ordinateur uniquement. C’est impossible. Il faut manipuler des objets. Ce n’est qu’une approche parmi tant d’autres, mais ce type de jeu a des avantages évidents », explique le chercheur, qui ajoute que les parents et les enseignants bénéficieraient d’une liste d’applications et autres sites internet suggérés ou approuvés par le ministère de l’Éducation, plutôt que de se fier au hasard.

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