Le souvenir des matraques

Depuis quelques jours, des gens des communautés LGBTQ2 de partout au monde ont pris d’assaut le Village et le parc des Faubourgs. Dans la rue Sainte-Catherine qui est devenue très grouillante, des passants hétérosexuels et des policiers côtoient avec insouciance des hommes qui se tiennent par la main ou des femmes qui se bécotent sur une terrasse.

Avec Berlin, Amsterdam, Mykonos, Paris, Brighton et San Francisco, Montréal fait partie des villes internationales reconnues pour leur grande ouverture face à la mixité. Même si des incidents isolés sont rapportés à l’occasion, il est possible pour les gais de s’afficher dans les rues de la métropole sans peur des représailles.

Il est donc difficile pour la jeune génération d’imaginer les luttes que les générations précédentes ont dû mener pour arriver à ce résultat. Quand on raconte aux jeunes gais qu’en 1994, la police était débarquée au bar KOX/Katacombes pour y arrêter tous les clients et les accuser de « s’être trouvés dans une maison de débauche », ils n’en croient pas leurs oreilles. Et je ne vous parle pas des nombreuses rafles des années 70 ou 80 dans des saunas et des bars ou des soirées clandestines que les homosexuels organisaient au Lion d’or dans les années 50 afin de pouvoir se retrouver entre eux.

Si on peut aujourd’hui raconter cette histoire, si on peut comprendre la longue et difficile lutte menée par de courageux activistes, c’est en grande partie grâce aux Archives gaies du Québec, organisme créé en 1983 par Jacques Prince et Ross Higgins.

Je suis allé rencontrer ces deux hommes passionnés et bavards dans les locaux que l’AGQ occupe dans la rue Amherst.

Ils m’ont d’abord raconté comment les premières archives québécoises avaient d’abord failli se retrouver à Toronto. Heureusement, les deux hommes ont pris les choses en main et se sont transformés en gardiens de notre mémoire. « Il fallait agir vite, dit Ross Higgins. C’était le début du sida. Plein d’amis mouraient autour de nous. On ne savait pas si on allait mourir nous aussi. »

Un don de la célèbre et regrettée librairie L’Androgyne, d’abord située dans la rue Crescent, puis sur le boulevard Saint-Laurent, a constitué le premier fonds de l’AGQ. Il y eut ensuite le fonds de l’Association pour les droits des gai(e)s du Québec (ADGQ). Puis, dans les années 90, l’AGQ est devenue propriétaire du volumineux Fonds Ken Morrison traitant des problématiques du sida, celui de Bernard Courte, l’un des fondateurs de la revue Sortie, ainsi que celui du photographe Alan B. Stone.

« Il photographiait des hommes pour des revues culturistes, explique Ross Higgins. C’est un formidable artiste. Ces revues étaient souvent achetées par les homosexuels. » La vente, en quantité limitée, de certaines photographies d’Alan B. Stone est une source de financement pour l’AGQ.

Pendant de nombreuses années, la demeure de Ross Higgins a servi d’entrepôt pour ces archives. « J’entreposais des affiches sous mon lit », dit le concerné. L’organisme dispose maintenant d’un petit local situé à un jet de pierre du Village. L’organisme réussit à fonctionner grâce à une minuscule aide gouvernementale et à des dons privés.

« Un membre nous a offert un montant important en héritage », précise Jacques Prince. Cet argent sert à l’embauche de quelques employés à temps partiel. C’est le cas de l’archiviste Jonathan Dorey, qui offre deux jours par semaine à l’AGQ.

Les dons de fonds arrivent à un rythme accéléré depuis quelque temps. « C’est normal, les militants sont tous devenus vieux, dit Jacques Prince. Ils veulent s’assurer que leurs documents servent à quelque chose. »

L’AGQ possède aujourd’hui un millier de titres de périodiques (dont la revue Le Berdache), 2000 livres, 1000 brochures, 2000 affiches, 50 000 photos, 1200 documents audiovisuels, ainsi que des vêtements, des coupures de presse et des bannières utilisées lors de manifestations.

L’AGQ possède également une impressionnante collection d’affiches internationales qui ont servi à sensibiliser le public aux réalités du sida. On peut actuellement voir une vingtaine de ces affiches dans le cadre d’une exposition présentée au Cinéma du Parc jusqu’au 31 août dans le cadre du 35e anniversaire de l’AGQ.

Ce Mercredi, une soirée spéciale aura lieu dans le hall du Cinéma du Parc. Après une conférence de Gabriel Girard sur le VIH/sida, on présentera une entrevue filmée avec John Banks, militant gai qui a eu mille et une vies (il fut notamment l’homme à tout faire de Marlene Dietrich). L’événement commence à 19 h. Les billets coûtent 15 $.

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