À l’étude

Des médicaments qui en veulent aux bactéries

C’est bien connu, plusieurs médicaments ont des effets sur le système digestif. Certains augmentent même la résistance aux antibiotiques, selon une nouvelle étude allemande. Nos explications.

Le contexte

Plusieurs études ont montré que certains médicaments non antibiotiques changent la composition du microbiote, les bactéries présentes dans le corps humain. Cet effet pourrait être lié aux maux de ventre associés à certains médicaments, tout comme les antibiotiques sont parfois associés à des troubles gastro-intestinaux. En particulier, des effets sur le microbiote ont été décelés pour certains antidiabétiques, antipsychotiques, anti-inflammatoires non stéroïdiens et pour les inhibiteurs de la pompe à protons utilisés notamment pour les brûlements d’estomac. Pour en avoir le cœur net, des biologistes de trois universités allemandes et une japonaise ont décidé de tester 1000 médicaments non antibiotiques sur 40 souches bactériennes courantes dans le système digestif humain.

La genèse

« Nous avons rassemblé des équipes qui travaillent sur la chimiogénomique, l’interaction entre les composés chimiques et l’expression des gènes des bactéries, et sur la reproduction en laboratoire des conditions anaérobiques [NDLR : sans oxygène] qui existent dans le système gastro-intestinal », explique Georg Zeller, du Laboratoire européen de biologie moléculaire à Heidelberg, qui est l’auteur principal de l’étude publiée en mars dans la revue Nature. « Ce sont des gens qui œuvraient chacun de leur côté. Quand j’ai voulu étudier la question des effets sur le microbiote des médicaments non antibiotiques, je me suis rendu compte que les avancées dans les deux domaines étaient suffisamment importantes pour qu’on puisse pour la première fois faire ce genre d’examen exhaustif. » Comment les 40 souches ont-elles été choisies ? « Nous avons pris les bactéries les plus courantes de 100 cobayes humains, dit M. Zeller. Nous nous sommes assurés d’avoir une bonne diversité enzymatique. Nous avons aussi ajouté certaines bactéries associées à des infections, comme C. difficile, qui souvent est résistante à des antibiotiques et cause des ravages dans les hôpitaux. »

Ce que révèle l’étude

Parmi le millier de médicaments, 24 % ont empêché la croissance en éprouvette de l’une des 40 souches bactériennes. « Cet effet antibiotique signifie qu’il y a un risque de stimuler la résistance aux antibiotiques, dit M. Zeller. Peut-être que les mécanismes qui permettent aux bactéries de résister aux antibiotiques sont activés par les médicaments non antibiotiques. » Est-ce que cet effet peut avoir des conséquences cliniques chez l’individu ? « Peut-être, mais il est trop tôt pour le dire. » Si l’un de ses propres enfants se faisait prescrire l’un des médicaments déjà identifiés pour leur effet sur le microbiote, poserait-il des questions au médecin pour voir s’il y a d’autres options ? « Il faut toujours avoir cette discussion, mais si un médicament est nécessaire, je n’hésiterais pas à le donner à mon enfant. »

Et maintenant ?

« Notre étude a été faite en isolation, un médicament et une bactérie, dit le biologiste de Heidelberg. Il faut voir comment vont réagir les communautés d’une centaine de souches bactériennes. Il pourrait y avoir une synergie, une transmission de la résistance aux antibiotiques d’une espèce à l’autre. Ou alors, il pourrait y avoir des effets protecteurs de certaines enzymes. Il y a déjà eu des recherches sur la possibilité de diminuer la toxicité des médicaments oncologiques en inhibant certaines enzymes des bactéries du corps humain. Il est aussi possible que le microbiote soit associé au gain de poids associé à certains médicaments, en psychiatrie par exemple. »

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