Le projet C

Un cancer à la mode

Environ un Canadien sur deux aura un diagnostic de cancer au cours de sa vie. La journaliste Marie-Eve Morasse en a reçu un à 27 ans, puis a vécu une récidive au début 2018. Elle a coûté cher au système de santé, a gardé ses cheveux et a encore des traitements pour prévenir une récidive. Cette série sur le cancer part d’un désir de témoigner qu’il y a aussi beaucoup de vie dans la maladie.

Toutes les deux semaines, la salle d’attente d’un grand hôpital montréalais devient mon bureau improbable. L’attente pour rencontrer l’oncologue qui déterminera si je peux avoir le traitement qui doit prévenir une récidive de cancer est parfois longue, alors je m’y installe pour travailler.

Entre une prise de sang et la rencontre avec le médecin qui confirme habituellement que j’aurai un traitement préventif dans les jours suivants, j’installe pour quelques heures un bureau satellite de La Presse à l’hôpital en essayant de déranger le moins possible mes voisins, tout aussi patients que moi.

Mon chirurgien ne reniera certainement pas cette manière de faire. Après tout, j’ai suivi son conseil, qui s’apparentait à un ordre : « Maintenant, il faut retourner à la vie », m’a-t-il dit avant Noël, peu après m’avoir annoncé, rapport de pathologie en main, qu’après plusieurs mois d’examens radiologiques, de zones grises médicales et une opération, je n’avais plus le cancer.

Mon chum et moi sommes restés à peu près stoïques, si bien qu’il s’est peut-être senti obligé d’ajouter que c’était le moment où nous pouvions nous réjouir. Force est d’admettre que nous avions un peu cessé d’y croire, conditionnés que nous étions à attendre le prochain coup dur.

Dans la foulée, mon médecin m’a prévenue que ma vie ne serait plus jamais la même. C’est un grand privilège que de pouvoir retourner à la vie, mais j’avais déjà bien compris que même si je n’avais plus le cancer, je vivais désormais avec lui.

***

J’avais eu à 27 ans un diagnostic de cancer qui s’était soldé par une brève opération. On m’avait régulièrement suivie à l’hôpital les années subséquentes, mais les risques de récidive étaient faibles, si bien que j’avais été libérée par mon médecin de l’époque.

Plus d’une décennie s’est écoulée et je n’étais pas loin d’avoir regagné un sentiment d’invincibilité. C’était sous-estimer l’ennemi silencieux qui s’est réveillé l’an dernier. Il a fallu du temps avant de confirmer que le cancer avait refait surface, mais je n’ai pas attendu les résultats de la biopsie pour sombrer.

Ce n’est que quelques semaines après ce diagnostic que mon médecin allait me sortir la tête de l’eau en choisissant soigneusement ses mots, en m’assurant que les traitements pour le mélanome – « un cancer fashion » – avaient considérablement évolué au cours des dernières années. Je ne prenais heureusement pas la mesure de tout ce qui m’attendait dans les mois à venir, mais il venait de me dire que je pouvais garder espoir.

***

Il n’y a pas si longtemps, assise à mon « bureau », entourée de patients, de bénévoles attentionnés qui distribuent précautionneusement du café dans des verres en styromousse comme s’ils étaient en porcelaine, de médecins et d’infirmières affairés, j’ai levé les yeux de mon ordinateur, puis aperçu une femme dans la jeune vingtaine entourée de ses parents.

Son père semblait sous le choc tandis que sa mère, fébrile, s’occupait de donner des papiers à une secrétaire. La jeune femme pleurait à l’écart en faisant les cent pas. J’ai mis un peu de temps avant de comprendre que c’est elle qui avait reçu, cette journée-là, un diagnostic de cancer.

J’ai fermé l’ordinateur, le goût de travailler n’y était plus. Je savais trop bien ce qui attendait cette fille. Je pouvais sans peine imaginer ses heures, jours et semaines à venir ; tout le chemin qu’elle aurait sans doute à parcourir.

Comment lui dire qu’il y a un an, je n’aurais jamais pensé que je ferais parfois de l’hôpital mon bureau, parce que j’imaginais surtout que je serais bientôt morte ? Comment lui expliquer qu’elle venait de tomber bien involontairement dans un monde dont elle comprendrait bientôt les codes ? Que le temps se suspendait parfois, pour mieux reprendre son cours autrement ?

J’ai hésité le cœur battant, mais le temps que je me décide à aller lui parler, elle était partie.

Je suis sortie de l’hôpital ce jour-là avec une certitude : j’allais écrire sur le cancer.

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La liste d'Alyson

« Quand j’ai su que le cancer que j’avais était palliatif, je me suis rendue compte que je n’avais rien vécu de ce que je voulais vivre », raconte Alyson Beauchesne-Lévesque. Elle a pris les choses en main depuis. Pour elle, comme pour les autres...

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