Chronique

Sexisme inversé

Que se passerait-il si nous vivions dans un monde inversé où les femmes étaient au pouvoir ?

Voilà la prémisse de la provocante comédie romantique Je ne suis pas un homme facile, premier long métrage d’Éléonore Pourriat. Un film dont le sujet tombe à pic à l’heure du mouvement #metoo.

Éléonore Pourriat est une réalisatrice, scénariste et comédienne française qui s’est fait connaître avec Majorité opprimée, un court métrage grinçant qui racontait une journée dans la vie d’une société sexiste dominée par les femmes. Le petit film féministe de 10 minutes a connu un succès extraordinaire (plus de 15 millions de vues). Et c’est ainsi que, sans trop le savoir, bien avant la vague #metoo, la talentueuse réalisatrice a mis le doigt sur un filon prometteur. Lorsque, de façon inattendue, en 2014, son court métrage est devenu viral sur YouTube, Netflix l’a contactée pour savoir si elle avait des projets. « Du coup, j’ai décidé de décliner le monde inversé que j’avais imaginé dans un petit film de 10 minutes en long métrage, en choisissant comme fil rouge une comédie romantique », raconte, en entrevue téléphonique, la réalisatrice de 46 ans qui vit à New York depuis quatre ans.

Le long métrage Je ne suis pas un homme facile est en quelque sorte l’aboutissement d’un conte de fées féministe. Il devient le premier film français diffusé en exclusivité par Netflix. 

Il sera offert dans 190 pays, dont le Canada, à partir du 13 avril. Éléonore Pourriat n’en espérait pas tant. « Pour moi, c’est une chance extraordinaire. C’est tout ce qu’on peut rêver ! »

Le film raconte l’histoire de Damien (Vincent Elbaz), macho invétéré qui se fait rendre la monnaie de sa pièce le jour où il se réveille dans un monde injuste dominé par les femmes. Du jour au lendemain, il devient un homme-objet. Des femmes le harcèlent et lui font des remarques sexistes. Une patronne lui dit que son projet est « trop intelligent » et lui fait des avances sexuelles. Il est soumis aux diktats les plus ridicules de la mode et doit constamment combattre les préjugés sexistes qui accablent les hommes.

Le résultat doux-amer, acide par moments, fait passer du rire à une sorte d’inconfort qui, espère la réalisatrice, saura provoquer la réflexion. « Ce qui me plaît bien, c’est que le film arrive à un moment où il participe à un élan de prise de conscience du dysfonctionnement de notre système patriarcal. En France, le sexisme est encore très présent. C’est dans des petits détails qu’on ne voit pas forcément. C’est ce qui m’intéressait aussi… Dans un film d’une heure et demie, de montrer à quel point le patriarcat s’est infiltré dans beaucoup de situations de notre vie quotidienne. »

Le procédé d’inversion des rapports de pouvoir, très simple et classique, est particulièrement efficace. C’est le même procédé qu’utilise le roman Le pouvoir de l’auteure britannique Naomi Alderman, qui imagine la prise de contrôle du monde par les femmes. En inversant, on voit mieux l’absurdité d’un ordre établi et des règles qu’on accepte alors qu’elles sont profondément inégalitaires. Cela permet de rendre visibles toutes sortes de manifestations du sexisme dont on n’a pas toujours conscience, souligne la réalisatrice. 

« La plupart du temps, les hommes ne savent pas certaines choses que les femmes vivent au quotidien et ont appris à intégrer. Et même les femmes, on oublie souvent. C’est une façon d’offrir une autre perspective. »

— La réalisatrice Éléonore Pourriat

Si les réactions provoquées par son court métrage Majorité opprimée étaient en général très positives – beaucoup d’hommes l’ont remerciée de leur avoir proposé une vision dont ils n’avaient pas forcément conscience –, Éléonore Pourriat a aussi reçu son lot d’insultes et de menaces. On l’a notamment accusée – à tort – de faire la promotion de la société matriarcale sexiste imaginée pour son film. Elle sait qu’elle risque encore de recevoir le même genre de réactions affligeantes et agressives. « Je crois que dès qu’on fait une proposition engagée, on s’attend à voir des réactions de ce genre. »

Mais son œuvre, rappelle-t-elle, est une fiction qui ne constitue en rien un idéal. « Mon film ne propose pas du tout un modèle. Il propose un miroir de notre société. Et cette société matriarcale que je montre est aussi inégalitaire que notre société patriarcale. La proposition du film n’est pas du tout une utopie, mais plutôt une dystopie. C’est pour montrer les dysfonctionnements. C’est une critique de notre système à travers un procédé littéraire assez classique. Je ne pense pas que ça puisse être pris pour un fantasme ! »

Même si la vague #metoo ne semble pas avoir ébranlé les colonnes du temple avec la même intensité en France qu’en Amérique du Nord, elle ne croit pas que le ressac y soit plus fort que la vague. « Dès qu’il y a un pas en avant, il y a toujours une résistance, un ressac ou un retour de bâton qui est inévitable. On le sent dans tous les pays. C’est vrai qu’en France, il y a eu cette tribune de Catherine Deneuve qu’elle a d’ailleurs nuancée par la suite. Mais il y a eu aussi tout de suite une levée de boucliers de femmes féministes qui ont déploré que, alors qu’il y a eu une libération de la parole des femmes, il y ait eu une désolidarisation. »

C’est aussi une question de génération, observe Éléonore Pourriat. « On a peut-être des baby-boomers qui s’arcboutent sur leur vieux système. Mais je trouve que les nouvelles générations, même en France, sont très actives et très engagées. Il y a beaucoup d’associations et de think tanks qui se sont organisés ces dernières années. Les femmes se mobilisent beaucoup plus et ont conscience que la solidarité les rend plus fortes. Je n’avais pas cette impression en 2014. Et le fait que la parole soit libérée par certaines dans des milieux privilégiés aide à ouvrir la voie. »

Si son film pouvait participer à cet extraordinaire élan en faveur de l’égalité des sexes, elle en serait ravie.

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