Opinion Jocelyn Coulon

ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE Un échec pour le Canada

Les chefs d’État de l’Union africaine (UA) réunis lundi en Mauritanie ont décidé d’appuyer la candidature, soutenue par la France, de la ministre des Affaires étrangères du Rwanda au poste de secrétaire général de la Francophonie. Cette décision met du plomb dans l’aile de la campagne de Michaëlle Jean, qui cherche à obtenir un deuxième mandat à la tête de l’organisation.

Elle représente en même temps un véritable échec pour la diplomatie canadienne. En plus d’être la victime collatérale des ambitions françaises en Afrique, le Canada paye au prix fort sa douzaine d’années d’indifférence envers ce continent.

Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Au moment où le président Emmanuel Macron recevait Justin Trudeau à la mi-avril, il finalisait avec le Rwanda la candidature de Louise Mushikiwabo. On ne sait pas si les deux hommes en ont discuté, mais un mois plus tard, à la mi-mai, le sort de Mme Jean a été scellé publiquement lorsque le président français a surpris tout le monde en soutenant la ministre rwandaise. À cette occasion, il recevait le président du Rwanda Paul Kagame à l’Élysée, avec qui la France cherche à renouer depuis qu’elle est soupçonnée d’avoir joué un rôle trouble pendant le génocide de 1994.

Au-delà de la réconciliation avec ce petit pays d’Afrique centrale, la décision du président Macron est motivée par sa détermination à consolider la présence et l’influence française sur le continent.

La France tire en partie son statut de puissance mondiale de son implantation en Afrique. Et ce continent prendra encore plus d’importance dans les prochaines années pour la France, car, disent les spécialistes, l’Afrique est la Chine de demain.

Le président français a bien compris l’enjeu pour son pays. Et la Francophonie est une des pièces de sa stratégie. L’avenir du français se joue en Afrique et les pays francophones du continent demeurent le socle des intérêts français. Toutefois, Macron voit plus loin. Il veut aller au-delà du traditionnel domaine réservé et entrer de plain-pied en Afrique anglophone, le marché le plus dynamique et le plus prometteur. Le Ghana, le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Kenya et le Rwanda sont les moteurs économiques et politiques de l’Afrique. En ramenant le Rwanda dans le giron de la Francophonie, Macron ouvre de nouvelles portes et parie sur l’avenir.

Le Canada n’a pas de stratégie africaine, ou n’en a plus. Il fut un temps où il avait une présence reconnue et influente sur le continent africain.

Depuis l’élection des conservateurs en 2006, son empreinte en Afrique a rapidement diminué : plusieurs ambassades ont fermé, l’aide au développement a été concentrée sur quelques pays, les visites politiques ont été limitées, sa participation aux opérations de paix, jusqu’à tout récemment, inexistante.

C’est dans ce contexte que la campagne à la direction de la Francophonie s’est transportée au sommet des chefs d’État de l’Union africaine dimanche et lundi. Le président Kagame, appuyé par Macron présent dans les couloirs du sommet, a joué finement. Il a présenté sa candidate et rappelé à ses pairs que, par le passé, leur division autour d’une candidature pour la direction d’une grande organisation internationale a été source d’échec.

Il y a quatre ans, les Africains avaient présenté quatre candidats au poste de secrétaire général de la Francophonie. Devant cette cacophonie, la candidature de la seule femme en lice, Michaëlle Jean, soutenue par le Canada, était devenue séduisante et avait emporté la décision.

Cette fois-ci, plus question de répéter la même erreur.

Le Canada a bien tenté de bloquer la manœuvre franco-rwandaise. Justin Trudeau a téléphoné à plusieurs chefs d’État afin de les convaincre de ne pas se joindre au consensus, sans succès.

Pourtant, la France et le Rwanda n’ont pas que des amis sur le continent. La France est toujours perçue comme arrogante et impériale. Le Rwanda est loin d’être une démocratie exemplaire (elles ne sont pas nombreuses au sein de la Francophonie).

À chaque étape du processus d’approbation de cette candidature, plusieurs pays africains mécontents de la façon dont les deux pays se comportent dans les affaires africaines auraient été en mesure de bloquer la décision favorable à la candidature rwandaise. Or, ni lors des discussions au Comité exécutif de l’UA ni lors de la réunion à huis clos entre chefs d’État, la moindre opposition ne s’est manifestée.

En appuyant la candidature rwandaise, les Africains ont fait un choix rationnel : en plus de reprendre le poste de secrétaire général, ils ont aussi préservé leurs précieuses relations avec la France.

Mme Jean a-t-elle encore une chance de se rattraper et d’être réélue lors du sommet de la Francophonie en Arménie en octobre ? C’est peu probable.

Les pays africains constituent la majorité des membres de l’organisation et ils ne voudront pas se diviser à nouveau.

Quant au Canada, sa défaite révèle une tendance lourde : à défaut de piloter une diplomatie agressive et créative, son influence dans le monde s’érode. Cela n’annonce rien de bon au moment où il mène campagne pour obtenir en juin 2020 un siège de membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Pour gagner, il faudra les voix de l’Afrique. Seront-elles au rendez-vous ?

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.