Opinion Jean-François Dumas

MÉDIAS
Où sont passés nos universitaires ?

Il y a rarement des fossés importants qui circonscrivent les différents types de médias. La radio, la télé, les journaux et le web s’intéressent généralement aux mêmes genres de nouvelles. C’est dans le traitement de l’information qu’on y découvre certaines nuances notables.

Depuis les cinq dernières années, la presse écrite, c’est-à-dire les quotidiens et les sites web, a accru considérablement son intérêt pour les universitaires comme sources d’information ou à titre de commentateurs. Dans les faits, les chercheurs tels que les philosophes, les spécialistes en éthique, les sociologues ou les anthropologues ont augmenté leur poids média de 180 % entre 2013 et 2017.

À l’inverse, à la radio et à la télévision, la classe universitaire a perdu 19 % de sa vélocité pendant la même période. Depuis 24 mois, c’est une chute moyenne de 7 % par année.

À ce rythme, les Luc Dupont et Donald Cuccioletta de ce monde risquent de se sentir bien seuls dans une dizaine d’années.

Gardons en tête que la télévision est et demeure un média d’impact majeur pour influencer les comportements.

C’est encore plus inquiétant à la veille d’une campagne électorale. Lors des élections en 2014, l’ensemble des médias québécois ont cédé quatre fois moins de place aux professeurs d’une ou l’autre de nos universités qu’ils l’avaient fait en 2003.

Ajoutons aussi qu’en 2014, l’analyse a été six fois plus volumineuse dans notre écosystème médiatique que lors des élections de 2003. Dans les faits, notre presse accorde de moins en moins d’attention aux propos des politiciens, mais les décortique de plus en plus. En langage de hockey, on a beaucoup plus d’analyse que de jeu. C’est comme si L’antichambre à RDS analysait chaque partie du Canadien pendant trois jours. Je sais, c’est pas mal ce que fait L’antichambre, mais bon, vous comprenez l’analogie !

On a quelques beaux esprits qui peuplent nos médias, mais qu’en est-il de nos universitaires ?

Nous ne manquons pas d’électrons libres. L’opinion, qui occupe plus de 25 % du contenu écrit et près de 90 % des médias parlés, impose une large panoplie de commentateurs et de chroniqueurs.

Ce n’est pas une mince tâche de remplir chaque jour des chroniques avec une opinion soutenue, structurée et intéressante. L’universitaire n’étant pas contraint par un tel impératif peut donc avoir le recul nécessaire pour apporter des éclairages différents.

Alors pourquoi les voyons-nous et les entendons-nous de moins en moins ? Une piste me vient en tête pour tenter de comprendre le phénomène : le besoin d’être intéressant et « formaté » pour répondre aux goûts de l’auditoire.

Avouons-le, il faut un gros effort pour être ennuyant quand on est simplement cité dans un quotidien. À la radio et à la télé, ce n’est pas la même chose.

On ne peut pas en vouloir au Club des ex (RDI) ni à La joute (LCN) de miser sur des débatteurs colorés et divertissants. Les prochaines générations de chercheurs universitaires devraient être mieux sensibilisées et formées aux besoins des médias modernes.

Savoir résumer 20 ans de recherche en une entrevue de 1 minute 50 n’est pas donné à tous, je comprends. Pour vous retrouver en entrevue avec Dutrizac, Dumont ou Arcand, vous n’avez pas le temps de regarder vos souliers.

Pour être plus présents dans les médias, les universitaires sont condamnés à être pertinents, intéressants et surtout que les médias pensent à eux, trois conditions qui ne sont pas à la portée de tous les chercheurs et professeurs dans un environnement où l’impératif commercial prend une aussi grande importance.

Est-ce du snobisme, un nivellement par le bas, une méconnaissance ou du mépris ?

À leur défense, il faut aussi se demander si, comme société, nous n’avons pas besoin de diversifier davantage les points de vue et les angles de réflexion. Valorisons-nous assez nos intellectuels ? Leur accordons-nous le rôle qui devrait leur revenir dans un Québec qui s’interroge autant sur l’immigration, l’intégration et le développement social ?

Notre démocratie y gagnerait sans doute beaucoup.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.