À ma manière

L’inaudible rugissement d’Autobus Lion

Mais comment ai-je pu réussir ce coup-là ? Chaque semaine, un entrepreneur nous raconte par quels moyens il a concrétisé un projet important.

Le Lion ne rugit plus. Le grondement de son diesel a été remplacé par un miaulement électrique à peine perceptible.

Entre novembre 2013 et juin 2014, Autobus Lion a construit son premier autobus électrique pour écoliers. En moins d’une année scolaire.

Le 27 février dernier, le gouvernement du Québec a accordé une subvention de 2 millions, financée par son Fonds vert, pour la construction et l’essai d’une présérie de six autres autobus électriques.

Un de ceux-là est actuellement testé en Californie.

« J’y étais au début de la semaine, raconte Marc Bédard, président d’Autobus Lion. Ils ont demandé de garder le véhicule plus longtemps parce qu’il y avait trop de gens qui voulaient le conduire. En Californie, ils me disent que ça fait 20 ans qu’ils attendent ça. Les gens nous parlent avec émotion, là-bas. »

Ici, il nous en parle avec tout autant d’émotion. Enthousiaste, loquace, rieur, on le sent transporté par son projet.

« C’est le premier autobus scolaire électrique de type C en Amérique du Nord, insiste-t-il. On n’en connaît pas ailleurs non plus, mais on parle de l’Amérique du Nord pour rester humble. »

Comment la petite firme de Saint-Jérôme a-t-elle réussi à damer le pion aux constructeurs américains ?

PRÉSCOLAIRE

Camille Chartrand et Marc Bédard, deux anciens d’Autobus Corbeil, ont fondé Autobus Lion en 2008 avec la ferme volonté d’innover. « On voulait faire quelque chose qui était différent des autres », indique ce dernier.

Lancé en 2011, leur autobus Lion avec moteur diesel montrait une carrosserie en matériaux composites, plus large de 15 centimètres que ses concurrents.

« Dans nos plans, les énergies alternatives, quelles qu’elles soient, allaient être envisagées. »

Première question : quelle énergie ? Le marché québécois les a fait pencher pour l’électricité.

FAIRE SES CLASSES

« Faire un véhicule électrique, c’est un défi, mais ça se fait. Faire un véhicule électrique parfaitement adapté aux besoins de son marché, c’est là que le vrai défi se pose. »

Autobus Lion a commencé à plancher sur le problème dès le début de 2012. À l’automne 2013, le constructeur a formé un consortium avec trois partenaires pour la concrétisation d’un premier prototype. TM4, une filiale d’Hydro-Québec spécialisée dans la propulsion électrique, a fourni le moteur.

TM4 fabriquait déjà un moteur pour véhicule électrique, le SUMO HD (High Duty).

« On voulait un moteur un peu plus abordable et on n’avait pas besoin de toute la puissance du HD, souligne M. Bédard. Ils ont développé un moteur Sumo MD (Medium Duty), parfaitement adapté à notre véhicule. »

Compact, scellé, sans transmission donc sans vitesses, le moteur a été placé sous le châssis, devant l’essieu arrière

L’ingénierie électrique – contrôles, gestion de la puissance, recharge – a été confiée au Centre national des technologies avancées (CNTA).

Le sous-traitant B3CG Interconnect s’est chargé de l’assemblage des batteries d’accumulateurs, au nombre de sept dans l’autobus.

Lion s’est gardé la part du roi des animaux. « Le travail de Lion, c’est d’être l’intégrateur de toutes les composantes, pour que ça ait du sens, décrit son président. On chapeaute le projet au complet. Ça devient notre produit et notre propriété intellectuelle. »

CAISSE SCOLAIRE

Le partenariat était formé. Il ne restait plus qu’à tout faire.

« Il y avait deux choses : la gestion de notre temps et ça prenait des sous. »

Commençons par les sous. L’enveloppe pour la conception et la fabrication d’un premier prototype s’élevait à 1,1 million. 

« Je mets bien du monde au défi de faire un autobus électrique complètement adapté pour 1,1 million. » 

— Marc Bédard

Un peu plus de 400 000 $ ont été fournis par les quatre partenaires. En novembre 2013, le gouvernement du Québec ajoutait une subvention de 675 000 $.

Voyons à présent le calendrier.

« On s’est donné jusqu’à l’été suivant [2014] pour le construire, indique Marc Bédard. Il n’y a presque rien qui ne posait pas un grand défi. Pour mettre les batteries au bon endroit, par exemple, il a fallu que ce soit pensé. Des traverses entre les longerons ont été déplacées, modifiées. »

En juin 2014, contre toute attente, le prototype était terminé.

« En novembre 2013, le gouvernement disait que c’était presque impossible. Force est d’admettre qu’on y est arrivé ! » Éclat de rire.

PÉRIODE D’EXAMEN

Étape suivante : l’examen.

Durant l’été 2014, l’autobus a été testé, d’abord sur circuit fermé, puis en septembre, sur des trajets écoliers traditionnels, avec des écoliers non traditionnels : des poches de sable. « On voulait voir comment les batteries se comportaient, comment elles réagissent à la température, aux arrêts, aux ouvertures de portes. C’était pour valider nos idées, et vous savez quoi ? À 99 %, c’est ce qui est arrivé ! »

Il y a tout de même eu quelques ajustements.

« Par mesure de sécurité, on s’est dit qu’on allait lui faire faire un peu de bruit, surtout quand il est dans les cours d’école. » 

— Marc Bédard

L’entreprise a enregistré l’emblématique gamme que joue le métro au départ des rames. Les trois notes sont projetées par un haut-parleur placé derrière la calandre, tant que l’autobus n’excède pas 30 km/h.

TRAVAUX PRATIQUES

Avec la nouvelle subvention gouvernementale annoncée en février, Autobus Lion a pu lancer la construction de six véhicules qui seront mis à l’essai par plusieurs opérateurs dans diverses régions du Québec.

Ces 2 millions ont-ils été difficiles à faire tomber dans l’escarcelle ? « Mon Dieu, oui ! Vous n’avez pas idée, c’est effrayant ! Chaque dollar dépensé à l’intérieur de cette enveloppe est justifié et dépensé sur les bons éléments. On en fait beaucoup pour ce montant. »

CALENDRIER SCOLAIRE

« L’échéancier, on était les seuls à y croire au départ, conclut Marc Bédard. On est quand même une petite compagnie, et le temps est important pour nous. On ne voulait pas que ce soit un projet commercialisable en 2020. Il devait l’être dès la fin de cette année. »

A-t-il craint parfois de ne pas y parvenir ? « Dès la première journée ! C’est la peur qui fait avancer, aussi. Cette crainte nous guette tout le temps. Moi, je l’ai chaque jour. »

Dure école.

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