SYRIE

Ottawa n’a toujours pas accéléré l’accueil des réfugiés

Presque un mois après avoir annoncé des mesures pour accélérer l’accueil de réfugiés syriens au Canada, le gouvernement conservateur n’a toujours pas fait les gestes promis. Le 19 septembre dernier, Ottawa a annoncé une série de mesures pour s’assurer que toutes les demandes de réfugiés syriens déjà reçues soient traitées « avant la fin décembre » et que 10 000 réfugiés syriens puissent s’installer au Canada avant septembre 2016. Un mois plus tard, le gouvernement conservateur n’a toujours pas doublé le nombre d’employés au pays qui doivent évaluer les nouvelles demandes de parrainage de réfugiés. — La Presse Canadienne

Chronique

Une deuxième vie

C’était la greffe ou la mort. Lina Cyr le savait. Ses enfants aussi. À 47 ans, ses jours étaient comptés. À peine trois semaines à vivre.

Sa fille Micheline, alors dans la jeune vingtaine, n’oubliera jamais ce jour de décembre 1987 où sa mère, même si elle n’en avait pas la force, a insisté pour aller acheter des cadeaux de Noël pour ses petits-enfants. Quand elle est rentrée à la maison, elle a su. Le médecin avait appelé. Le foie d’un jeune homme de 15 ans, mort dans un accident, l’attendait à l’hôpital Notre-Dame.

Lina Cyr a fait sa valise en vitesse. Avant de filer vers l’hôpital, elle a remis une lettre à ses enfants. « Vous la lirez quand je serai sur la table d’opération. Pas avant. »

Dans la lettre, la mère disait à ses enfants ce qu’il fallait faire si elle ne revenait pas. En la lisant, Micheline a pleuré toutes les larmes de son corps. « Elle me disait : “Il faut que tu sois forte…” Je n’ai jamais autant prié que cette nuit-là. »

Après la greffe, le médecin a appelé. Tout s’était bien passé. La mère de famille qui avait frôlé la mort venait de recevoir le plus beau cadeau qui soit. Celui d’une deuxième vie.

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Grâce à sa greffe, Lina Cyr, condamnée à mourir à 47 ans, a pu vivre jusqu’à 71 ans. Elle disait toujours qu’elle vivait « sur du temps emprunté ». « Elle ne voulait pas perdre une minute de sa seconde chance de vie », raconte sa fille Micheline, que j’ai rencontrée à la Maison des greffés qui porte le nom de sa mère, rue Shebrooke, à Montréal.

Depuis plus de 20 ans, cette maison, unique en Amérique du Nord, accueille des gens qui sont en attente d’une greffe ou qui viennent d’en subir une. L’idée est née dans la tête de Lina Cyr alors qu’elle côtoyait à l’hôpital des gens de différentes régions du Québec qui venaient à Montréal pour une transplantation. Comme l’attente est parfois très longue et que les patients doivent être à moins de deux heures de l’hôpital le jour où un donneur est trouvé, certains, déjà appauvris par la maladie, devaient se ruiner pour rester à l’hôtel. D’autres étaient condamnés à rester à l’hôpital pour le suivi post-greffe. « Ça n’a pas de sens ! », se disait-elle.

Dès sa sortie de l’hôpital, Lina Cyr s’est donné comme objectif de trouver une maison chaleureuse pour recevoir les malades et leur famille. Elle a obtenu le soutien de son chirurgien, le Dr Pierre Daloze, directeur de l’unité de transplantation de l’hôpital Notre-Dame du CHUM. En marchant rue Sherbrooke, non loin de l’hôpital, elle a repéré le couvent des Filles réparatrices du Divin-Cœur, où il ne restait presque plus personne. Les religieuses auraient pu, comme d’autres, transformer leur couvent en condos. Elles ont préféré appuyer le projet humanitaire de Lina Cyr.

Originaire de la Gaspésie, Lina Cyr, qui gagnait sa vie comme cuisinière à la base militaire de Longue-Pointe, n’avait pas de formation en gestion, mais du cœur au ventre et un grand pouvoir de persuasion. « Pour elle, un non, c’était un oui en devenir ! », raconte sa fille.

C’est ainsi qu’un jour de septembre 1994, après une course à obstacles de cinq ans, la Maison des greffés a finalement pu ouvrir ses portes et héberger sa première patiente. À l’époque, le coût était fixé à 15 $ par jour, hébergement, repas et espoir inclus. Aujourd’hui, c’est 25 $ par jour. Même si la maison permet à l’État de réaliser d’importantes économies – une journée d’hospitalisation coûte beaucoup plus cher en fonds publics –, ce n’est que plusieurs années après sa création qu’elle a pu bénéficier d’une première subvention du ministère de la Santé. « Le financement est toujours une bataille », me dit Micheline Cyr Asselin, qui poursuit avec cœur et détermination la mission que lui a confiée sa mère, décédée en 2010.

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« C’est très rassurant ici », me dit Annie Rivard, mère de famille de 49 ans d’Amos. Annie a reçu, l’an dernier, une greffe de moelle osseuse qui lui a sauvé la vie, à la suite d’un diagnostic de leucémie myéloïde aiguë. Quand, après les huit heures de bus entre Amos et Montréal, elle est entrée dans sa chambre de la Maison des greffés, elle a envoyé un texto à son chum : « Je suis arrivée chez nous. »

« Ici, le personnel est chaleureux. Les gens deviennent comme des amis, des confidents. » Les résidants s’encouragent les uns les autres. Quand l’un d’eux reçoit l’appel tant attendu de l’hôpital, c’est la fête. Annie pense à Serge, cet homme qui était en attente d’une greffe de poumons depuis trop longtemps. « On le voyait dépérir de semaine en semaine. » Et puis, un jour où elle rentrait elle-même de l’hôpital, Serge a reçu l’appel. L’ambulance était devant la maison une demi-heure plus tard. Des résidants se sont réunis à l’entrée pour applaudir la bonne nouvelle. Serge a versé des larmes de joie. Annie l’a revu après sa greffe. « Il avait rajeuni de 15 ans ! Ça donne de l’espoir ! »

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Près de 1000 personnes sont en attente d’une transplantation au Québec. Certains ne survivent pas à l’attente. En cette Journée mondiale du don d’organes et de la greffe, on ne rappellera jamais assez l’importance non seulement de signer sa carte d’assurance maladie, mais aussi d’en informer ses proches. « Si vous signez votre carte, vous pouvez sauver huit vies, rappelle la directrice de la Maison des greffés. Mais si on ne sensibilise pas la famille, parfois, il n’y a pas de greffe qui se fait. » Comme l’a mis en lumière le projet Chaîne de vie, même si la majorité des Québécois se disent en faveur du don d’organes, beaucoup de dons potentiels ne se réalisent pas parce que la famille, qui a le dernier mot, ne connaissait pas les volontés de l’être cher.

Longtemps, Micheline Cyr Asselin a correspondu avec la famille du donneur qui a permis de prolonger la vie de sa mère. Elle tenait à exprimer toute sa reconnaissance. Car grâce à cette famille, sa mère a pu vivre de belles années auprès de ses enfants et de ses petits-enfants. Elle a pu aussi laisser un remarquable héritage. « Merci d’avoir accepté de donner une seconde chance à ma mère. Elle a pu accomplir de très belles choses grâce à sa greffe. »

À deux reprises, la famille du jeune homme de 15 ans lui a répondu. « Ils m’ont dit qu’une partie de leur fils vivait à travers ma mère. »

En quittant la Maison des greffés, je me suis dit que même après la mort de sa fondatrice, ce jeune homme vit encore. Et cette grande dame aussi.

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