Je m’habille comme mes enfants

Vous portez le même jean que votre fille ? Les mêmes souliers que votre garçon ? Vous habillez-vous comme vos enfants ? Ou est-ce l’inverse ? T-shirt, veste et baskets constituent le nouvel uniforme de toutes les générations. Mais qu’est-ce qui explique ce phénomène ? Le culte de la jeunesse éternelle ou les codes vestimentaires moins stricts ?

« C’est mon fils qui s’habille comme moi », s’exclame Herby Moreau, qui a un garçon, Julien, âgé de 13 ans. 

« Je le vois fouiller dans mes armoires, il récupère des vêtements qui ne me vont plus et il en est très heureux, confie l’animateur. Il y a encore un an, on se prêtait les baskets et les bottes ! Maintenant, il a les pieds trop grands, alors c’est moi qui hérite de ses chaussures, dit-il. Je suis fier de voir mon fils s’inspirer de mon look, et ce style lui convient très bien. »

Julie du Page et sa fille Billie, 14 ans, ont le même manteau, portent à peu près les mêmes jeans et les mêmes bottes. « Ma fille a eu comme cadeau de Noël une doudoune et je me suis offert la même, d’une autre couleur ! Elle a fait un peu la gueule quand je l’ai achetée, mais en même temps, quand on se promène, c’est drôle. » 

La comédienne est consciente qu’elle s’habille de façon assez jeune. Il lui arrive d’emprunter des vêtements à son ado, et vice versa. « Ma fille n’a pas forcément envie d’être habillée comme moi, mais elle aime les choses que je porte… Elle me prend volontiers des vêtements dans mon placard et moi, j’en prends dans le sien ! J’accepte le plus souvent, mais tout dépend de ce que c’est… Les vêtements plus fragiles ou plus luxueux, c’est non ! »

Le culte du cool

Ce phénomène, de plus en plus répandu, s’explique notamment par le fait que notre société est plus permissive qu’autrefois. Avec des codes moins définis. 

« Notre société valorise la détente des mœurs et on vit dans une culture du cool où beaucoup de monde porte des jeans, même au bureau. »

Luca Marchetti, professeur à l’École supérieure de mode de l’ESG UQAM

« Je fais un métier où je n’ai pas à me mettre en veston-cravate comme mon père. J’ai la chance d’être libre d’un point de vue vestimentaire, même si j’aime porter des vestons, tout comme mon fils », affirme Herby Moreau.

Jacques Hamel, sociologue de la jeunesse, observe que les adultes se considèrent comme jeunes beaucoup plus longtemps qu’avant et souhaitent le rester. 

« La jeunesse n’est plus qu’une affaire d’âge, mais d’intégration à la société. On devient adulte plus tard, on vit chez ses parents plus longtemps. On a donc affaire à des parents qui partagent avec leurs enfants des valeurs communes et des goûts communs pour la musique, la télévision, le cinéma, et aussi pour les vêtements. Ils se laissent influencer », analyse le professeur de l’Université de Montréal. Il cite d’ailleurs le sociologue français François de Singly qui a qualifié d’« adulescents » ces adultes qui se comportent comme des adolescents.

Est-ce une pression de la société de faire plus jeune que son âge ? « On dirait que dans ma tête, je n’ai pas vraiment vieilli… Bien sûr, j’ai plus de responsabilités, et je l’assume complètement, mais j’ai la même folie et l’envie de m’amuser ! », dit Julie du Page.

Luca Marchetti estime qu’on peut aussi observer le phénomène inverse. « Les jeunes ont tendance à se mettre en scène comme des adultes (et vice versa) et à prendre une posture de responsabilité, que ce soit à travers un blogue ou les réseaux sociaux. Ils ont même parfois une fonction sociale d’adulte, je pense par exemple à cette jeune Suédoise de 16 ans, Greta Thunberg, qui a volé la vedette à Davos avec son discours sur les changements climatiques. »

Une tendance

Les grandes enseignes ont bien compris cette tendance du culte de la jeunesse et certaines d’entre elles proposent les mêmes vêtements pour les femmes, les hommes et les enfants. « La jeunesse est valorisée comme quelque chose de désirable sur le plan social et culturel, souligne Luca Marchetti. Zara et H&M se sont adaptés à ce phénomène. Ils vendent des vêtements qui sont compatibles avec des âges très différents et offrent des tailles variées qui conviennent à tous. »

Mais peut-on vraiment tout porter, peu importe son âge ? Tout est une question de jugement, souligne Julie du Page. « Les top bedaine, je pense que ça ne convient plus à mon âge, tout comme les shorts très courts ou même les leggings, à part pour faire du sport. »

« S’habiller de manière trop jeune, ça peut faire l’effet inverse. Ma fille voulait que je porte des mom jeans [jeans taille haute], mais là, j’aurais eu l’air d’une mémère. » — Julie Du Page

« Il y a certains t-shirts avec d’énormes logos ou des inscriptions qu’un homme de mon âge ne peut plus porter. Je les donne à mon fils ! », indique Herby Moreau.

Et les fautes de goût ? « C’est tellement subjectif, souligne Luca Marchetti. Tout dépend de la personne, de l’attitude. Il y a beaucoup de liberté aujourd’hui et le jugement dépend de l’individu et non pas des normes sociales. »

Les frontières entre les générations sont de plus en plus floues de nos jours. « On parle de démocratie intergénérationnelle. Il n’y a plus de préférences qui sont spécifiques à certaines générations », conclut le sociologue Jacques Hamel.

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