Éthique et étiquette

Du sang contre de l’argent

Une question morale titille votre conscience ? Chaque semaine, Pause répond à vos questions. Cette semaine : les dons de sang devraient-ils être rémunérés ?

La question 

Devrait-on payer les gens pour qu’ils donnent de leur sang ?

La réponse 

Sur le plan économique, s’il y a pénurie de sang, il est logique de payer les gens dans l’espoir d’en récolter plus, précise d’emblée Justin Leroux, professeur agrégé au département d’économie appliquée à HEC Montréal et membre du Centre de recherche en éthique (Université de Montréal). Ce principe, s’il était appliqué, soulèverait toutefois des questions quant à la sécurité des produits sanguins.

Il convient d’abord de préciser que, contrairement aux pratiques en cours dans d’autres provinces canadiennes, le Québec interdit de rémunérer les gens disposés à donner du sang ou du plasma. « Le plasma est la partie liquide du sang dans laquelle baignent trois types de cellules : les globules rouges, les globules blancs et les plaquettes », explique Héma-Québec sur son site internet. Ce liquide jaune représente 55 % du volume du sang et est utilisé pour fabriquer des médicaments.

Ces dernières années, la rémunération des dons de plasma – sous forme de carte-cadeau – a été mise en place par des cliniques privées établies au Nouveau-Brunswick et en Saskatchewan. L’un des arguments soulevés par les opposants à cette pratique est qu’elle vise les gens les plus vulnérables. Justin Leroux confirme que, lorsqu’une récompense est offerte, les gens qui se déplacent sont ceux qui n’ont rien à faire de plus rentable.

« De nombreuses études démontrent que les gens qui sont les plus pauvres sont aussi, généralement, en moins bonne santé. »

— Le professeur Justin Leroux

L’économiste se demande si ce sang pourrait être perçu comme de moins bonne qualité qu’un autre et, dans l’éventualité où il se développerait un marché du sang à deux vitesses, qu’il soit refusé par certains patients. La condition socioéconomique des donneurs n’a pas d’impact sur la « qualité » du sang récolté, assure-t-on cependant chez Héma-Québec.

Une question de sécurité ?

L’état de santé des donneurs peut bien évidemment avoir un impact sur les produits sanguins puisque des infections (dont le VIH) sont transmissibles par le sang. Que l’on soit payé ou non, il faut remplir une foule de critères pour pouvoir faire un don de sang ou de plasma. Avoir fait usage de drogue injectable, par exemple, constitue un motif d’exclusion chez Héma-Québec. L’entreprise privée qui est active au Nouveau-Brunswick et en Saskatchewan impose aussi un questionnaire étoffé aux candidats.

Or, si des gens se servent de dons de plasma comme revenu d’appoint, ils pourraient en venir à craindre d’être exclus, selon Justin Leroux. 

« Ces personnes motivées uniquement par l’argent pourraient être tentées de mentir pour ne pas être refusées. »

— Justin Leroux

Ce genre de pratique poserait par conséquent des risques quant à la sécurité des produits sanguins.

Son raisonnement est partagé par l’Organisation mondiale de la santé. « Les donneurs réguliers, volontaires et non rémunérés sont le fondement de l’approvisionnement en sang sécurisé, car on leur associe un faible niveau d’infections pouvant être transmises par le sang, parmi lesquelles le VIH et les virus de l’hépatite », écrit l’organisme, qui vise d’ailleurs une augmentation de ces dons altruistes partout sur le globe.

La rémunération pourrait-elle être modulable et ne viser que les personnes dont le groupe sanguin est rare ? « Ce serait récompenser quelqu’un pour une chose dont il n’est pas responsable, estime Justin Leroux. Il y a des gens qui auraient cette chance… Est-ce que ce serait problématique ? Pas nécessairement. » Laurent-Paul Ménard, directeur des relations publiques chez Héma-Québec, convient qu’il y a « une pression plus importante » sur les types de sang plus rares, mais précise que l’organisme n’a jamais été aux prises avec une pénurie.

Avant de s’interroger au sujet d’une rémunération à la carte, il faut d’abord revenir au principe de base : est-ce que, socialement, on privilégie la rémunération des donneurs ou leur altruisme ? Ici, au Québec, le consensus actuel n’est pas remis en question. « La question ne se pose pas et, selon notre perspective, il n’y a pas de débat, dit Laurent-Paul Ménard. Collectivement, ce n’est pas un enjeu qui est soulevé. »

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