À ma manière

S’établir et gagner à New York

Le bureau d’architectes montréalais Lemay a mis le pied à New York. Sa méthode : acquérir une firme déjà sur place, puis remporter un concours d’architecture. L’idée gagnante : faire de l’édifice MetLife la version new-yorkaise des jardins suspendus de Babylone.

C’est en présentant une bande dessinée que le bureau montréalais d’architectes Lemay a terminé au premier rang – avec cinq autres firmes – d’un concours international d’architecture à New York, le 29 février dernier.

« On raconte comment un bâtiment peut partir d’une perception négative et en sortir à la fin avec quelque chose d’éclatant, de spectaculaire », explique l’architecte Michel Lauzon, associé principal, création, chez Lemay.

La bédé de 19 pages visait à distinguer Lemay des 108 autres concurrents internationaux et à faire la claire démonstration de la créativité québécoise.

« Il faut surprendre les membres du jury, dit-il. Ils ont deux minutes pour juger une proposition, dans une salle pleine de compétiteurs. »

Cette histoire en images, Farm Follows Fiction, leur a présenté la plus haute ferme au monde.

UN PIED À NEW YORK

Avec quelque 400 employés, Lemay est la plus importante firme d’architectes au Québec, la 3e au Canada et la 79e au monde.

Après une série d’acquisitions, elle possédait au début de 2015 neuf bureaux au Canada, en Chine, en Algérie et aux Antilles, mais elle n’avait pas encore d’antenne aux États-Unis.

Lemay voulait y entrer directement par la grande porte : New York. Pour s’y faufiler, mieux valait passer par l’entrebâillement d’une firme déjà établie.

Le 1er décembre dernier, au terme de plusieurs mois de négociations, Lemay a annoncé l’acquisition d’Andres Escobar Design, un réputé bureau de quelque 25 employés, spécialisé dans le design intérieur. Colombien d’origine, son fondateur Andres Escobar avait étudié et travaillé à Montréal et était installé sur le marché new-yorkais depuis une quinzaine d’années.

« Il y avait une combinaison intéressante entre nos deux firmes », indique Michel Lauzon.

SE FAIRE VOIR

Une fois son pied dans la porte, Lemay devait encore se faire connaître et reconnaître dans le rude milieu new-yorkais de l’architecture.

L’occasion s’est présentée avec l’annonce, à l’automne 2015, du concours Reimagine a New York City Icon, organisé par la revue Metals in Construction et l’Ornemental Metal Institute of New York.

Il s’agissait de proposer une nouvelle enveloppe pour les parois de l’édifice MetLife, dans l’esprit du défi Architecture 2030 Challenge – une initiative qui veut que, dès 2030, les nouveaux bâtiments new-yorkais soient tous carboneutres.

« On s’est dit : wow, il faut faire ce concours, c’est en plein le marché qu’on vise, et en plein le service qu’on offre ! »

— Michel Lauzon, architecte et associé principal, création, chez Lemay

L’ÉDIFICE MAL AIMÉ

Très bien. Mais encore fallait-il le gagner, ce concours.

Le mal aimé édifice MetLife, anciennement Pan Am Building, avait créé la controverse dès son inauguration, en 1963.

Sur 59 étages, ses deux principales façades montrent chacune trois pans légèrement angulaires – avec beaucoup moins de finesse toutefois que l’élégant édifice Pirelli de Milan, qui l’a probablement inspiré. Sa masse écrase le style Beaux-Arts de la gare Grand Central Terminal, à ses pieds, et bouche la perspective de Park Avenue.

Comment redonner une image positive à ce rempart aux embrasures de béton ? C’était le défi du concours.

Heureusement, c’était aussi une des spécialités de Lemay. « On pensait que, pour créer de la valeur et repositionner l’immeuble, il fallait travailler la façon dont le building interagit avec son environnement urbain », explique Michel Lauzon.

Cette attention portée au bien-être des usagers et à la communauté environnante « est un discours qui est un peu différent de celui de la firme américaine typique, qui est habituellement centrée sur la création de valeur pour l’actionnaire ».

OBJECTIF CARBONEUTRE

La cellule d’innovation prospective de Lemay, le LemayLAB, s’attaque au problème, avec l’aide de ses équipes Escobar Design et de Développement durable, en collaboration avec les firmes Ecosystem et Sefaira, spécialisées en efficacité énergétique.

L’équipe d’une vingtaine de personnes avait pour objectif de ramener l’empreinte écologique nette de l’édifice à zéro – le rendre carboneutre.

Après un mois de travail intense, sa proposition est arrêtée.

Les parois d’origine de l’édifice, en panneaux de béton fenestrés, seront recouvertes d’un nouveau mur rideau en verre à haute efficacité énergétique.

La salle de mécanique qui occupait le dernier étage est supprimée – les nouveaux appareils plus compacts et efficaces sont distribués sur les deux étages mécaniques intermédiaires.

L’équipe adopte une série de solutions pour produire de l’énergie ou en réduire la consommation : ventilation naturelle par effet de cheminée, turbines éoliennes, panneaux solaires…

Mais ce n’est pas suffisant, il faut chercher plus loin.

L’édifice est situé sur un immense quadrilatère couvrant les voies ferrées de la gare. L’équipe a l’idée d’utiliser l’effet de piston des trains dans les tunnels pour actionner de petites turbines génératrices de courant.

Autre suggestion, un plancher cinétique transformerait en électricité l’énergie des dizaines de milliers de piétons qui traversent chaque jour la salle des pas perdus qui, dès lors, ne le seraient plus.

POUSSER PLUS HAUT

Et si l’édifice MetLife contribuait au mieux-être et à la santé de la communauté – un pertinent et utile objectif pour une compagnie d’assurance vie ?

C’est ainsi que naît l’idée de transformer une partie des façades en serres verticales.

Sur la paroi exposée au sud, les deux angles seront occupés par une cascade zigzagante de verre, comme si on avait accroché à la verticale une serre traditionnelle.

Sur chaque étage, les végétaux sont disposés sur des rayons perpendiculaires à la paroi, sans nuire à la vue des employés de bureau.

Ces fruits et légumes frais seront proposés aux travailleurs, passagers de train et résidants du quartier. « Nous avons la capacité de nourrir 3000 New-Yorkais par année », soutient Michel Lauzon.

Libéré de ses organes mécaniques, le toit de l’immeuble a pu être réaménagé en espace urbain, où le fameux dirigeable MetLife peut venir s’amarrer. C’est d’ailleurs de cette manière, dans un panorama nocturne, que se conclut la bande dessinée.

FIN DE L’HISTOIRE

« Un des membres du jury a fait le commentaire que pour atteindre le défi d’architecture 2030, il faudra des projets avec ce niveau de créativité-là, souligne Michel Lauzon. On pense qu’à New York, c’est un marché qui est très intéressé à cette approche. Et ce n’est pas quelque chose que nos compétiteurs offrent. »

La bande dessinée aura une suite.

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