crise de 2008 les pcaa

Une catastrophe mondiale évitée (la suite)

Ranimer le marché du PCAA est le sauvetage financier le plus complexe de l’histoire canadienne. L’opération, plus d’une fois menacée par la crise mondiale, a déchiré Québec inc. Notre récit se poursuit.

Chapitre 5

Des clients furieux

Des vedettes de Québec inc. comme les patrons du Groupe Jean Coutu, de Transat AT et du constructeur Pomerleau sont furieux. Des dizaines d’entreprises détiennent des centaines de millions de dollars de papier commercial, qu’on leur a présenté comme un produit sûr et facilement encaissable. Or ces fonds sont désormais figés. Des particuliers sont aussi pris au piège.

« Tu dis à ton client que son cash n’est plus du cash. On peut comprendre pourquoi ils étaient en beau joual vert… […] Je l’aurais été moi aussi, si j’avais été à leur place. »

— Louis Vachon

« J’avais des conseillers en placements qui m’appelaient en pleurant en me disant qu’ils craignaient pour leur emploi si on ne rachetait pas les titres vendus aux clients. Ils pensaient que leur carrière pourrait être finie si on ne faisait pas quelque chose. »

— Richard Rousseau, vice-président exécutif, services aux particuliers, à la Financière Banque Nationale au moment des faits

« Je ne suis pas d’humeur à faire de poursuite en cour. Moi, je suis d’humeur à récupérer mon cash, qui est celui de la compagnie et des actionnaires. Et on travaille fort pour ça !

« C’était du papier commercial coté R1 High, c’était censé être complètement liquide, en tout cas, c’est comme ça que [la Banque Nationale] me l’a vendu. Mais aujourd’hui, me voilà en train de faire la job du courtier. »

— Jean-Marc Eustache, alors président de Transat AT, La Presse, 23 août 2007

« On a dit aux entreprises qu’on ne rachèterait pas le papier qu’on leur avait vendu. On va vous fournir des lignes de crédit et on va s’assurer que vous ne manquez pas de liquidités. Quatre-vingt-trois entreprises au total. Nous avons décidé ça. Pas d’agence règlementaire. Pas d’avocats. Pas d’AMF. »

— Louis Vachon

« Durant la période qui a suivi l’accord de Montréal, j’ai été impliqué dans plusieurs litiges entrepris par les détenteurs de PCAA. Il n’y avait pas encore de poursuites, uniquement des mises en demeure et des réclamations formulées par plusieurs détenteurs mécontents. Il y en avait beaucoup. Je recevais ça en premier, et c’était dans les plus que sept chiffres. »

— Me Mason Poplaw

« Nous avons pris la décision, la journée même, de racheter tout ce PCAA-là et de le remplacer par des titres de Desjardins. On a alors gonflé notre exposition à près de 2 milliards de dollars. »

— Alban D’Amours

Le Mouvement Desjardins se retrouve alors en possession de 2,75 milliards de dollars de PCAA.

« On savait que nos états financiers seraient touchés pour les deux ou trois prochaines années. On s’en foutait-tu, des deux-trois prochaines années ? On pensait à la pérennité de la Banque. Il fallait protéger l’institution et protéger la marque. C’est ce qu’on a fait. »

— Louis Vachon, au sujet de la décision de la Banque Nationale de racheter le PCAA de ses clients qui en détenaient pour moins de 2 millions de dollars.

Chapitre 6

De longues négociations

Au cours de l’automne 2007, l’idée de faire déclarer une « désorganisation du marché » du PCAA non bancaire est toujours sur la table. La Caisse de dépôt et ses alliés espèrent que si Ottawa et la Banque du Canada se rangent de leur côté, ils pourront forcer les banques internationales à honorer leurs engagements financiers et à ranimer le marché.

« J’ai suivi Alban D’Amours et Henri-Paul à Ottawa. Mais je n’étais pas très optimiste à l’époque et je ne suis pas certain que ça aurait changé quoi que ce soit si la Banque du Canada avait déclaré une désorganisation du marché.

« Je n’ai pas du tout été surpris de la réaction de la Banque du Canada. C’était un problème du secteur privé. Les gens se seraient demandé ce que ça voulait dire, au juste. Il faut comprendre que lorsque la Banque du Canada fait une déclaration, on mesure chaque parole et chaque virgule. Ensuite, je ne suis pas convaincu que ça aurait amené les banques internationales comme la Deutsche Bank à réagir. »

— Louis Vachon

« Si le gouvernement fédéral avait déclaré une rupture de marché, c’est tout le marché du papier commercial bancaire qui aurait subi le même sort, alors qu’il n’était pas nécessairement dans les mêmes conditions. »

— Alban D’Amours

« Le drame, c’est que quand tout ça est arrivé, j’ai appelé David Dodge, qui était alors le gouverneur de la Banque du Canada, et il m’a dit : “Il n’y a pas de désorganisation de marché, alors on n’intervient pas.”

« Le ministre des Finances fédéral, Jim Flaherty, voulait intervenir, mais c’est Stephen Harper qui ne voulait pas. Il y avait un peu cette idée selon laquelle le Québec s’est mis dans la misère, bien tant pis pour lui. »

— Monique Jérôme-Forget

« Sous le leadership d’Henri-Paul Rousseau, on a établi que ce n’était pas un problème québécois, mais pancanadien. On a trouvé des investisseurs partout. »

— Alban D’Amours

Un médiateur réputé, l’avocat d’affaires torontois Purdy Crawford, est recruté pour mettre en place la Proposition de Montréal et trouver une solution à la crise. S’ensuivent 16 mois d’âpres discussions, de recours judiciaires et de pressions politiques, alors que la crise financière la plus sévère en trois quarts de siècle se déploie dans le monde entier.

« Le plus tough pour moi, ce fut les deux premiers mois. Après ça, tu t’habitues. »

— Louis Vachon

« Ç’a été une période très dure pour moi, la période la plus importante de ma carrière politique. Il y avait du Quebec bashing. Sur une période de questions de 45 minutes à l’Assemblée nationale, j’en prenais 35… »

— Monique Jérôme-Forget

« Nous devons continuer de travailler ensemble pour parvenir aux meilleures solutions pour tous. Parce que la solution de rechange, ça pourrait être une vente de feu de ce PCAA non bancaire. Or, les membres du comité spécial et leurs conseilleurs sont assez intelligents pour ne pas se laisser entraîner dans une telle vente de feu. »

— Purdy Crawford, La Presse, 28 septembre 2007

Chapitre 7

La guerre juridique

L'entente ne passe pas comme une lettre à la poste. C'est que pour récupérer l’argent qu’ils ont misé dans le PCAA, d’importants clients de la Banque Nationale comme Transat, Jean Coutu et Domtar devront attendre longtemps, entre sept et neuf ans, même si le marché est sauvé. Surtout, ils devront renoncer à toute poursuite devant les tribunaux. Pour plusieurs, c’en est trop.

La bataille des « rebelles de la Nationale » se rend jusqu’en Cour suprême. Mais cette dernière refuse d’entendre leur recours.

« [Renoncer à toute poursuite], c’est une concession énorme, et probablement très coûteuse. Et tout ce qu’on nous propose en retour, ce sont des hypothèses théoriques sur la valeur future de ce papier commercial. »

— Michel Lemay, vice-président et porte-parole de Transat AT, La Presse, 16 avril 2008

« C’est quelque chose qui n’avait jamais été fait, du moins pas d’une telle ampleur, et selon nous, c’était complètement illégal quant à ce que permettait la Loi sur l’insolvabilité ; c’était une expropriation pure et simple des droits de nos clients. »

— Me Sébastien Richemont, associé du cabinet d’avocats Woods, qui a représenté les principales entreprises québécoises détentrices de PCAA devant les tribunaux.

« La Cour a essentiellement conclu que si elle n’éteignait pas tous les recours, sans exception… en d’autres mots, si elle ne restructurait pas tout ce marché de 32 milliards, il n’y aurait pas d’arrangements possibles. »

— Me Mason Poplaw

« Je ne suis pas parti “en pleine tempête”. […] Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas de ceux qui se défilent devant leurs obligations. »

— Henri-Paul Rousseau qui, à la surprise générale, quitte la direction de la CDPQ en mai 2008 alors que le sort du PCAA se trouve toujours devant les tribunaux. Citation tirée de son allocution devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le 9 mars 2009.

Après des mois de négociations, une solution à la paralysie du PCAA semble enfin à portée de main. Mais la crise financière internationale, déjà violente, atteint son paroxysme : le gouvernement américain, après maintes hésitations, décide le 15 septembre 2008 de ne pas secourir la banque d’affaires Lehman Brothers. Les marchés mondiaux du crédit, sur lesquels repose le PCAA, se disloquent.

« Depuis les années 30, jamais un gouvernement d’un pays développé n’avait laissé tomber une très grande institution financière. Cette politique était tellement bien établie qu’elle avait presque le statut de postulat. On disait : “Too big to fail”, “Trop gros pour faire faillite”. Quand Lehman Brothers a fait faillite […] sans que le gouvernement américain se porte à sa rescousse, le monde financier a basculé. De “too big to fail”, on est passé à “too big to bail”. »

— Henri-Paul Rousseau devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le 9 mars 2009

« [La faillite de Lehman Brothers] a été le point culminant d’une très grosse tempête. Tout le monde qui a été impliqué grandement dans cette crise-là, et je parle des investisseurs, des banquiers, des avocats, des conseillers financiers : ç’a été marquant pour tout le monde. Tu vois le tapis se dérober sous tes pieds et les gens ne savaient pas où ça allait se terminer. »

— Me Mason Poplaw

« Ça a tué les revenus de 2008 pour Desjardins. »

— Alban D’Amours

« Jusqu’à l’automne 2008, les gouvernements n’avaient jamais vraiment voulu s’impliquer financièrement dans la restructuration. Ils sont devenus participants plus actifs quand ils ont vu que la restructuration, dans le contexte d’une crise mondiale, devenait un peu plus compliquée. »

— Louis Vachon

« Tous les lundis matin, je rencontrais les représentants du secteur financier. Ils venaient tous à 7 h 30 pour se surveiller les uns les autres, parce qu’ils ne savaient pas si l’autre était autant en difficulté qu’eux. »

— Monique Jérôme-Forget

« Après Lehman Brothers, ce sont les investisseurs comme la Caisse et la Banque Nationale qui ont exigé de nouvelles conditions : que les gouvernements interviennent et qu’on reporte aussi loin que possible un éventuel appel de marge. Les banques internationales ont joué dur, car elles avaient leurs propres problèmes. C’était une question de survie pour elles. »

— Claude Bergeron

« À la Caisse, c’est rock and roll depuis un certain temps, il y a beaucoup de pression. Le timing de la job n’était pas le meilleur. »

— Une source haut placée à la CDPQ, commentant la mise au repos de Richard Guay, nommé président de l’institution en remplacement d’Henri-Paul Rousseau, La Presse, 21 novembre 2008Chapitre 9

La conclusion

À l’approche du jour de Noël 2008, la pression, tant sur le plan politique que financier, est à son apogée et les pouvoirs publics se rendent à l’évidence : ils devront s’impliquer financièrement dans le sauvetage du PCAA.

Le 24 décembre, les gouvernements du Québec, de l’Ontario, de l’Alberta et du Canada acceptent d’allonger une garantie de 3,45 milliards pour les banques étrangères impliquées dans la restructuration, ce qui sauve l’entente.

« Ça a failli foirer jusqu’à la fin. »

— Claude Bergeron

« Les banques comme la Deutsche Bank nous ont mis un fusil sur la tempe. Le rôle du nouveau gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, dans les négociations a été très important : il est intervenu pour calmer les banques, pour acheter du temps. »

— Monique Jérôme-Forget

« J’avais des courriels qui rentraient à 23 h le soir de Noël. Ma femme m’a dit : “Hey, on peut-tu célébrer Noël en paix ?”

« J’ai su en écoutant les nouvelles le lendemain matin, en remontant à Montréal, que tout était finalisé. »

— Louis Vachon

« Pour avoir fait plusieurs dossiers importants en cette matière, c’est de loin la restructuration la plus ambitieuse qu’il y ait eu au Canada, et de loin... Les Américains la regardent encore aujourd’hui et se demandent comment nous avons fait. »

— Me Mason Poplaw

« Le marché des PCAA canadiens a fonctionné correctement pendant des années. Néanmoins, ce fut une erreur d’en accumuler autant. »

— Fernand Perreault, président et chef de la direction de la Caisse, alors que l’institution financière dévoile une perte de 40 milliards de dollars pour son exercice 2008, le pire résultat de son histoire.

« Onze ans plus tard, on s’est fait rembourser à peu près 95 cents dans la piastre. On a récupéré environ 95 % du capital.

« J’aurais préféré éviter cette crise. Il faut se garder une certaine humilité lorsqu’on est pris dans une situation semblable. Cela étant dit, il faut au moins se donner le crédit d’avoir été transparents et proactifs. »

— Louis Vachon

« À partir de 2009, le PCAA s’est avéré l’un des meilleurs placements de la Caisse, compte tenu du renversement des provisions. Ç’a été vrai pour Desjardins aussi ! »

— Alban D’Amours

« Aujourd’hui, c’est fini, ce temps-là. On a tout changé à la Caisse, tant la gestion du risque, la culture, que la prise de décision qui se fait maintenant en équipe. […] On n’achèterait pas du papier comme ça aujourd’hui, ça ne passerait pas. Ou si on le faisait, ce serait une somme insignifiante. »

— Claude Bergeron

crise de 2008 les pcaa

Une catastrophe mondiale évitée (la suite)

Ranimer le marché du PCAA est le sauvetage financier le plus complexe de l’histoire canadienne. L’opération, plus d’une fois menacée par la crise mondiale, a déchiré Québec inc. Notre récit se poursuit.

Chapitre 5

Des clients furieux

Des vedettes de Québec inc. comme les patrons du Groupe Jean Coutu, de Transat AT et du constructeur Pomerleau sont furieux. Des dizaines d’entreprises détiennent des centaines de millions de dollars de papier commercial, qu’on leur a présenté comme un produit sûr et facilement encaissable. Or ces fonds sont désormais figés. Des particuliers sont aussi pris au piège.

« Tu dis à ton client que son cash n’est plus du cash. On peut comprendre pourquoi ils étaient en beau joual vert… […] Je l’aurais été moi aussi, si j’avais été à leur place. »

— Louis Vachon

« J’avais des conseillers en placements qui m’appelaient en pleurant en me disant qu’ils craignaient pour leur emploi si on ne rachetait pas les titres vendus aux clients. Ils pensaient que leur carrière pourrait être finie si on ne faisait pas quelque chose. »

— Richard Rousseau, vice-président exécutif, services aux particuliers, à la Financière Banque Nationale au moment des faits

« Je ne suis pas d’humeur à faire de poursuite en cour. Moi, je suis d’humeur à récupérer mon cash, qui est celui de la compagnie et des actionnaires. Et on travaille fort pour ça !

« C’était du papier commercial coté R1 High, c’était censé être complètement liquide, en tout cas, c’est comme ça que [la Banque Nationale] me l’a vendu. Mais aujourd’hui, me voilà en train de faire la job du courtier. »

— Jean-Marc Eustache, alors président de Transat AT, La Presse, 23 août 2007

« On a dit aux entreprises qu’on ne rachèterait pas le papier qu’on leur avait vendu. On va vous fournir des lignes de crédit et on va s’assurer que vous ne manquez pas de liquidités. Quatre-vingt-trois entreprises au total. Nous avons décidé ça. Pas d’agence règlementaire. Pas d’avocats. Pas d’AMF. »

— Louis Vachon

« Durant la période qui a suivi l’accord de Montréal, j’ai été impliqué dans plusieurs litiges entrepris par les détenteurs de PCAA. Il n’y avait pas encore de poursuites, uniquement des mises en demeure et des réclamations formulées par plusieurs détenteurs mécontents. Il y en avait beaucoup. Je recevais ça en premier, et c’était dans les plus que sept chiffres. »

— Me Mason Poplaw

« Nous avons pris la décision, la journée même, de racheter tout ce PCAA-là et de le remplacer par des titres de Desjardins. On a alors gonflé notre exposition à près de 2 milliards de dollars. »

— Alban D’Amours

Le Mouvement Desjardins se retrouve alors en possession de 2,75 milliards de dollars de PCAA.

« On savait que nos états financiers seraient touchés pour les deux ou trois prochaines années. On s’en foutait-tu, des deux-trois prochaines années ? On pensait à la pérennité de la Banque. Il fallait protéger l’institution et protéger la marque. C’est ce qu’on a fait. »

— Louis Vachon, au sujet de la décision de la Banque Nationale de racheter le PCAA de ses clients qui en détenaient pour moins de 2 millions de dollars.

Chapitre 6

De longues négociations

Au cours de l’automne 2007, l’idée de faire déclarer une « désorganisation du marché » du PCAA non bancaire est toujours sur la table. La Caisse de dépôt et ses alliés espèrent que si Ottawa et la Banque du Canada se rangent de leur côté, ils pourront forcer les banques internationales à honorer leurs engagements financiers et à ranimer le marché.

« J’ai suivi Alban D’Amours et Henri-Paul à Ottawa. Mais je n’étais pas très optimiste à l’époque et je ne suis pas certain que ça aurait changé quoi que ce soit si la Banque du Canada avait déclaré une désorganisation du marché.

« Je n’ai pas du tout été surpris de la réaction de la Banque du Canada. C’était un problème du secteur privé. Les gens se seraient demandé ce que ça voulait dire, au juste. Il faut comprendre que lorsque la Banque du Canada fait une déclaration, on mesure chaque parole et chaque virgule. Ensuite, je ne suis pas convaincu que ça aurait amené les banques internationales comme la Deutsche Bank à réagir. »

— Louis Vachon

« Si le gouvernement fédéral avait déclaré une rupture de marché, c’est tout le marché du papier commercial bancaire qui aurait subi le même sort, alors qu’il n’était pas nécessairement dans les mêmes conditions. »

— Alban D’Amours

« Le drame, c’est que quand tout ça est arrivé, j’ai appelé David Dodge, qui était alors le gouverneur de la Banque du Canada, et il m’a dit : “Il n’y a pas de désorganisation de marché, alors on n’intervient pas.”

« Le ministre des Finances fédéral, Jim Flaherty, voulait intervenir, mais c’est Stephen Harper qui ne voulait pas. Il y avait un peu cette idée selon laquelle le Québec s’est mis dans la misère, bien tant pis pour lui. »

— Monique Jérôme-Forget

« Sous le leadership d’Henri-Paul Rousseau, on a établi que ce n’était pas un problème québécois, mais pancanadien. On a trouvé des investisseurs partout. »

— Alban D’Amours

Un médiateur réputé, l’avocat d’affaires torontois Purdy Crawford, est recruté pour mettre en place la Proposition de Montréal et trouver une solution à la crise. S’ensuivent 16 mois d’âpres discussions, de recours judiciaires et de pressions politiques, alors que la crise financière la plus sévère en trois quarts de siècle se déploie dans le monde entier.

« Le plus tough pour moi, ce fut les deux premiers mois. Après ça, tu t’habitues. »

— Louis Vachon

« Ç’a été une période très dure pour moi, la période la plus importante de ma carrière politique. Il y avait du Quebec bashing. Sur une période de questions de 45 minutes à l’Assemblée nationale, j’en prenais 35… »

— Monique Jérôme-Forget

« Nous devons continuer de travailler ensemble pour parvenir aux meilleures solutions pour tous. Parce que la solution de rechange, ça pourrait être une vente de feu de ce PCAA non bancaire. Or, les membres du comité spécial et leurs conseilleurs sont assez intelligents pour ne pas se laisser entraîner dans une telle vente de feu. »

— Purdy Crawford, La Presse, 28 septembre 2007

Chapitre 7

La guerre juridique

L'entente ne passe pas comme une lettre à la poste. C'est que pour récupérer l’argent qu’ils ont misé dans le PCAA, d’importants clients de la Banque Nationale comme Transat, Jean Coutu et Domtar devront attendre longtemps, entre sept et neuf ans, même si le marché est sauvé. Surtout, ils devront renoncer à toute poursuite devant les tribunaux. Pour plusieurs, c’en est trop.

La bataille des « rebelles de la Nationale » se rend jusqu’en Cour suprême. Mais cette dernière refuse d’entendre leur recours.

« [Renoncer à toute poursuite], c’est une concession énorme, et probablement très coûteuse. Et tout ce qu’on nous propose en retour, ce sont des hypothèses théoriques sur la valeur future de ce papier commercial. »

— Michel Lemay, vice-président et porte-parole de Transat AT, La Presse, 16 avril 2008

« C’est quelque chose qui n’avait jamais été fait, du moins pas d’une telle ampleur, et selon nous, c’était complètement illégal quant à ce que permettait la Loi sur l’insolvabilité ; c’était une expropriation pure et simple des droits de nos clients. »

— Me Sébastien Richemont, associé du cabinet d’avocats Woods, qui a représenté les principales entreprises québécoises détentrices de PCAA devant les tribunaux.

« La Cour a essentiellement conclu que si elle n’éteignait pas tous les recours, sans exception… en d’autres mots, si elle ne restructurait pas tout ce marché de 32 milliards, il n’y aurait pas d’arrangements possibles. »

— Me Mason Poplaw

« Je ne suis pas parti “en pleine tempête”. […] Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas de ceux qui se défilent devant leurs obligations. »

— Henri-Paul Rousseau qui, à la surprise générale, quitte la direction de la CDPQ en mai 2008 alors que le sort du PCAA se trouve toujours devant les tribunaux. Citation tirée de son allocution devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le 9 mars 2009.

Après des mois de négociations, une solution à la paralysie du PCAA semble enfin à portée de main. Mais la crise financière internationale, déjà violente, atteint son paroxysme : le gouvernement américain, après maintes hésitations, décide le 15 septembre 2008 de ne pas secourir la banque d’affaires Lehman Brothers. Les marchés mondiaux du crédit, sur lesquels repose le PCAA, se disloquent.

« Depuis les années 30, jamais un gouvernement d’un pays développé n’avait laissé tomber une très grande institution financière. Cette politique était tellement bien établie qu’elle avait presque le statut de postulat. On disait : “Too big to fail”, “Trop gros pour faire faillite”. Quand Lehman Brothers a fait faillite […] sans que le gouvernement américain se porte à sa rescousse, le monde financier a basculé. De “too big to fail”, on est passé à “too big to bail”. »

— Henri-Paul Rousseau devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le 9 mars 2009

« [La faillite de Lehman Brothers] a été le point culminant d’une très grosse tempête. Tout le monde qui a été impliqué grandement dans cette crise-là, et je parle des investisseurs, des banquiers, des avocats, des conseillers financiers : ç’a été marquant pour tout le monde. Tu vois le tapis se dérober sous tes pieds et les gens ne savaient pas où ça allait se terminer. »

— Me Mason Poplaw

« Ça a tué les revenus de 2008 pour Desjardins. »

— Alban D’Amours

« Jusqu’à l’automne 2008, les gouvernements n’avaient jamais vraiment voulu s’impliquer financièrement dans la restructuration. Ils sont devenus participants plus actifs quand ils ont vu que la restructuration, dans le contexte d’une crise mondiale, devenait un peu plus compliquée. »

— Louis Vachon

« Tous les lundis matin, je rencontrais les représentants du secteur financier. Ils venaient tous à 7 h 30 pour se surveiller les uns les autres, parce qu’ils ne savaient pas si l’autre était autant en difficulté qu’eux. »

— Monique Jérôme-Forget

« Après Lehman Brothers, ce sont les investisseurs comme la Caisse et la Banque Nationale qui ont exigé de nouvelles conditions : que les gouvernements interviennent et qu’on reporte aussi loin que possible un éventuel appel de marge. Les banques internationales ont joué dur, car elles avaient leurs propres problèmes. C’était une question de survie pour elles. »

— Claude Bergeron

« À la Caisse, c’est rock and roll depuis un certain temps, il y a beaucoup de pression. Le timing de la job n’était pas le meilleur. »

— Une source haut placée à la CDPQ, commentant la mise au repos de Richard Guay, nommé président de l’institution en remplacement d’Henri-Paul Rousseau, La Presse, 21 novembre 2008Chapitre 9

La conclusion

À l’approche du jour de Noël 2008, la pression, tant sur le plan politique que financier, est à son apogée et les pouvoirs publics se rendent à l’évidence : ils devront s’impliquer financièrement dans le sauvetage du PCAA.

Le 24 décembre, les gouvernements du Québec, de l’Ontario, de l’Alberta et du Canada acceptent d’allonger une garantie de 3,45 milliards pour les banques étrangères impliquées dans la restructuration, ce qui sauve l’entente.

« Ça a failli foirer jusqu’à la fin. »

— Claude Bergeron

« Les banques comme la Deutsche Bank nous ont mis un fusil sur la tempe. Le rôle du nouveau gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, dans les négociations a été très important : il est intervenu pour calmer les banques, pour acheter du temps. »

— Monique Jérôme-Forget

« J’avais des courriels qui rentraient à 23 h le soir de Noël. Ma femme m’a dit : “Hey, on peut-tu célébrer Noël en paix ?”

« J’ai su en écoutant les nouvelles le lendemain matin, en remontant à Montréal, que tout était finalisé. »

— Louis Vachon

« Pour avoir fait plusieurs dossiers importants en cette matière, c’est de loin la restructuration la plus ambitieuse qu’il y ait eu au Canada, et de loin... Les Américains la regardent encore aujourd’hui et se demandent comment nous avons fait. »

— Me Mason Poplaw

« Le marché des PCAA canadiens a fonctionné correctement pendant des années. Néanmoins, ce fut une erreur d’en accumuler autant. »

— Fernand Perreault, président et chef de la direction de la Caisse, alors que l’institution financière dévoile une perte de 40 milliards de dollars pour son exercice 2008, le pire résultat de son histoire.

« Onze ans plus tard, on s’est fait rembourser à peu près 95 cents dans la piastre. On a récupéré environ 95 % du capital.

« J’aurais préféré éviter cette crise. Il faut se garder une certaine humilité lorsqu’on est pris dans une situation semblable. Cela étant dit, il faut au moins se donner le crédit d’avoir été transparents et proactifs. »

— Louis Vachon

« À partir de 2009, le PCAA s’est avéré l’un des meilleurs placements de la Caisse, compte tenu du renversement des provisions. Ç’a été vrai pour Desjardins aussi ! »

— Alban D’Amours

« Aujourd’hui, c’est fini, ce temps-là. On a tout changé à la Caisse, tant la gestion du risque, la culture, que la prise de décision qui se fait maintenant en équipe. […] On n’achèterait pas du papier comme ça aujourd’hui, ça ne passerait pas. Ou si on le faisait, ce serait une somme insignifiante. »

— Claude Bergeron

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