Opinion

Église catholique
Libérer la parole

Il y a quelques jours, le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich et président de la conférence épiscopale allemande, a lancé une idée toute simple, apparemment banale, mais dont la portée symbolique est significative : une personne laïque (qui n’est donc pas ordonnée diacre, prêtre ou évêque) pourrait, si elle a ce talent, prêcher lors de la messe au lieu du prêtre.

De l’extérieur, difficile d’y voir une proposition révolutionnaire et de comprendre pourquoi elle suscite des réactions indignées ! En effet, il paraît naturel que le micro doive être confié aux gens capables d’en faire bon usage. Aucune entreprise ou parti politique n’hésiterait à ce sujet. Un communicateur aguerri sait ouvrir les oreilles les plus rétives. Un mauvais communicateur endort la personne de meilleure foi.

Alors, pourquoi cette évidence n’est-elle pas admise depuis longtemps dans l’Église ?

Pourquoi s’entêter à faire prêcher certains curés qui peinent manifestement à le faire, alors que d’autres membres de la communauté pourraient s’y adonner avec plus de joie et de justesse ?

Il existe des raisons théologiques pour justifier cet état de fait. Mais non seulement sont-elles circonstancielles (la prédication des laïques fut autorisée jusqu’au XIIIe siècle), elles paraissent aujourd’hui bien tortueuses, rouages d’une rhétorique légitimant toujours davantage la mainmise des clercs sur la parole.

Et sur la Parole. Car l’homélie est ce temps prévu pour rendre vivants les récits, les prières et les enseignements contenus dans la Bible. Monopoliser l’homélie, c’est donc aussi confisquer l’expression de l’interprétation jugée correcte des textes aux fondements de la foi chrétienne.

Initiative à considérer

Il ne s’agit pas ici de casser du sucre sur le dos des autorités de l’Église de tout temps. Ce serait les juger de manière anachronique et laisser dans l’ombre des raisons qui pouvaient avoir du poids à d’autres époques.

Mais dans le contexte actuel, alors que l’Église catholique souffre des conséquences de nombreuses décennies de cléricalisme, de culture du silence, d’abus d’autorité, toute initiative pour libérer la parole mérite d’être sérieusement considérée.

À plus forte raison lorsqu’elle rejoint le bon sens. Non seulement la prédication de laïques éloquents et bien formés pourrait-elle rehausser, pour plusieurs, l’intérêt de participer à la messe, mais elle ferait également bénéficier la communauté d’autres points de vue inspirés par l’Évangile sur le monde, sur la vie morale, sur le désir de Dieu.

Tradition menacée ?

Cependant, c’est loin d’être gagné. La suggestion du prélat allemand est déjà dénoncée comme dangereuse et hétérodoxe. Ne serait-ce pas là désacraliser la messe ? Trahir la tradition de l’Église ? Ouvrir la porte à une prédication du n’importe quoi ?

« Pire » encore : ne serait-ce pas rendre l’Église catholique « protestante » ? En cela, la nationalité du cardinal Marx a de quoi exciter l’imaginaire de ses détracteurs : n’est-ce pas d’Allemagne qu’est venue la réforme de Luther, qui a fait traduire la Bible du latin en langues communes afin que chaque fidèle puisse la lire directement, sans l’intermédiaire des prêtres ?

Que chaque croyant ait une Bible à la maison et la lise : une vision de cauchemar pour les autorités de l’époque… et pourtant un rêve en couleur pour celles d’aujourd’hui. Ce serait trop beau !

Synode sur l’Amazonie

Toutefois, par-delà l’enjeu même de la prédication par des laïques (déjà assez largement pratiquée au Québec), l’opposition tient d’abord et avant tout du fait qu’une importante rencontre se prépare en octobre : le synode sur l’Amazonie.

Des sujets autrement plus brûlants y seront débattus, notamment l’accès des femmes au diaconat et l’ordination presbytérale d’hommes mariés pour assurer la célébration des sacrements en zones reculées.

Des projets défendus par le cardinal Marx, un proche du pape François. Et susceptibles, selon les traditionalistes, de gravement attenter à l’intégrité de l’Église.

Bien sûr, car des personnes de deux nouvelles catégories ecclésiales pourraient alors prendre officiellement la parole : des femmes et des hommes mariés.

Promesses de regards nouveaux pour les uns, menaces d’altérer la pureté de la doctrine pour les autres.

Si l’Église espère un printemps après le long hiver qu’elle traverse, j’ose espérer qu’elle saura discerner, entre les perce-neige d’une parole libérée et les ronces d’une censure systémique, ce qu’elle a le devoir de cultiver avec soin.

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