Chronique

Expulsée vers l’Iran ?

Cherchez l’erreur. Il y a cinq ans, le Canada a coupé ses relations diplomatiques avec l’Iran, jugeant que ce pays mettait en cause la sécurité de la planète. Deux ans plus tard, Ottawa ajoutait l’Iran à la liste des États qui soutiennent le terrorisme.

Or, à moins d’une intervention de dernière minute, le même Canada s’apprête à expulser vers Téhéran une dissidente iranienne établie à Montréal depuis 2012, Roghayeh Azizi Mirmahaleh. Une femme de 60 ans, à la santé fragile, qui était convaincue d’avoir trouvé une terre d’asile.

La date de renvoi est déjà fixée : le 28 février. Mardi prochain.

En conférence de presse, hier, sa fille, Sahar Brahami, qui poursuit des études postdoctorales en physique à l’Université McGill, a supplié le gouvernement canadien de réviser cette décision. « Ne me séparez pas de ma mère ! En Iran, elle sera en danger… », a lancé la jeune femme de 33 ans, dans un poignant cri du cœur.

Sahar Brahami n’avait que 11 mois quand elle a été séparée une première fois de ses parents, arrêtés pour activités subversives par le régime de l’ayatollah Khomeini. Sa mère a été libérée en 1987. Son père, lui, a été tué en 1988, dans une vague d’exécutions massives qui ont fait plus de 20 000 morts.

À l’époque, Roghayeh Azizi Mirmahaleh et son mari étaient proches d’une organisation d’extrême gauche, les Moudjahiddines du peuple, qui militaient contre le régime du shah avant de se tourner contre son successeur, l’ayatollah Khomeini. Celui-ci a répondu par une virulente vague de répression.

L’histoire de Roghayeh et de sa fille Sahar, c’est donc d’abord une tragédie personnelle, sur fond de grands chambardements historiques.

La jeune femme a encore de vagues souvenirs d’avoir rendu visite à sa mère en prison. Elle se souvient aussi des nombreuses fois où celle-ci a été convoquée à des interrogatoires policiers pendant les années qui ont suivi sa libération.

« Chaque fois, j’avais peur qu’elle n’en revienne pas. »

Les deux femmes en ont arraché en Iran. Placée sur la liste noire du régime, Roghayeh Azizi Mirmahaleh avait de la difficulté à garder un boulot. Pourtant, ses activités politiques se limitaient surtout à commémorer les victimes des exécutions massives de 1988. Et à chercher la fosse commune où a été jeté le corps de son mari…

Sahar Brahami est arrivée à Montréal en 2011, sa mère l’a rejointe un an plus tard. Quand son visa de séjour est arrivé à échéance, elle a fait sa demande d’asile politique au Canada.

Premier revers : sa requête a été jugée inadmissible. C’est qu’à la fin des années 90, plusieurs pays, dont le Canada, ont placé les Moudjahiddines du peuple sur la liste des organisations terroristes. La plupart ont depuis retiré le groupe de cette liste. Le Canada l’a fait en 2012, au grand dam de Téhéran.

Les Moudjahiddines ont beau avoir renoncé depuis longtemps à la lutte armée, Roghayeh Azizi Mirmahaleh a beau avoir payé un prix élevé pour avoir adhéré à leurs idées, la raison pour laquelle sa demande d’asile n’a même pas été examinée, ce sont les liens qu’elle a entretenus avec ce groupe il y a plus de 30 ans.

À ce compte-là, « même Nelson Mandela n’aurait pu venir au Canada », a dénoncé hier l’avocat Richard Goldman, de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes. Il faisait référence au Congrès national africain du grand leader sud-africain, qui avait prôné la violence avant de ranger les armes.

L’avocate de Roghayeh Azizi Mirmahaleh, Me Stéphanie Valois, a tenté de faire valoir que celle-ci risquait d’atterrir en prison si elle était renvoyée dans son pays. Mais la procédure d’examen des risques avant renvoi a échoué, elle aussi.

Me Valois essaie maintenant de faire réviser cette décision. Et réclame que sa cliente ait droit à un sursis en attendant l’aboutissement de ces démarches.

L’histoire de cette ex-enseignante iranienne, c’est aussi l’histoire d’une bureaucratie aveugle, qui traite une dame de 60 ans, souffrant de diabète et d’hypertension, comme une personne posant un grave danger pour la société.

Mais oublions l’âge et les questions de santé. Le régime de Téhéran considère Mme Azizi Mirmahaleh comme une opposante. Assez pour l’avoir d’abord emprisonnée, puis harcelée. Ottawa considère le régime de Téhéran comme suffisamment hostile pour avoir fermé sa mission diplomatique. Les ennemis de nos ennemis devraient être un petit peu nos amis, non ?

Toute cette saga est d’autant plus choquante que le Canada sait très bien ce qui peut arriver aux Iraniens quand ils osent remettre le pied dans leur pays. Il y a eu la Canado-Iranienne Zahra Kazemi, morte dans la sinistre prison d’Evin. Plus récemment, l’anthropologue Homa Hoodfar, de l’Université Concordia, a été détenue pendant quatre mois en Iran, dans des conditions extrêmement difficiles. Son péché ? On cherche encore.

« C’est incroyable que l’Agence des services frontaliers puisse renvoyer en Iran des gens qui y sont identifiés comme des dissidents », s’indigne le député de Québec solidaire Amir Khadir, qui a agi comme interprète pour Roghayeh Azizi Mirmahaleh pendant la conférence de presse d’hier.

Il n’en revient pas encore de constater que le Canada est prêt à l’expulser vers un pays qui « torture et exécute » ses opposants.

C’est, en effet, pour le moins stupéfiant.

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