Chronique

À quoi sert la police de Québec ?

Pour obéir aux ordres du maire et expulser les manifestants indésirables de la ville, la police de Québec n’a pas son pareil.

Mais quand vient le temps de prendre au sérieux les manifestations criminelles de haine raciale, que fait-elle au juste ? Jusqu’ici, les résultats sont nuls.

Mardi, cette très rigoureuse police a fait arrêter à Montréal le militant professionnel Jaggi Singh pour ses agissements pendant la manif de la semaine dernière contre La Meute. Il a passé la nuit en prison et a comparu hier pour participation à un attroupement illégal et avoir utilisé frauduleusement une identité.

La manif antifasciste du 20 août avait dégénéré et été déclarée illégale quand les militants masqués ont commencé à attaquer la police. Singh, qui a refusé de partir, a été arrêté sur-le-champ. Aux policiers qui lui demandaient de décliner identité et adresse, il a fini par dire par dérision « Michel Goulet, Colisée », du nom du célèbre joueur des Nordiques. Quoi qu’il en soit, il a été libéré le jour même, quelques minutes après son arrestation. Et voilà que 10 jours plus tard, pour ces deux infractions mineures, on fait embarquer Singh, on le ramène à Québec en fourgon, on l’emprisonne et, mieux encore, la procureure de la cour municipale s’oppose à sa mise en liberté provisoire ! Elle se ravise finalement, et Singh a été libéré sous caution hier après-midi.

Difficile de ne pas voir dans ce show judiciaire une réponse aux déclarations du maire Labeaume, qui a déclaré persona non grata les militants d’extrême droite de La Meute et les antifascistes « crétins » comme Singh.

Quand vient le temps d’aller chercher par le collet ceux qui font de la propagande haineuse contre les musulmans ou les immigrés, qui les intimident ou incendient la voiture de l’un d’eux, par contre, cette police fait dur.

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Il arrive dans les sociétés des moments de crise dans la sécurité publique auxquels il faut savoir répondre de manière musclée. On a créé une escouade antimotards quand la guerre entre gangs dégénérait en attaque frontale contre l’État de droit. On a créé une unité anticorruption. Des escouades mixtes de lutte contre le terrorisme sont sur la piste des extrémistes djihadistes et autres.

La région de Québec a un problème sérieux, et ce n’est pas un problème de manifestations. C’est un problème de haine raciale. Il n’est sans doute le fait que d’une poignée d’individus. Mais il suffit de quelques-uns pour pourrir un climat… quand trop de gens les laissent agir avec indifférence.

Hier, en apprenant que la voiture du président du Centre culturel islamique de Québec avait été incendiée, un animateur de radio n’a rien trouvé de mieux à dire que lui, si ça lui arrivait, il ne recevrait pas d’appel de sympathie du premier ministre.

Un autre qui minimise, pour ne pas dire ridiculise ces manifestations de haine.

On est quand même dans une ville où, il y a sept mois, un homme est entré dans une mosquée et a assassiné six personnes qui étaient allées prier.

On est quand même dans une région où, six mois après cette tragédie, une campagne de désinformation a empêché l’installation d’un cimetière musulman dans une petite municipalité – sous couvert de changement au zonage. Heureusement, Régis Labeaume a réagi rapidement et offert un terrain à Québec. Bravo.

Mais l’épisode a permis de voir des manifestations assez pénibles de malaise et d’hostilité. Oh, bien sûr, d’une minorité. Mais une minorité agissante et qui trouve toujours sur son chemin des compagnons de route qui blanchissent l’intolérance ou qui se contentent d’un silence complaisant.

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En juin 2016, donc sept mois avant l’attentat de la mosquée, une tête de porc a été déposée à l’entrée de la mosquée, en plein ramadan. « Bonne appétit ! » C’était signé « Québec identitaire ». Tout comme ces pancartes « Islam hors de chez moi » trouvées en 2014. A-t-on pris ces manifestations au sérieux ?

Personne n’a été accusé dans l’affaire de la tête de porc, mais on apprenait ce printemps de la bouche d’un responsable de la police que les procureurs de Québec « n’[avaient] pas trouvé de base pour un acte criminel ». Pardon ? On ne nous dit plus qu’on n’a identifié personne ; on dit qu’on n’est pas convaincu qu’il y a la preuve d’un crime.

Pourtant, un seul acte visant à faire craindre pour la sécurité de quelqu’un peut être du « harcèlement criminel ». Si ce n’est pas de l’intimidation ou une menace claire, c’en est tout proche. De quoi enquêter en profondeur et envoyer le message que la police prend cela très, très au sérieux, non ?

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Le soir de l’attentat, j’ai syntonisé une radio de Québec – 93,3 FM. Deux jeunes animateurs, stupéfiés comme nous tous, prenaient les appels du public. Deux jeunes brillants, excellents dans les circonstances, je tiens à le dire, vu tout ce qu’on dit de mal des radios de Québec. Je me souviens en particulier de les avoir entendus dire qu’ils recevaient un nombre inquiétant de commentaires (minoritaires, certes, mais nombreux) qu’ils ne pouvaient pas lire en ondes tellement ils étaient odieux.

Ce n’est pas propre à Québec, évidemment. Mais c’est là. Ce cancer existe. Il existe assez pour que cette haine s’exprime sans complexe. Et par des actes criminels qui sont une addition troublante d’actes « isolés ».

Les policiers ont augmenté le nombre de patrouilles, nous dit-on. Ils prennent tout cela très au sérieux.

Ah oui ? C’est le temps de le prouver, alors. C’est le temps de mettre des ressources dans une escouade contre les crimes haineux et de montrer des résultats.

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