Philippines

Le Canada rapatriera ses déchets

Depuis plus de cinq ans, des tonnes de déchets canadiens pourrissent dans les ports philippins de Subic et de Manille. Hier, le Canada a finalement accepté de reprendre les ordures sur son sol, après une nouvelle menace des Philippines.

Comment le différend s’est-il résolu ?

Hier, le président des Philippines Rodrigo Duterte a ordonné le rapatriement des déchets sur le territoire canadien. « Si le Canada n’accepte pas ses déchets, nous les laisserons dans ses eaux territoriales ou à une distance de 12 milles nautiques des rivages du pays », a menacé son porte-parole. Quelques heures plus tard, la ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Catherine McKenna, a annoncé l’attribution d’un contrat pour rapporter les déchets au pays « d’ici la fin du mois de juin ».

Pourquoi maintenant ?

La décision du Canada arrive après plusieurs mois de tractations politiques. En avril, le président philippin menaçait de « déclarer la guerre » au Canada, lui lançant l’ultimatum du 15 mai pour rapatrier ses déchets. Un groupe de travail technique commun a été mis sur pied pour tenter de dénouer l’impasse – principalement autour de la responsabilité des coûts. Malgré un appel de propositions pour attribuer le contrat de rapatriement, la date butoir n’a pas été respectée, provoquant le rappel de l’ambassadeur et des consuls des Philippines du Canada. « Rapatrier ses ambassadeurs et ses hauts diplomates, c’est quand même un signal fort, note Dominique Caouette, professeur de l’Université de Montréal, spécialiste de l’Asie du Sud-Est. C’est rare, surtout que ça part, au fond, de 69 conteneurs de déchets. »

Pourquoi la situation s’est-elle envenimée ?

Les conteneurs ont été envoyés par une entreprise privée en 2013-2014. Le contenu aurait été mal étiqueté, présenté comme du plastique recyclable alors qu’il s’agissait d’ordures ménagères. Pendant des années, le gouvernement canadien n’a pas voulu prendre la responsabilité de ces rebuts. Or, les négociations semblaient sur la bonne voie dernièrement. Selon un communiqué du gouvernement canadien, une rencontre « fructueuse » a eu lieu en mars au sujet du rapatriement des déchets – après de grandes pressions de groupes écologistes, notamment, dans les deux pays. Des élections aux Philippines pourraient avoir poussé le président Duterte, déjà connu pour ses positions inflexibles, à hausser le ton, croit M. Caouette. « Est-ce qu’on a voulu monter les enchères et s’en servir de façon politique ? », demande-t-il. Il voit « un geste d’apaisement » dans la réponse de la ministre McKenna hier. « À mon avis, on va chercher à ne pas faire perdre la face aux Philippines », analyse-t-il.

Qui va payer la note ?

Les contribuables canadiens doivent payer la somme de 1,14 million. Le gouvernement a accordé le contrat à Bolloré Logistics Canada, qui doit assurer l’élimination « sûre et écologique » des déchets au pays. Le communiqué d’Environnement et Changement climatique Canada fait état d’« options pour que les parties concernées soient tenues responsables ». L’entreprise ontarienne Chronic Inc., derrière l’envoi des conteneurs, avait nié sa responsabilité dans le passé. « Ça devrait être la responsabilité de l’entreprise privée, mais les mesures légales n’étaient pas en place pour la forcer à agir, explique Robert Huish, professeur associé à l’Université Dalhousie, spécialisé en développement international. Ça met au jour une autre zone d’ombre de la disposition internationale des matières résiduelles et du recyclage. »

Les relations entre les Philippines et le Canada vont-elles en souffrir ?

« Je ne pense pas qu’il y aura des conséquences dommageables sur le long terme, estime M. Caouette. Par contre, ça démontre une nouvelle dynamique qu’on n’avait pas vue entre le Canada et les Philippines depuis bien longtemps. » Avec les différends opposant la Chine au Canada, Ottawa a tout intérêt à tenter d’élargir ses relations en Asie du Sud-Est. Mais ces pays, où la Chine est justement plus présente, risquent de « s’affirmer » davantage face à l’Occident, ajoute-t-il.

Est-ce une situation évitable ?

« Ça fait partie d’un problème plus large : il y a trop de poubelles, trop de plastique, pas assez de rigueur dans le nettoyage du recyclage », dit Kathleen Cooper, chercheuse principale à la Canadian Environnemental Law Association. Robert Huish croit aussi qu’il faut revoir les priorités. « Nous avons une politique du changement climatique, mais nous sommes plus préoccupés par le prix de l’essence et la convivialité de l’usage unique de plastique », dénonce-t-il.

L’affaire En cinq dates

2013-2014

Cent trois conteneurs d’ordures sont expédiés vers les Philippines et étiquetés comme du plastique recyclable mixte ; 34 conteneurs seront éliminés aux Philippines.

2016

Le Canada modifie sa réglementation sur l’exportation de déchets à l’étranger.

Avril 2019

Le président philippin menace de « déclarer la guerre » au Canada et donne l’ultimatum du 15 mai.

16 mai 2019

Les Philippines rappellent leur ambassadeur au Canada et leurs consuls.

22 mai 2019

Après une menace du président philippin d’expédier les déchets au Canada, Ottawa annonce un rapatriement à ses frais.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.