Science

Un peu du Québec dans le Nobel de physique

Le prix Nobel de physique a récompensé hier la Canadienne Donna Strickland, le Français Gérard Mourou et l'Américain Arthur Ashkin. C’est seulement la troisième fois qu’une femme a droit à cet honneur. Les travaux des Drs Strickland et Mourou ont débouché très rapidement sur une étroite collaboration avec l’INRS à Varennes. Explications.

Varennes-Rochester

Dans les années 80, Mohammed Chaker, de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) Énergie-Matériaux-Communications à Varennes, a eu l’occasion de rencontrer Gérard Mourou, qui venait d’inventer le laser « à dérive de fréquence » à l’Université de Rochester avec son étudiante au doctorat Donna Strickland. « Il voulait des gens qui pouvaient utiliser son laser, dit M. Chaker. Nous avons été les premiers. Nous travaillions alors avec des lasers de l’échelle des nanosecondes, pour produire des rayons X. Par la suite, je l’ai suivi à l’Université du Michigan, tout en restant lié à l’INRS. Gérard Mourou est professeur invité à l’INRS depuis 1991 et nous lui avons décerné un doctorat honoris causa en 1998. Ça nous a aidés à développer le plus grand laboratoire de laser au Canada. » M. Chaker a moins travaillé avec Donna Strickland, qui était à Rochester une étudiante au doctorat supervisée par M. Mourou. « Après, elle a continué en photonique ultrarapide et a été embauchée à l’Université de Waterloo. »

Les applications

Le laser très puissant inventé par Gérard Mourou et Donna Strickland a plusieurs applications pratiques. « Au niveau de la science fondamentale, on peut créer des plasmas et les étudier, étudier les étoiles, dit Mohammed Chaker. Au niveau plus pratique, comme l’énergie n’est libérée que pour un millionième de milliardième de seconde, elle ne se dissipe pas et il n’y a pas de chaleur. Alors on peut découper très proprement. C’est utilisé en ophtalmologie pour les opérations aux yeux. Ces lasers sont aussi des sources fines de rayons X, ce qui permettrait de détecter des cancers du sein très petits, bien avant les technologies actuelles. Il y a des gens qui travaillent là-dessus. »

Le plus vieux Nobel

Aussi lauréat cette année, Arthur Ashkin devient à 96 ans le plus vieux Nobel, toutes catégories confondues. Il a inventé dans les années 80 une « pince optique » permettant de manipuler avec des lasers des cellules et des microbes. L’Académie royale des sciences à Stockholm l’a jumelé avec Mme Strickland et M. Mourou parce qu’ils ont tous trois transformé le laser en « instrument de précision ».

L’ABC du laser

Le laser est l’acronyme de « Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation », c’est-à-dire une « amplification de lumière par émission stimulée de radiations ». Il correspond à une lumière qui a une seule couleur, alors que la lumière ordinaire dans laquelle nous baignons est composée de plusieurs couleurs. Cette lumière est unidirectionnelle. Toutes les ondes lumineuses vont dans la même direction et forment un faisceau de lumière étroit, contrairement à la lumière d’une lampe de poche, dont le faisceau lumineux se disperse. C’est la troisième fois qu’un prix Nobel récompense des travaux sur le laser.

— D’après l'Agence France-Presse

Trois questions à Donna Strickland

Vous n’êtes que la troisième femme à remporter le prix Nobel de physique. Était-ce un domaine plutôt dominé par les hommes lorsque vous avez commencé ?

Oui, ça l’était, mais je n’en ai pas vraiment tenu compte. Peut-être que c’est pour ça que je ne me suis pas arrêtée, parce que j’ai tout simplement fait abstraction de tout ça. En fait, je ne pense même pas l’avoir vraiment remarqué. Et j’aimais être la seule fille à entrer dans les toilettes lors des grandes conférences et avoir 30 cabinets pour moi toute seule. J’ai toujours été payée à la hauteur de mes collègues et j’ai le sentiment d’avoir été traitée sur un pied d’égalité. Je pense que les femmes devraient commencer à être davantage reconnues parce que, pour une raison quelconque, tous les hommes ne veulent pas nous reconnaître, pas tout le monde, mais je pense que c’est une minorité. Je pense que la majorité des gens sont prêts à nous reconnaître.

La parité entre les sexes sur le terrain s’est-elle un peu améliorée au cours de votre carrière ?

Nous étions probablement environ 10 % de femmes à assister aux conférences sur le laser. Maintenant, cela représente environ 25 %. On y arrive. Je me compare maintenant […] à Maria Goeppert-Mayer [la deuxième femme à avoir remporté le prix Nobel de physique]. Je la cite dans ma thèse, mais je crois qu’elle n’a pas été payée pour ce pour quoi je la cite. Elle suivait simplement son mari, le professeur, et ils la laissaient avoir un bureau ou la laissaient enseigner, ou la laissaient faire certaines choses, et pourtant elle a remporté un prix Nobel. Ce n’est que 10 ans environ avant de remporter le prix Nobel qu’elle a été rémunérée en tant que scientifique. Il est vrai qu’une femme n’a pas reçu le prix Nobel depuis lors, mais je pense que les choses sont meilleures pour les femmes qu’elles ne l’étaient. Nous ne devrions jamais perdre de vue le fait que nous progressons.

Pensez-vous que votre victoire pourrait attirer les filles vers les domaines des sciences, de la technologie, du génie et des mathématiques ?

J’ai du mal à répondre à cette question parce que je pense que chaque femme ou chaque fille doit décider elle-même si cela peut faire une différence. J’ai entendu assez de gens dire qu’il était nécessaire d’avoir des modèles, alors espérons que ça aide.

— La Presse canadienne

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.