Violence dans le sport

Plongés dans un cauchemar sportif

« Sale homosexuel ».

C’est le genre de petits mots que Jules a trouvés dans ses poches de manteau pendant deux ans. À 12 ans, il était le souffre-douleur de son équipe de hockey.

Jules était en sports-études. Le hockey faisait partie de son quotidien. Tous les jours, ses coéquipiers lui piquaient son sac d’école. Déchiraient ses travaux scolaires. Lui lançaient de la nourriture sur l’heure du midi. L’insultaient.

À 14 ans, après ses deux premières années de secondaire, Jules a abandonné le hockey. Plus jamais il n’a chaussé ses patins.

« Le hockey, c’était sa vie. Pour qu’il abandonne, il a fallu que ce soit vraiment épouvantable. »

— Isabelle, la mère de Jules

Isabelle et Jules, ce sont de faux noms. Car trois ans après les événements, même si Jules a changé d’école et de sport, sa blessure est encore à vif. Il est incapable de raconter lui-même ses deux années de calvaire sportif.

Sa mère en veut aux autres jeunes, qui ont tué la flamme de son fils pour un sport qu’il adorait. Mais elle en veut aussi à son entraîneur, qui a regardé sans lever le petit doigt un jeune sombrer dans la détresse.

« Il n’est jamais intervenu. On essayait de communiquer avec lui par tous les moyens… il s’est complètement effacé, raconte Isabelle. Jules était un élève, il en était responsable, et il l’a laissé dans sa détresse. Il braillait tous les jours, et le coach ne faisait rien. Ne pas intervenir dans un tel contexte, c’est de la violence. »

« Ça a changé mon fils pour toujours », conclut Isabelle.

Catherine Gauthier, elle, n’a pas accroché sa raquette.

La jeune femme de Repentigny a elle aussi subi deux années de cauchemar avec un coach qui la dénigrait constamment, elle et ses coéquipières de l’équipe de tennis de l’Université Nicholls, en Louisiane.

Catherine est née avec une raquette dans les mains. Elle a compétitionné jusqu’au niveau international, et pour poursuivre son aventure, elle s’est rendue, entre 1997 et 2001, dans une université américaine.

La première année s’est déroulée à merveille, jusqu’à ce que survienne un changement d’entraîneur. « Avec lui, soudain, c’était devenu l’armée. C’était un drill sergent. On n’avait jamais vécu ça : des menaces, un gars qui nous criait après », raconte-t-elle.

L’équipe de sept joueuses a subi cette violence verbale extrême au quotidien.

« Il savait très bien quels mots employer pour blesser. Si, à l’époque, on avait pu enregistrer ce qu’il nous disait avec un cellulaire, ça n’aurait jamais passé. C’était inacceptable. Aujourd’hui, il y aurait des procédures légales d’intentées contre lui. »

— Catherine Gauthier

Catherine Gauthier et ses deux amies québécoises, qui faisaient elles aussi partie de l’équipe, ont formé un bloc de résistance pendant ces deux années. « On s’est dit : cet écœurant-là, il ne nous enlèvera pas notre passion pour le tennis, dit-elle. Mais ça nous a demandé beaucoup de force mentale. »

Les histoires de Jules et Catherine, qui se sont déroulées à plus de 20 ans d’intervalle, sont loin d’être uniques. De plus en plus d’études montrent que le sport, à tous les niveaux, peut être gangrené par la violence. Et que ces épisodes peuvent marquer à vie de jeunes athlètes.

Une étude réalisée en 2015 auprès de 4000 répondants adultes aux Pays-Bas et en Belgique a montré que près de 40 % des répondants disaient avoir subi des épisodes de violence psychologique durant leur parcours sportif. Quelque 11 % des répondants avaient subi de la violence physique et 14 %, des violences sexuelles. Bref, au total, près d’un répondant sur deux (44 %) avait subi l’une ou l’autre forme de violence dans le sport.

Et de qui provenait cette violence ? La plupart du temps, des autres athlètes. Près de 40 % des victimes de violence psychologique ou physique avaient été molestés ou intimidés par un coéquipier ou un adversaire, le plus souvent un homme, qui agit fréquemment en groupe. Pour 20 % des victimes, les actes de violence avaient été perpétrés par leur entraîneur.

« Dans certains sports, la violence a toujours été tolérée, normalisée. Certaines choses sont encore acceptées sur le plan de la violence psychologique. Or, plus on va en parler, plus on va réaliser que cette approche est contre-productive sur le plan de la performance », souligne Sylvie Parent, de l’Université Laval, l’une des rares chercheuses québécoises à s’intéresser à la question de la violence et du sport.

Michel Fafard, directeur de la promotion de la sécurité au ministère de l’Éducation depuis plus de 30 ans, a récemment demandé à Mme Parent d’ausculter le milieu sportif québécois sous l’angle de la violence.

« On lui a demandé d’être critique à notre égard, dit-il. On s’est aperçu que le milieu sportif réagissait comme une victime d’agression. Il y avait de la gêne, de la honte, de la peur du jugement. Mais il y avait surtout une méconnaissance. Notre conclusion, c’est qu’il faut en parler. »

Après des années de travail dans le monde du sport, Sylvain Croteau en est arrivé à la même conclusion. Et c’est pourquoi il a fondé l’organisme Sport’aide il y a quatre ans, aux côtés de la volleyeuse Guylaine Dumont. Les deux complices ont créé l’organisme parce qu’aucune ressource ne se consacrait à la question de la violence dans le sport au Québec.

Isabelle Ducharme, directrice générale de la Fédération de natation, est au conseil d’administration de Sport’aide. Pour elle, il faut donner des outils aux organisations pour prévenir et gérer les incidents. « Dans un cas que j’ai dû gérer, je voulais trouver un psychologue pour les athlètes. J’ai dû appeler 35 contacts ! Ça m’a pris trois jours ! Finalement, j’ai appris que ce sont les psychologues scolaires qui les ont aidés… Personne n’est formé pour gérer une crise dans les fédérations. »

« La violence dans le sport, c’est pas mal plus grave que ce que les gens veulent bien voir, estime Sylvain Croteau. C’est peut-être lié au fait qu’on en parle plus, mais le monde du sport commence à réaliser qu’il y a des choses inacceptables. Et des choses inacceptables ne deviennent pas plus correctes parce qu’elles se déroulent en milieu sportif. »

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