catherine fournier

Prendre sa place

La péquiste Catherine Fournier, 25 ans, est la plus jeune députée à siéger à l’Assemblée nationale. Celle qui a été élue dans la circonscription de Marie-Victorin a publié récemment un essai pour inciter les jeunes à s’impliquer en politique. Nous l’avons conviée au restaurant Le Parlementaire, situé au cœur de l’hôtel du Parlement, à Québec, pour en discuter avec notre correspondant parlementaire Hugo Pilon-Larose, lui-même un enfant du millénaire. Entrevue entre milléniaux.

Mme Fournier, réglons d’abord une question. La rumeur veut que vous ayez écrit ce livre en huit jours. Est-ce vrai ?

Presque ! En fait, je l’ai écrit pendant mes vacances. C’était le seul temps que je pouvais consacrer à ça, alors quand mon bureau a fermé pendant deux semaines, je me levais à 5 h, je m’installais à mon ordinateur et je travaillais jusqu’à 21 h.

Votre charge de travail est déjà pourtant importante à titre de députée. Pourquoi honnêtement vous êtes-vous donné ce défi alors que vous en êtes à votre premier mandat ?

Quand j’ai été élue, j’ai lancé un appel aux jeunes de ma génération comme quoi il y avait de la place en politique. Je voulais concrétiser cet appel. Certains pourraient trouver ça inusité que j’aie choisi d’écrire un livre pour rejoindre les jeunes, mais c’était important pour moi de colliger ma vision par écrit. Je vais maintenant utiliser mon livre pour faire une tournée des cégeps et des universités cet hiver et au printemps.

Vous abordez des thèmes qui interpellent selon vous les milléniaux, mais le ton de votre essai demeure quand même académique. On sent aussi que vous défendez certaines idées qui sont dans le droit fil de certaines annonces qui ont été faites ces dernières semaines par vos collègues du Parti québécois. C’est un hasard, ou votre essai a-t-il été approuvé par les instances de votre parti ?

Je suis une députée du Parti québécois, donc évidemment, j’endosse les positions de mon parti et je fais des liens avec certaines idées que l’on propose. En même temps, ce n’est pas un livre du PQ. J’y présente ma couleur, ma vision. Je ne voulais pas que le livre devienne un outil partisan. J’ai informé mon chef, Jean-François Lisée, une fois que j’ai su que le projet allait aboutir ! Il a lu le livre, m’a fait quelques commentaires, mais c’était surtout positif. Il n’a jamais contesté mes positions personnelles.

Vous parlez entre autres du cynisme politique chez les jeunes. Quand vous rencontrez les citoyens de votre génération, comment ce cynisme s’affiche-t-il ?

Par un manque d’intérêt, je dirais. Ils n’ont pas le sentiment que la politique est nécessairement le meilleur moyen de changer les choses. Je ne viens pas moi-même d’une famille particulièrement politisée. Je me suis fait dire comme d’autres que les politiciens étaient tous corrompus. C’est l’image politique que de nombreux jeunes ont reçue de leurs parents. On a grandi dans un contexte de scandales.

En tant que jeune politicienne, vous sentez-vous moins tolérante que d’autres collègues sur certaines « vieilles » façons de faire de la politique ?

C’est sûr que la notion de partisanerie, parfois, c’est un peu lourd. La ligne de parti, je n’ai pas de difficulté avec ça, puisque nous avons des débats à l’interne. Mais l’atmosphère de confrontation entre les partis, c’est quelque chose qui rebute les jeunes envers la politique. On est un peu victimes de la façon dont notre système fonctionne.

Justement, tous les partis d’opposition s’entendent pour réformer le mode de scrutin. Or, c’est un sujet qui a été défendu par plusieurs partis par le passé, mais qui ne l’ont pas concrétisé une fois au pouvoir. Ne pas réaliser un tel engagement ne nourrit-il pas encore plus le cynisme, notamment chez les jeunes ?

Clairement. Il faut absolument le faire et ma formation politique n’est pas blanche comme neige à cet égard. Ç’a déjà été dans le programme et ça n’a pas été appliqué. En même temps, ce n’était pas un engagement électoral formel. Là, la bonne nouvelle, c’est que Jean-François Lisée veut vraiment le faire dès un premier mandat. Si on prend un engagement ferme, que c’est dans notre plateforme électorale, il faut alors le faire. Sinon, c’est clair que ça augmente le cynisme et que les gens se disent : « Pourquoi je te croirais ? »

Revenons aux milléniaux, que vous interpellez. J’ai été surpris que la première citation de votre livre soit de René Lévesque, un personnage historique important, on s’entend, mais que ni vous ni moi n’avons connu autrement que dans les livres d’histoire. Pourquoi ne pas avoir plutôt cité d’entrée de jeu des personnes plus jeunes qui vous inspirent ?

Je me suis questionnée en effet si je ne devais pas me concentrer sur les jeunes, mais je voulais qu’il y ait une perspective intergénérationnelle. Oui, je m’adresse aux milléniaux, mais j’inclus plus large que ça. C’est important de faire le pont entre les générations. Si nous sommes si épanouis et ambitieux, c’est parce que d’autres nous ont précédés et qu’ils nous ont légué des outils qui nous accompagnent toujours.

En terminant, vous revenez dans votre livre sur l’éternel débat des accommodements raisonnables. L’enjeu du « vivre-ensemble », du code de vie de Hérouxville à la commission Bouchard-Taylor, en passant par la charte des valeurs aux nouveaux interdits de la loi 62, nous y avons été confrontés en tant que milléniaux depuis notre adolescence. Avez-vous l’impression que la façon dont les parlementaires débattent de ce sujet repousse certains jeunes de la politique ?

Ça fait 10 ans qu’on en parle. On a l’impression que c’est omniprésent depuis toujours et qu’on n’en sort jamais. Or, je cite des statistiques dans le livre qui montrent que les jeunes sont pour l’encadrement des accommodements raisonnables. Le problème, c’est de sans cesse recommencer le débat et ne pas agir. Si les recommandations du rapport Bouchard-Taylor avaient été appliquées, on n’en serait pas là aujourd’hui. L’escalade du débat se fait parce qu’il n’y a pas d’actions du gouvernement et qu’il y a tout de même des préoccupations chez les citoyens. Le résultat est que la classe politique et le gouvernement se déconnectent de plus en plus et que dès qu’il y a une petite chose qui arrive, les gens sont plus sensibles parce que le débat a traîné. Quand tu laisses quelque chose pourrir, ça finit par se dégrader, et c’est ce qui s’est passé ces dernières années.

Milléniaux, ayons l’audace d’agir

Catherine Fournier

Éditions Somme Toute

256 pages

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