Chronique

Lisée, le Fonds et le nationalisme

Il n’y a rien de plus tentant pour un politicien que d’avoir une cagnotte de 10 milliards de dollars à portée de main pour financer ses idées. Rien de plus tentant, mais rien de plus dangereux aussi.

Après François Legault, voilà que Jean-François Lisée a lui aussi annoncé son intention d’utiliser l’argent du Fonds des générations pour nourrir ses objectifs politiques.

Sous Jean-François Lisée, un gouvernement péquiste puiserait dans le Fonds pour faire des « investissements structurels » et protéger nos sièges sociaux. Le Fonds serait au service d’un certain « nationalisme économique », une sorte de rempart contre les politiques protectionnistes de Donald Trump, entre autres. François Legault utiliserait plutôt une partie des contributions annuelles au Fonds pour réduire les impôts.

Le Fonds des générations, faut-il le rappeler, a été constitué en 2006 avec pour objectif de réduire la dette du Québec. Le gouvernement y verse 2,0 milliards cette année, notamment avec des redevances d’Hydro-Québec, si bien que le Fonds totalisera 10,5 milliards le 31 mars prochain et 23 milliards en 2021.

D’abord, un mot sur le ton. En énonçant sa stratégie dans la foulée du Conseil national du PQ, Jean-François Lisée a rappelé la sensibilité des agences de notation de crédit à ce sujet, rassuré ses auditeurs sur le niveau de risque à prendre avec les éventuels investissements stratégiques et délégué les détails vers un homme plus connaissant que lui en économie, Nicolas Marceau.

Visiblement, Lisée cherche à se positionner en homme politique plus pondéré, comme ce fut le cas pour la langue et le référendum, afin de faire du PQ une solution de rechange crédible aux libéraux. Et c’est tant mieux.

Un jeu dangereux

Cela dit, l’histoire démontre que l’utilisation de ce genre de fonds publics à des fins politiques est un jeu dangereux pour les contribuables. Historiquement, les investissements des politiciens ont souvent procuré des rendements faibles, voire médiocres.

Qu’on se rappelle la Société générale de financement (SGF). En 50 ans d’existence, la SGF a réalisé un rendement pratiquement nul. Dans ses derniers états financiers, d’ailleurs, publiés en 2011, la somme des bénéfices et des pertes réalisés au fil des ans s’est soldée par un déficit de près de 1 milliard de dollars.

Magnola, le chantier Davie ou encore les hydroliennes de Bécancour sont autant d’exemples d’investissements de la SGF ou d’Investissement Québec qui semblaient prometteurs, mais qui ont été des fiascos.

Essentiellement, deux raisons expliquent les mauvais rendements des investissements « politiques ». D’abord, contrairement aux gens d’affaires, les politiciens ne gèrent pas leur propre argent et n’ont donc pas la même hargne à vouloir le faire fructifier (ou la même crainte à le voir s’envoler en fumée).

Deuzio, le rendement financier n’est pas l’objectif ultime des politiciens. Avant tout, ce qui les préoccupe, c’est l’opinion publique, le sujet de l’heure dans les médias, les pressions des lobbys, bref, les facteurs qui leur feront gagner ou perdre les prochaines élections.

De nobles intentions, mais…

Bien sûr, les hommes et les femmes politiques ont des intentions nobles, comme la protection de nos sièges sociaux. Et parfois, parfois, il faut que l’État intervienne directement dans des dossiers stratégiques. La nationalisation de l’électricité fut certainement le meilleur exemple. L’investissement dans Vidéotron, quoique mal financé, en est probablement un autre.

Cependant, la plupart du temps, les considérations politiques ont pour effet de gonfler les projections de rentabilité et d’occulter les risques. Bref, elles rendent aveugles.

Des exemples ? Dans le dossier d’Alcan, la logique politique et de protection de nos sièges sociaux aurait voulu que l’État intervienne, en 2007, mais Dieu merci, il n’en fut rien. Quelques années après la transaction, la valeur de l’entreprise avait fondu de 25 milliards… Imaginez si le Fonds des générations avait investi là-dedans ?

Le Québec dispose déjà de certains outils. L’une des doubles missions de la Caisse de dépôt est d’ailleurs de contribuer au développement économique du Québec, en plus de faire fructifier les fonds de retraite des Québécois. L’an dernier, la Caisse de dépôt avait justement participé à une offre pour le rachat des Rôtisseries Saint-Hubert, mais le propriétaire a trouvé plus alléchante l’offre du rival ontarien. Que peut-on y faire ?

Autre outil : les fonds de travailleurs. Le Fonds FTQ, ne l’oublions pas, attire de nouveaux épargnants chaque année grâce aux crédits d’impôt de 30 % offert par les gouvernements du Québec et du Canada. L’an dernier, ces crédits aux fonds de travailleurs ont coûté 150 millions au seul gouvernement du Québec. C’est beaucoup d’argent. Aujourd’hui, le Fonds a un actif net de 12,2 milliards et sa mission est de sauvegarder des emplois et de contribuer à la croissance économique du Québec.

Actuellement, l’argent du Fonds des générations est géré par la Caisse de dépôt, selon une politique de placement dictée par le gouvernement. Le Fonds est en quelque sorte une soupape de sécurité contre les déficits futurs du Québec que provoqueront inévitablement les hausses de dépenses en santé avec le vieillissement des baby-boomers.

Si jamais le PQ est élu et que le Fonds voit sa mission modifiée, il faudra sévèrement encadrer son utilisation et le réserver pour des cas exceptionnels bien définis. Surtout, il faudra plafonner la ponction que les politiciens pourraient y faire, par exemple 5 ou 10 % au maximum.

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