Chronique

Au Bowling Baby avec Véronique Hivon

Joliette — Dans un éclairage tamisé, une douzaine de bénévoles sont au téléphone dans le local électoral du Parti québécois, dans le vieux centre de Joliette.

Je dis le vieux centre, je devrais dire le nouveau, tellement cette ville est méconnaissable. Entre le musée aux lignes contemporaines, cette place Bourget vaguement européenne, les façades ravalées, Joliette s’est refait une beauté.

— Véronique Hivon est à la Salle de quilles Baby.

— Euh… Avez-vous dit Barbie ?

(Me semble que ce n’est pas trop le style de la députée de Joliette…)

— On voit que vous n’êtes pas d’ici : Baby (on prononce bâbi), du nom du juge (un grand personnage politique du XIXe siècle).

Il est 19 h 30, et toutes les allées sont occupées par des ligues de retraités. Je retrouve la « vice-cheffe » du Parti québécois en train de jaser avec des joueurs. Faut dire que la présidente de l’association, Thérèse Chaput, est une fine quilleuse.

« Les gens me disent tout le temps : “Amène-la donc ici, on aimerait ça lui parler !” Sur le terrain, ç’a pas de bon sens comme les gens aiment Véronique. » — Thérèse Chaput

Joliette, ancien fief de Guy Chevrette (et d’Antonio Barrette), est péquiste presque sans interruption depuis 1981. Seule exception : l’intermède Action démocratique du Québec, en 2007, quand le PQ a été relégué à la « deuxième opposition ». Véronique Hivon a repris la circonscription l’année suivante.

Or, les élections de 2018 ont des accents de 2007. Cette fois, c’est la CAQ qui repoussera probablement le PQ au troisième rang.

Les sondages la mettent en danger. Sauf que Joliette abandonnera le PQ bien avant Véronique Hivon.

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Elle sourit quand je lui demande si elle partage la préoccupation de « son » chef au sujet de Québec solidaire.

« Des gens pensent que Jean-François a attaqué Québec solidaire à cause de la bataille dans Rosemont, mais c’est global. C’est l’heure de vérité, la fin d’une campagne. »

— Véronique Hivon

Évidemment, la lutte est entre elle et le candidat de la CAQ, François Saint-Louis. Elle a remporté Joliette par 6806 voix en 2014 contre la candidate de la CAQ. Québec solidaire n’a fait que 7,3 %, mais ces 2866 voix pourraient faire la pencher la balance cette année. Autrement dit, attaquer QS ne vise pas qu’à éviter de perdre un siège aux dépens du parti de gauche ; c’est aussi pour ne pas se faire bouffer par la CAQ dans le 450.

Pendant toute cette campagne à l’américaine, elle a accompagné le chef Lisée, sauf dans les longs voyages. Si on l’a moins vue, c’est que les médias font parler les chefs.

Ça lui impose tout de même une double campagne, locale et nationale. Ce qu’elle perd en présence chez elle, elle le gagne en notoriété. « Je pense que les gens sont fiers », dit-elle dans un rare moment de vantardise.

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On quitte les allées de bowling, je suis la Volt de son accompagnateur jusqu’à la Maison des jeunes. Ils sont une dizaine dans le sous-sol de la Piaule, gars et filles de 12 à 17 ans.

« Moi, ce que j’aime, c’est l’environnement, parce qu’on a juste une planète et si on change de planète, même si l’humain est connu pour bien s’adapter, ça sera pas comme la Terre avec les plantes et tout ça, et ça va quand même être long s’adapter », dit Gabriel.

La députée écoute, elle leur pose des questions. Elle raconte ses souvenirs du premier référendum, quand elle était encore au primaire. Et du deuxième, en 1995, qui l’a convaincue de faire de la politique – après des études en droit et à la London School of Economics.

— Si vous deviez choisir entre vice-cheffe et députée de Joliette, vous choisiriez quoi ?

— Députée. C’est la base. Travailler pour les gens, être leur voix.

— Est-ce que ça fait partie de la politique, s’intéresser aux gens qui ont des syndromes ?

Mais oui, dit la députée, c’est à ça que ça sert, il faut travailler plus fort pour ceux qui n’ont pas de lobby, ceux qui ont plus de difficulté dans la vie.

On est un peu dans sa spécialité.

Les affaires sociales, elle en a été brièvement ministre, mais disons qu’elle parle ce langage-là sans interprète.

C’est « très présent dans ma vie », dit-elle pudiquement. Elle parle des engagements du PQ en matière d’autisme, du soutien aux groupes communautaires…

— Dans notre cours d’histoire, on a vu que vous avez fait la Loi sur l’aide à mourir…

Je vois que Véronique Hivon ne s’y attendait pas, d’une élève de 15 ans, je vois qu’elle est touchée.

« On a l’air de se chicaner tout le temps pendant une campagne électorale, mais il y a des moments où les politiciens travaillent tous ensemble, et ce n’est pas moi qui ai fait cette loi, on l’a faite tous ensemble, tous les députés de l’Assemblée nationale, et c’était un beau moment. »

Chaque jour ou presque, quelqu’un lui parle de cette loi, et en cinq minutes vient lui raconter des bouts intimes de sa vie. Mais d’une fille de 15 ans, ce n’était pas prévu…

Je suis parti avant la fin, mais déjà elle avait séduit cette gang pas super politisée et je ne serais pas surpris qu’une couple d’entre eux cochent son nom sur le bulletin qu’ils mettent dans l’urne « pour de faux », lundi, à la Piaule.

Sauf que ces votes-là ne comptent pas encore. Et il y aura beaucoup de coups de fil à faire, et comme au salon Baby, ça risque de se jouer dans le dernier élan de la dernière allée…

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