Chronique

Les jobs payantes de François Legault

François Legault répète que ce dont le Québec a besoin, ce sont des jobs payantes, à 25 $, 30 $ ou 40 $ de l’heure.

Fort bien, mais jusqu’à quel point le nouveau premier ministre vise-t-il juste ? Et le cas échéant, que doit faire le Québec pour atteindre cet objectif ?

Dans une étude publiée hier, justement, l’Institut du Québec (IDQ) s’est attelé à répondre à cette question en comparant la situation du Québec à celle de notre principal concurrent et partenaire : l’Ontario. Les résultats obtenus par les chercheurs Mia Homsy, Simon Savard et Sonny Scarfone sont fort intéressants.

D’abord, une nouvelle très encourageante, que j’avais aussi constatée dans mes propres recherches : l’écart entre le salaire horaire des Québécois et celui des Ontariens s’est significativement rétréci ces dernières années, au point de devenir le plus faible en 20 ans.

Ainsi, en 2007, le salaire horaire médian était supérieur de 9,7 % en Ontario, écart qui a progressivement fondu à 3,4 % l’an dernier.

L’écart est un peu plus élevé quand on prend le salaire horaire moyen (6 % en 2017), mais la tendance est la même. Le salaire moyen au Québec était de 24,94 $ l’heure en 2017 contre 26,43 $ en Ontario.

Le hic, pour les Québécois, c’est que leur semaine habituelle de travail est plus courte d’une heure que celle en Ontario (34,8 heures contre 35,8 heures), ce qui diminue la paye hebdomadaire.

De plus, les impôts, cotisations sociales et versements aux régimes de retraite sont proportionnellement plus importants au Québec, si bien qu’au bout du compte, le revenu personnel disponible par habitant (bébés inclus) est le plus bas au Canada, à 27 723 $ (celui de l’Ontario est 16 % plus élevé et celui de la Colombie-Britannique, 24 %)(1).

Mais revenons à nos moutons. Selon l’IDQ, le Québec compte effectivement plus de jobs dont le salaire horaire oscille entre 12 $ et 26 $ (53 %) qu’en Ontario (49 %) et moins dont le salaire excède ce seuil (37 % contre 40 %). François Legault a donc raison : le Québec offre moins de jobs payantes.

Les chercheurs ont fait une analyse plus fine du phénomène pour constater que ce n’est pas dans le secteur de la fabrication que l’écart est significatif, mais plutôt dans celui des services.

En particulier, le secteur financier offre davantage d’emplois à plus de 26 $ en Ontario (54 %) qu’au Québec (49 %), ce qui n’est guère surprenant, à bien y penser, compte tenu de la forte présence des banques et des Bourses canadiennes à Toronto.

Ce qui est plus surprenant, par contre, c’est l’écart dans le secteur des services professionnels, scientifiques et techniques. Ce secteur englobe les ingénieurs et les informaticiens, entre autres. Ainsi, 63 % des emplois en Ontario rapportent plus de 26 $ de l’heure contre 53 % au Québec, soit un écart de 10 points !

S’il y a un secteur où le Québec peut faire des gains, c’est bien celui-là, d’autant que nous comptons plusieurs entreprises importantes (CGI, SNC-Lavalin, Hydro-Québec, etc.).

Précisons, par ailleurs, que le secteur de la construction, qui n’est pas dans la catégorie des services, est l’un des rares à offrir des salaires supérieurs au Québec. Plus précisément, 51 % des emplois sont payés 30 $ de l’heure ou plus contre 37 % en Ontario.

Maintenant, comment faire pour redresser la barre ? Il y a, bien sûr, la vigueur de l’activité économique, qui a pour effet de faire pression à la hausse sur les salaires, surtout en période de pénurie de main-d’œuvre.

Mais il y a aussi le redressement de la productivité de nos entreprises, fait valoir l’IDQ. Au risque de me répéter, la productivité ne signifie PAS travailler sans cesse plus vite, mais travailler plus efficacement ou avec des outils mieux adaptés.

« Parvenir à accroître la productivité s’avère la stratégie la plus prometteuse à mettre de l’avant », selon les chercheurs de l’IDQ, qui constatent le retard du Québec à cet égard.

La hausse des investissements dans les machines et les équipements de même que l’accélération du virage numérique devraient être favorisées, mais aussi la formation de la main-d’œuvre et le développement des compétences.

Pour ce faire, les gouvernements devraient mettre en place des mesures incitatives efficaces, notamment dans les secteurs à haute valeur ajoutée (sciences de la vie, aéronautique, intelligence artificielle, fintech, etc.)

Plus encore : en cette période de pénurie de main-d’œuvre, les gouvernements devraient délaisser les programmes axés sur la création d’emplois « pour les remplacer par des offensives favorisant la création de valeur, l’innovation, l’investissement en machines et matériel et le développement des compétences ».

Compte tenu des intentions de François Legault, il ne serait pas surprenant que le gouvernement caquiste aille dans ce sens.

(1) Ce revenu personnel disponible par habitant ne tient pas compte du niveau de services obtenus de l’État (garderie, université et électricité moins coûteuse) ni du prix inférieur du logement au Québec, mais même en prenant tout en compte, il subsiste un écart défavorable au Québec.

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